version impression |
participez au Déb@t |
Dossier Jack Vanarsky :
Des vies merveilleuses en mouvement autonome |
|
par Elva Clesis |
Quel émerveillement devant les oeuvres de Jack Vanarsky, comme un enfant devant un magnifique carillon quand ses mains minuscules ouvrent lénorme boîte décorée et quil voit tout dun coup deux figurines vêtues de blanc quun engrenage mystérieux fait virevolter ou encore des cygnes nageant en rond sur des étangs en miroir. Émerveillement magique du mouvement des objets ayant une existence à part, qui nous est étrangère. Cest ainsi quil révèle sa raison dêtre, nous permettant dy entrer. Et il nous captive. Telle cette porte, comme sur une scène de théâtre, doù dépasse un ventre maternel qui respire; tel le battement des ailes du papillon qui se repose sur un tronc darbre mais quon soupçonne de reprendre son vol dès quon lui tourne le dos ; tel latlas posé sur le banc qui nous montrent des détails géographiques où ville et eaux bleues frémissent comme agitées par le vent. Viennent ensuite des visages dont les traits se modifient, des corniches où un petit tableau se promène comme une voiture dans la colline un jour
de vacances, à linstar de cette oeuvre futuriste où le célèbre basset au poil sombre, à linverse du livre dart où je lai vu pour la première fois, trotte vraiment cette fois, entraîné par les pieds frénétiques de sa maîtresse. Suit le vaisseau à la masse puissante sans pareil remorquant la petite barque vers la mer cette mer où lon entrevoit une bouteille en train de naviguer.
Dans tout cela, en plus de lémerveillement, il y a cette légèreté de considérer les éléments et les dimensions du plus petit au plus grand, il y a le désenchantement qui fait aussi partie de la vie, de cette vie quon prétend belle. Il semble incroyable, à mi-chemin entre une plasticité évidente et un automatisme inattendu et secret, que ces petites merveilles se déploient sous nos yeux, que ces objets deviennent sujets en quelques oscillations rythmiques, alors on ne les utilise plus comme on laurait fait dans le passé, plongé dans la matière du livre, qui ne se feuillette plus comme les autres, mais est feuilleté. Et cest un livre superlatif un livre qui nexiste pas pour nous, mais pour lui seul. Et pourtant le voici qui soffre avec une éloquence généreuse au regard étranger avec la vraisemblance du théâtre dun geste, en acteur consommé.
Il faut aussi dire que la première fois que jai vu une sculpture animée de Vanarsky, jai eu limpression que tous mes sens sétaient réveillés à limproviste. Jéprouvais le désir, en le fixant longuement, de sortir de mon corps à travers les pores de ma peau et de danser autour de ce que je contemplais comme autant desprits déchaînés. Lenvie était forte de toucher une courbe sinueuse, loreille particulière dune oeuvre imposante, les seins ronds dune terre-mère mais encore féminine, en sorte que je sentais mes mains trembler de manière imperceptible à cause de cette inclination que je dominais malgré mon inquiétude.
Je me souvins soudain dun vieux film des années soixante-dix, où le jeune homme redécouvrait le désir de vivre en touchant et en admirant détranges sculptures aux lignes sinueuses, jusquà se perdre dans leur vision; il les agrippait littéralement, les bras serrés autour du volume en bois, les sanglots et les spasmes accompagnés de larmes semblaient à la fois létrangler et lui procurer la béatitude de lillumination. Telle fut la première pensée (appelons-la même une association libre) à la vue des travaux de cet artiste argentin. Car cest véritablement un monde à part : ce morceau de terre sud-américaine a sa poésie et le sens de la création artistique y est si poussé que tout ce qui y naît porte ses fruits toute sa progéniture en est imprégnée comme les bourgeons verts dun arbre séculaire.
Je songe à une littérature, à une cinématographie, à un art figuratif nés dans lesprit de ceux qui possèdent le don dalchimiste, le don de regarder la vie avec deux iris uniques, multicolores, toutes les autres choses au monde étant dès lors perçues avec des yeux différents. Sans doute, comme dans le cas de lartiste, ont-ils été influencés par des expériences et des styles provenant dautres points du globe, mais ils possèdent tous la conscience de la terre. Chez Vanarsky on remarque sur le champ et cest naturel que son expérimentation qui, sournoisement, joue, avec le style des autres artistes, se propose et se dissimule aussitôt, faisant de nous des spectateurs enchantés. Enchantés par les actes qui résument la vie, car toute la vie saccomplit dans un seul mouvement, qui est à la fois laboratoire et synthèse de nombreux faux-pas, de courses, de chutes et de cabrioles innombrables. Cette singularité se ressent pleinement, dans lespace dun souffle, dans une planchette de bois qui derrière un engrenage mécanique tic-tac se soulève tout dun coup, sabaisse et se soulève encore, tréssaille. Et moi, qui veux ignorer la réalité de ces mouvements mécaniques, jhésite, absorbée par leffet visuel et latmosphère qui flotte
tout autour de lui : jai limpression que mes sens méchappent, qu ils vont sagripper au tronc de larbre, dans lattente de voir vraiment voler ce papillon mû par le vent.
|
Elva Clesis |
Traduit de l'italien par Gérard-Georges Lemaire |
mis en ligne le 16/11/2003 |
Droits de reproduction et de diffusion réservés; © visuelimage.com - bee.come créations |
|
Dossier Jack Vanarsky
|
|