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Dossier Jack Vanarsky :
Vanarsky ou limage sensuelle du monde |
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par Thierry Laurent |
Tiens, voilà un « Vanarsky » ! Un « Vanarsky » ? Un gâteau ? Un éclair au chocolat ? Un personnage de comédie ? Une machine infernale ? Mais non, Jack Vanarsky est un artiste. Oui, lartiste argentin, vous connaissez ? Cest vrai : il crée des objets vraiment indéfinissables, irréductibles à une quelconque catégorie, à un genre ou un style.
Peut-être faut-il interpréter loeuvre de Vanarsky comme un cabinet de curiosité, un wunderkammern dans la tradition des collections du seizième siècle, où voisinaient, de salle en salle, les spécimens les plus variés de la nature, de la science et de lart ? Chez Vanarsky se côtoient en effet des livres, des papillons, des scènes de théâtres, des installations aussi, des nus féminins, des mappemondes, des cartes de ville imaginaires, des séries de bouteilles en équilibre sur une console oscillante, des autoportraits, et même les oreilles de Kafka. Toutes ces réalisations ont un aspect loufoque, merveilleux et dérisoire, qui les rattachent surtout à la tradition surréaliste. Mais il y a un élément magique en plus, surnaturel, celui du mouvement, de la vie, du souffle : les objets de Vanarsky sont dotés de la faculté de respirer, comme si un dieu facétieux leur avait insufflé un élan vital. Ils se gonflent et se dégonflent, se regonflent imperceptiblement à un rythme lent et régulier, comme des valves de coquille Saint Jacques. Le terme « objet » est dailleurs bien réducteur. Car les réalisations de Vanarsky sont autant de sculptures et de peintures fabriquées par un démiurge baroque.
Trêve de plaisanterie : de quoi sagit-il au juste ?
De Vanarsky, au hasard, prenons loeuvre intitulée « Deux Mamelles (2000) ». Un dispositif complexe soffre ici au spectateur.
Dabord une porte en bois, déglinguée, peinture écaillée, mais authentique porte, avec ses plaques métalliques encore pré-
sentes. Une porte oui, mais plus tout à fait, car la partie supé-
rieure a été aménagée en scène de théâtre, avec deux rideaux cramoisis qui nous rappellent le Guignol et les marionnettes de notre enfance. Et que voit-on sur scène ? Des personnages ? Pas du tout ! Ou si personnages il y a, ce sont deux seins, des seins grandeur nature, qui jaillissent comme des volcans, des seins protubérants, des rêves de chirurgiens esthétiques. Oh, merveille imprévue : on ne sait comment, mais on le constate, ces seins bougent sans cesse, ondulent, évoquent le frémissement érotique de la chair. De quoi réveiller tous les priapismes, les envies de palper, dembrasser, de téter ! Une sculpture vivante donc? Bien sûr, mais pas seulement ! Car, les seins sont enduits de peinture. Ils servent de support à des tableaux mobiles. Que voit-on sur ces seins ? Sur le gauche, la carte géographique du continent latino américain, et sur le droit, celle de lEurope, et entre les deux, sétale le bleu de locéan. Des seins aquatiques donc, appel à lamour comme une traversée des mers, comme perte de soi dans un ailleurs liquide peuplé de sirènes amoureuses. Une oeuvre dassemblage déléments disparates, en forme de « cadavre exquis », mais un cadavre en pleine vie.
La référence à Duchamp, le Duchamp dadaïste de la Joconde à moustaches, est bien sûr explicite. De Duchamp, on se souvient surtout son ultime installation au Musée de Philadelphie : «Étant donnés : 1 la chute deau, 2° le gaz déclairage » datant de 1966 et présentant une vieille porte en bois, certes fermée, mais qui laisse entrevoir par un oeilleton, non seulement un paysage surréaliste, mais surtout un corps de femme nue exhibant avantageusement son intimité pubienne. Le fantastique, la sensualité et lhumour sont présents dans cette oeuvre. Et ce sont peut-être ces trois termes qui définissent toute la démarche de Vanarsky.
