Jack Vanarsky, un sculpteur ? Allons donc ! Cest un poète ! Je veux dire par là que toute son oeuvre, à lévidence, procède dune véritable pensée poétique : seulement, il la traduit non pas avec des mots mais avec des choses. Et ces choses, il en fait, comme le poète les mots, des objets proprement magiques, de ceux quon voit en rêve et quon aimerait tant retrouver au réveil, dans ce quil est convenu dappeler la réalité.
Vanarsky sest fait remarquer dans les années 70, (et je suis de ceux qui ne sauraient loublier), en exposant des livres animés. Lamellisés et animés par un invisible mécanisme électrique. Le livre, réceptacle ordinaire de la poésie, mais aussi le plus fermé des objets, le plus opaque, du moins jusquà ce que le regard du lecteur en fasse un corps glorieux (ou quelque chose dapprochant) : voici que Jack Vanarsky lui conférait une sorte de vie organique, inattendue, fascinante. Il le faisait respirer et parfois même, si mes souvenirs ne me trompent pas, soupirer. Comme venant du Wonderland dAlice. Au demeurant, lon se disait que le Révérend Dodgson, grand collectionneur de jouets et dautomates (les armoires de son appartement de Christ Church à Oxford en était archi encombrées), eût été le premier à sen délecter.
Alors que le livre est aujourdhui ravalé par les supports de la communication virtuelle, Vanarsky en a fait tout au contraire le protagoniste très concret daventures plus extraordinaires les unes que les autres. Il y aurait toute une saga à écrire sur les inépuisables métamorphoses quil lui prête, et les mises en scènes quil a imaginées pour lui. Récemment, cétait La chambre de Kafka, au Musée du Montparnasse, célébration de lénigmatique prophète du siècle des bureaucrates mortifères que fut lauteur du Procès.
En 1992, Vanarsky avait construit pour le Pavillon de France de lexposition Universelle de Séville, un monumental Livremonde (200x160 x 200 cm) en bois, plexiglas et image de synthèse vidéo, complexe hommage à Mallarmé selon qui, on sen souvient, « tout au monde existe pour aboutir à un Livre ». Sorte de néo-Bible, si lon veut : non plus originelle, mais terminale puisque intégrant les technologies de pointe, que Vanarsky maîtrise avec une souriante facilité.
Le livre nest quune chose parmi beaucoup dautres pour le travail de poète de Jack Vanarsky qui nest, me semble-t-il, quun répété défi à la trompeuse immobilité de notre monde. Quil sagisse de visages, le sien, animalisé selon la méthode de Le Brun ou du masque mortuaire de Topor (maintenu en vie par « acharnement artistique »), quil sagisse du double-décimètre de notre enfance, ou de la célèbre bouteille bordelaise, de meubles bourgeois ou de plans de Paris, voire de fétiches contemporains, comme les readymades de Duchamp, ce que Vanarsky nous donne à voir, cest chaque fois la Loi, la grande Loi qui nous domine : lintranquillité, selon le mot de Pessoa, que Vanarsky a du reste invoqué dans une oeuvre de 1999.
Mais lintranquillité, qui pourrait être ressentie comme une malédiction, Vanarsky en joue avec un humour à toute épreuve. Comme la noté Jean Tardieu, dans un carnet retrouvé, publié dans le récent Quarto de son OEuvre : « Lhumour, toujours, hélas ! ». Humour bleu, noir, rose, vert, cest selon. Humour de papillon, dont la théorie du Chaos, si je ne me trompe, nous dit quun battement dailes en Amazonie peut provoquer un séisme au japon. Humour de scolopendre qui digère lespace-temps dans un ondoyant sur-place. Humour de paroissien oulipien. Humour darchitecte sceptique et durbaniste facétieux. Humour de potache, même, qui sest mis à ressembler à Einstein, dont on sait quil est licône la plus répandue dans le monde, avec Marilyn Monroe.
Et toujours cette respiration maîtrisée, lamelle par lamelle, ce tempo de lenteur articulée. Avec un sourire en profondeur. Vanarky, jaimerai tenrôler dans cette Société des refusniks de notre époque pressée, que javais souhaité constituer il y a quelques années déjà, et qui nexiste pas pas encore : les Amis du Lento. Tous des poètes. |