Garouste le Père-turbé
par Jean-Paul Gavard-Perret
Gérard Garouste (avec Judith Perignon),
L’intranquille , L’Iconoclaste, Paris,
168 pages, 30 Euros
Il arrive que des peintres deviennent des auteurs. Et des plus grands. Certes les exemples sont rares. Dans l’art contemporain deux viennent à l’esprit. Fred Deux avec La Ghana (publié originairement sous le nom de Jacques Douassot aux Lettres Nouvelles) et aujourd’hui Gérard Garouste. Son L’Intranquille est sous-titré « Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou ». Le texte surprend par sa puissance de souffle donc d’écriture. Il tendrait à prouver qu’un autoportrait est bien différent d’une autobiographie. L’œuvre est celle d’un survivant sorti par amour de bien des tempêtes et naufrages. A 63 ans, le peintre de plus de 600 toiles exposées dans les musées du monde entier ose le récit puissant de ses délires, de ses dépressions et de ses multiples séjours en hôpital psychiatrique.
Les vagues de folie héritées d’une enfance traumatisée abreuvent le travail de l’artiste. Mais le prix à payer fut lourd. Le peintre dut son salut à sa femme (la célèbre designer Elisabeth Garouste) et les grands textes fondateurs : de la Bible à la Torah, de Cervantès à Dante. Dans son livre Garouste retrace son passé au moment où il se dit apaisé mais toujours sur ses gardes tant ses démons restent tels des espions dormants – nous y reviendrons. Il lui a fallu un courage plus que certain afin d’oser se frotter à cette épreuve littéraire et existentielle même si elle peut (ce qui reste à prouver) avoir une valeur de catharsis. L’artiste a été poussé à écrire parce que ses trois dernières expositions se rapprochaient de ses thèmes les plus intimes et dont il a donné, par la voie des mots, les clefs. Garouste a pu expliquer son esthétique. Il la résume de la manière suivante : « La peinture n’est qu’un outil au service d’un sujet. Quand on veut critiquer la société, il faut commencer par faire sa propre autocritique ».
Bercé (si l’on peut dire...) dans l’antisémitisme archéologique d’un père qui voulait transformer son fils en complice, l’artiste s’érige face à cette idéologie qui chez son père était naturelle et tranquille. « Soit on ferme les écoutilles et on reste dans l’esprit de la famille, soit on essaie de comprendre » écrit celui qui a vite compris que l’antisémitisme paternel était le fruit de beaucoup de mépris envers les juifs mais surtout de jalousie. Toutefois les petites phrases antisémites assassines du père sont restées gravées dans la tête du fils. Ce dernier fut sauvé de l’emprise du premier par celui-ci. Le géniteur envoie en pension son rejeton père-turbé dès l’âge de 11 ans. Garouste y est resté dix ans. Ce parfait catholique y côtoie beaucoup de juifs. Ils deviennent ses amis. Cela remet les pendules à l’heure. – du moins en partie car psychologiquement des traumatismes sont déjà ancrés.