Bibliothèque de l’amateur d’art

par Gérard-Georges Lemaire

mis en ligne le 01/09/2011

Wols (Alfred Otto Wolfgang Schulze, 1913-1951) est sans nul doute l’une des figures les plus singulières de l’Ecole de Paris au sortir de la Seconde guerre mondiale. Sa disparition prématurée n’a pas empêché le fait qu’il soit resté dans notre mémoire : sa manière d’envisager l’art abstrait n’a pas son égal. Mais on a oublié qu’à l’occasion de sa première exposition à la galerie René Drouin en 1945, il a publié un petit opuscule avec ses aphorismes. Ils se présentent comme des poèmes, mais se limitent à être l’enregistrement de ses pensées. Celles-ci sont de caractère plus métaphysique qu’esthétique : il parle de l’éternité, de l’univers, des moyens de l’explorer spirituellement. Ce qui nous frappe dans ses pages c’est d’abord la richesse de ces réflexions et aussi leur caractère curieux et « insolent » : c’est une manière d’envisager les choses avec une bonne dose de scepticisme (il croit que Dieu a été plus aimable pour les insectes que pour les hommes). Ce mélange de réalisme et de désir de dépassement engendre une vision très étrange et qui sonne pourtant juste. Ces pages sont aussi une autobiographie et une collection d’images presque surréalistes. C’est sans cesse plus surprenant et captivant. Et quand il parle de l’art, de la littérature, il n’est pas tendre, mais souvent drôle. Par exemple, quand il parle du sens de la vue, il écrit : « Pour savoir voir/il ne faut rien savoir/sauf savoir voir. » Et tout à l’avenant. C’est donc un recueil précieux pour connaître ce grand artiste, mais aussi pour apprendre à aborder une œuvre d’art.
Les Aphorismes, Wols, préface de Hans-Joachim Peterson, Flammarion, 192 p., 35 €.

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De Jean Fautrier, au fond, on connaît mal les débuts. Et on a du mal à comprendre qu’il a été un artiste qui a amené l’essentiel de sa recherche abstraite bien avant l’avènement de l’Ecole de Paris. C’est en 1928 que naît l’idée d’une suite de lithographies inspirées par l’Enfer de Dante Alighieri. Ce projet ne va à son terme. Mais il avait réalisé la plupart des planches. Cela se passe à l’époque où il fait la rencontre d’André Malraux à Port Cros (rencontre fructueuse puisque l’artiste présente ses œuvres à la galerie de la NRF en 1933). C’est aussi une période de métamorphose, car il va ensuite changer tout dans sa façon de concevoir la peinture. L’Enfer n’est pas entièrement abstrait : comme dans les tableaux de l’époque, on devine des formes, parfois on les distingue assez nettement, mais l’esprit de ce qu’il peint est déjà tourné vers l’abstrait. Ce cycle est surprenant car il ne parvient pas à rendre le caractère épouvantable de ces sphères inférieures. Il joue sur des registres très subtils même s’il utilise des teintes fortes et présente des images qui peuvent être frappantes. C’est tout le paradoxe de cet artiste très intériorisé. Le texte analyse avec beaucoup de sagacité la démarche de cet homme si passionnant et fait que l’ouvrage est une véritable introduction à sa jeunesse artistique (il vient à peine d’entrer dans ses trente ans). Ce qui est passionnant est qu’on découvre, en même temps que ces lithographies, les toiles qu’il a composées en parallèle. En somme, ce livre fait partie des ouvrages initiatiques qui dépassent les termes de l’histoire de l’art pure et simple.
L’Enfer de Fautrier, Yves Peyré, Pagine Arte, 156 p., 36 €.

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