Il y a un secret de fabrication chez Vanarsky. Lartiste est aussi un artisan doué de lâme dun Gépetto. Ses réalisations sont constituées de fines lamelles de bois juxtaposées et qui glissent les unes contre les autres grâce à un complexe mécanisme électrique. Lartiste joue et se joue de leffet cinétique obtenu par les glissements alternés des couleurs et des textures. Les « seins » en lamelles de bois ne cessent donduler silencieusement, si bien quils se métamorphosent en chair vivante. Mais, il ny a pas que les seins qui ondoient sans arrêt dans les petits théâtres de Vanarsky, dautres éléments charnels où la sensualité le dispute à lironie. Des fesses par exemple, de belles fesses, rebondies et mafflues à souhait, (Le Cul du Monde, 2000). Cette fois-ci cest entre Afrique et Amérique quon voyage. Le désir amoureux sexhibe comme invitation au voyage, lérotisme comme exotisme. Autre oeuvre de la même veine et qui forme triptyque avec les deux précédentes, ce ventre de parturiente, qui évoque la fécondité de la terre argen-
tine géographiquement dépeinte (Le Nombril du Monde, 2000). Au centre du monde se trouve Général Roca, ville natale de lartiste, symbolisée par ce nombril qui soffre au spectateur comme promesse de vie.
Plus que de dérision érotique, il faudrait évoquer une poésie de labsurde. Témoins ces livres disposés sur des bureaux décoliers et qui ne cessent dêtre parcouru dun mouvement ondulatoire, comme si une secrète houle animait la surface des pages. Ici, un livre ouvert expose la carte de lOcéan atlantique (Les Dangers de la Traversée, 2000), cerné par les rives des continents européen et américain. Manière encore pour Vanarsky de nous rappeler quil est un artiste émigré. LAmérique latine, il la quittée, il y a bien longtemps, pour sinstaller en France, doù le thème récurrent du planisphère, reproduit souvent sur le corps féminin : la terre de nos ancêtres et la chair de nos mères ne sont-elles pas constituées de cette même glaise façonnée par le Dieu de lAncien Testament ?
On ne peut manquer dêtre charmé par la délicatesse des battements dailes de ces papillons (Papillons, 1996, 2000) délicatement posés sur des âmes de bois, en attente dun improbable envol. Allégorie dune nature et dun monde qui nest plus libre, où les papillons sont cruellement épinglés, où la parole poétique est étouffée ?
Cest, une fois encore, les risques de faillite du monde que symbolise ce jeu de bouteilles tout juste posées sur des supports mobiles, évoluant comme des vagues, et dont on attend avec frayeur la chute prochaine. Sentiment contrarié dinstabilité, dun déséquilibre qui saccommode dextrême justesse du mouvement de balancier qui le suscite. De Vanarsky, on a pu admirer enfin la surprenante installation évoquant les démons de Kafka au Musée du Montparnasse, lors de lexposition réalisée en mai 2002 à propos de lécrivain praguois.
Loeuvre de Vanarsky est forcément peu abondante, car elle repose sur un travail artisanal nourri de patience et de méticulosité. Les objets de Vanarsky aspirent et expirent un air quon ne voit pas. Peut-être ne font-ils que répercuter les tempêtes, les marées, les vents qui agitent sans cesse les océans ? Il y a enfin ce bel autoportrait de lartiste, en constante anamorphose, fait de lamelles mobiles sur lesquelles une photo est accolée (la Tête qui tourne, 1985). On devine malgré les déformations mouvantes, un visage assagi par les ans, une moustache un peu démodée et des cheveux blancs daède. Comment ne pas songer au « Vieux qui lisait des romans damour », personnage du roman éponyme de Luis Sépulveda ? Histoire dun « vieux » qui a aimé la vie et qui préfère finir ses jours au bord du fleuve Amazone en une sorte de fusion terminale avec la nature. Face à la destruction lente mais inéluctable de la faune et de la flore, programmée par les exploitants industriels, « le vieux » sévade comme il peut, il lit les romans damour que lui apporte des grandes villes son plus fidèle ami. Entre limaginaire de Sépulveda et les délires de Vanarsky, même climat de feinte candeur et de fausse légèreté, même confrontation entre deux sauvageries, celle de la ville et celle de la nature, et dont il convient de sextraire par une poésie réinventée au quotidien. Point de vision tragique du monde, car celle-ci est transcendée par la dérision, par lhumour, par un optimisme farfelu nourri des esprits rieurs qui hantent les jungles dAmérique latine. |
Thierry Laurent |
mis en ligne le 26/02/2004 |
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Dossier Jack Vanarsky
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