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[verso-hebdo]
08-10-2009
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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Le regard de Shirin |
Shirin Neshat, qui a notamment obtenu le Lion d’or à la 48e Biennale de Venise, est une artiste mondialement reconnue. Iranienne vivant à New York depuis 1974, elle y est représentée par la Barbara Gladstone Gallery, et à Paris par la galerie Jérôme de Noirmont, ce qui nous vaut la possibilité de voir Games of desire, une exposition exceptionnelle (jusqu’au 21 novembre). Un grand thème parcourt l’œuvre de Shirin Neshat, qui s’exprime par le moyen de la photographie et de la vidéo : le mystère de la relation homme-femme. Elle a filmé en 2008, à Luang Prabang (Laos), une ultime expression de ce que l’on appelait autrefois les cours d’amour : des joutes chantées entre un groupe d’hommes et un groupe de femmes s’interpellant et se répondant pendant des heures au son du khène, l’orgue à bouche en tuyaux de bambou (emblème de la nation laotienne). Ce genre littéraire oral, autrefois répandu dans toute l’Asie du Sud Est, est en voie de disparition.
Il était lié aux fêtes agraires, les chants des jeunes gens prenant la forme de luttes cérémonielles permettant le jeu des amours et des alliances dans les villages. Il y avait, dans le lointain Laos, un idéal communautaire d’harmonie entre les deux sexes matérialisé par l’ambiance (moan en langue lao, un mot signifiant aussi bien la beauté de la musique que la chaleur des relations humaines), une ambiance créée par les chants propitiatoires. Cet idéal s’est perdu, les jeunes ne savent plus de l’amour que ce qu’en montre la télévision, et Shirin Neshat n’a pu réunir, pour son film, que onze chanteuses et dix chanteurs amateurs, tous âgés de 60 à 80 ans. Deux écrans se font face. Sur le premier les hommes (« Eh toi, jeune fille au loin venue de loin ! D’où viens-tu ?… »), et sur le deuxième, les femmes (« Ô mon bien-aimé aux sourcils noirs et arqués, je suis une femme pauvre… »). Ils chantent avec conviction et ils sourient, mais leurs sourires laissent voir qu’ils n’ont plus beaucoup de dents. Cette partition filmée bouleversante place le spectateur au cœur de la confrontation. Nous ne sommes pas dans la poésie des déclarations d’amour mais dans la mélancolie de la vieillesse : Shirin Neshat, en artiste et en anthropologue, nous parle d’une tradition presque perdue comme elle évoque, en creux, les jeunes d’aujourd’hui victimes du matérialisme ambiant, qui ne savent plus ce qu’est le moan. Games of desire est peut-être apparemment moins dur que ne l’était Turbulent il y a dix ans (l’opposition était alors celle d’un homme iranien chantant devant un public d’hommes, par rapport à une jeune fille chantant seule dans une pièce close, car les femmes n’ont pas droit à l’expression publique en Iran), mais il touche plus profondément aux racines de la condition humaine : la conscience de la mort. Une conscience à laquelle répondent ces admirables chanteurs avec un invincible sourire.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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