A l’occasion de l’exposition « Bonnard en Normandie » au musée des impressionnistes de Giverny, la collection « Découvertes » a réédité un Bonnard écrit par Antoine Terrasse, qui demeure un des meilleurs ouvrages d’introduction à ce peintre qui a fait ses premières armes avec les Nabis. Le jeune avocat a été un fervent du japonisme et a aussi tiré profit de l’expérience du petit groupe de Pont-Aven qui avait suivi l’exemple de Gauguin. Il se fait remarquer par ses affiches et ses productions décoratives. Mais dans son esprit peinture et arts décoratifs n’avaient pas des frontières bien marquées et ses deux activités ont fini par s’enrichir mutuellement. Après différentes tentatives de représenter le monde urbain, Bonnard s’est de plus en plus cantonné à des paysages et des scènes d’intérieurs, parfois la simple vue d’une pièce sans figures. Dans ses natures mortes comme dans ses nus, dans ses vues de la côte méditerranéenne ou dans ses jardins, il montre la même détermination : donner naissance à un microcosme pictural qui repose sur des formes simplifiées et des harmonies chromatiques chaudes et subtiles. Antoine Terrasse décrit très bien la singularité de sa démarche loin de tous les mouvements de son temps, même s’il a su tirer profit de l’impressionnisme et du postimpressionnisme. Il explore une voie parallèle à celle de Matisse, mais ne cherche pas à rivaliser avec l’auteur de La Danse – il tient à ce que ce qu’il a sous les yeux demeure tel quel malgré les métamorphoses chromatiques qu’il fait subir à l’espace.
Bonnard, « La couleur agit », Antoine Terrasse, « Découvertes », Gallimard, 144 p., 14,30 euros.
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La redécouverte de Louis Valtat (1869-1952) a été le fruit d’un long cheminement. Elle a commencé avec la rétrospective qui lui est consacrée en 1995 et ensuite par différentes expositions, dont celle qui a eu lieu en 2011 au musée Paul Valery de Sète. Peut-être a-t-on mal posé le problème.On a voulu absolument l’associer au groupe des fauves, avec lequel il n’avait pas grand chose à partager et duquel il ne s’approcha pas. Georges Duthuit avait déjà tenu à l’en distinguer, comme le remarque dans ce catalogue Ivonne Papin-Drastik. En 1905, il expose dans la salle n° XV du Salon d’automne, avec les Russes (Kandinsky, Jawlensky), alors que le petit groupe constitué par Matisse, Marquet, Manguin, Camoin et deux artistes étrangers sont présentés dans la salle n° VII qui leur a valu cette boutade de Louis Vauxcelles sur la cage aux fauves. Mais, dans
L’Illustration du 4 novembre 1905, Valtat se retrouve caricaturé aux côtés de Matisse, de Derain et du Douanier Rousseau. Quoi qu’il ne sera plus jamais associé à ce groupe par la suite. Il s’en distingue, comme l’indique avec raison Claudine Grammont, par son désintérêt pour le primitivisme et son absence de contrastes violents dans ses toiles.
Cependant, on peut considérer que le grand cycle des
Vues d’Agay (1895 et 1906) présente des tonalités fauves incontestables. Cela est aussi vrai pour des compositions exécutées en Afrique du Nord en 1906, comme
Le Café Maure à Alger ou la
Vue d’Alger. Il suffit d’observer l’évolution de ses natures mortes pour comprendre comment Valtat a mené sa recherche picturale : il n’a pas cessé un instant de se remettre en question et de tenter de nouvelles expériences. Quand on passe de la
Scène d’abattoir (1889),
la Nature morte aux grondins (1898),
Citron et mandarines (1902),
la Nature morte à l’huilier (1910), enfin la
Nature morte aux fraises (1925), on comprend qu’il ne veut pas s’enfermer dans un genre précis. Chaque œuvre est un moment de sa recherche qui ne se développe pas selon une logique moderniste.
Cela ne signifie pas que Valtat doive être mis au ban de la société des grands artistes de son temps. C’est un marginal, sans aucun doute, mais aussi un peintre qui démontre avoir de l’audace : Les
Rochers rouges et la
Vue d’Anthéor, par exemple, prouvent qu'il a été capable de la même insolence dans le contraste des couleurs et leur caractère abstrait que les fauves.Il démontre une grande originalité dans sa peinture et révèle une force indubitable dans sa manière d’agencer les figures et les tons. Ses toiles sont prenantes, souvent émouvantes et captivantes. Il peut exister seul et mérite d’être réhabilité.
Louis Valtat, à l’aube du fauvisme, Editions midi-pyrénéennes / musée de Lodève, 352 p., 42 €.