Les artistes et les expos

Garouste le Père-turbé

par Jean-Paul Gavard-Perret

garouste
Gérard Garouste (avec Judith Perignon),
L’intranquille , L’Iconoclaste, Paris,
168 pages, 30 Euros

mis en ligne le 18/04/2012

Reconnu pour ses grandes peintures sur toile Garouste reste avant tout très fidèle à ses œuvres « préparatoires » sur papier. Ses carnets demeurent essentiels. « Tout ce que je fais est dedans. C'est très spontané, c'est là que sont mes associations d'idées » écrit-il. De tels « supports » lui permettent de ne jamais être à court d'idées. Faisant sienne la phrase de Goethe : « Ce que je n'ai pas dessiné, je ne l'ai pas vu », l’artiste trouve par le medium du papier une manière de voir la réalité du quotidien le plus évident. « Dès que quelque chose me plaît, il me faut une trace. Perdre mes carnets serait comme perdre des morceaux de moi-même » dit-il. Le dessin garde pour lui une puissance que la simple photo ne pourrait lui donner. A travers celui-là et la précision qu’il lui accorde dans sa confection il crée la matrice de son travail. Ensuite il scanne ses dessins « pour les projeter et en faire des tableaux : un procédé très contemporain qui aurait ravi les artistes de la Renaissance ». A toutes les techniques virtuelles d’aujourd’hui l’artiste préfère donc la contrainte de procédés classiques : le dessin et la peinture à l'huile.

À partir de ce point de départ, le corps entier de l’artiste peut alors exprimer et atteindre sa poésie faite de rubans violents qui s'enroulent parfois autour du corps ses personnages. Comme l’artiste lui-même ils semblent à fleur d'émotion jusqu'à leur vibration sur la toile. Une vibration qui refuse de s’éteindre. Surgit toujours dans l’œuvre le souffle imperceptible d’un ruissellement de mains au fluide violent qui irrigue la toile à l'orée de l'excès. Par le vide des pleins et l'enchaînement des déliés, l'ouverture dans l'escarpe d’un corps surgit par exemple ce qui ressemble à un filet de lave en fusion et peut entraîner la fracture irréductible. L’artiste ne calfeutre rien, accepte que les incendies de la vie trouvent des correspondances picturales. La vie est là, affûtée, brûlée.

Des formes luxuriantes créent un buste, d’autres transforment les corps en (presque) monstres. Parfois l'homme rayonne de féminin et la femme s'embrase de masculin. Un devient deux dans l'âtre de la peinture en hommage peut-être à celle qui l’a sauvé et continue de le préserver de la chute . Il se peut désormais que les portes commandées pour Paris s'ouvrent à chaque battement du corps même de l’artiste. L'échancrure s'agrandit encore pour qu’il sorte de lui-même et qu’une onde de lumière le pénètre et diffuse la légèreté qu’il appelle. Et ce afin qu’elle aille encore plus loin, plus proche ; au plus aigu, au plus profond ; au plus sauvage et au plus suave. Bref au-delà de la jouissance : en plein cœur, à s’en rendre fou, à en devenir fou mais, cette fois, de la folie du sage.

Jean-Paul Gavard-Perret

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