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[verso-hebdo]
01-05-2013
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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De l’Allemagne au Louvre : provocation ou inconscience ? |
Depuis la mi-avril, la presse française fait assez largement écho à la polémique qui a envahi la presse allemande à propos de l’exposition De l’Allemagne, 1800-1939, de Friedrich à Beckmann au Louvre (jusqu’au 24 juin). L’hebdomadaire Die Zeit accuse le Louvre d’accréditer « la thèse d’un chemin isolé de l’art allemand qui aurait mené directement vers le national-socialisme » et la Frankfurter Allgemeine Zeitung se scandalise de ce que le Louvre confirme « tous les clichés d’un voisin allemand dangereusement romantique et sombre », « d’un pays pris entre des forces obscures qui va tout droit vers le national-socialisme, en passant par le romantisme et l’expressionnisme ». Il est vrai que l’exposition s’arrête en 1939 avec un extrait d’un film de propagande nazie de Leni Riefenstahl. Die Zeit a publié une longue lettre « surprise et peinée » d’Henri Loyrette, mais le mal est fait, et les dénégations, si justifiées soient-elles, de Sébastien Allard, commissaire de l’exposition, ne pourront rien à la désagréable impression créée outre-Rhin par au moins une erreur majeure, soulignée dans Die Zeitt par Rebecca Lamarche-Vadel, jeune critique française ayant longtemps vécu à Berlin : dès le début du parcours, une œuvre d’Anselm Kiefer « suggère que la catastrophe allemande était inéluctable ». Elle a raison : il me semble utile de dire pourquoi.
Laissons de côté l’exposition elle-même - excellente, elle attire 3500 visiteurs par jour - et demeurons dans le vaste hall circulaire par lequel il faut passer pour entrer et sortir : ses cimaises sont recouvertes par neuf immenses compositions noir et blanc d’Anselm Kiefer datées de 1982, auxquelles a été ajoutée une dixième, réalisée en 2013, qui place le tout sous le signe de « Mdme de Staël » (sic). Il est précisé que cette présence bizarre de Kiefer (n’oublions pas que l’exposition s’arrête en 1939) a « bénéficié du soutien de la galerie Thaddaeus Ropac ». Il s’agit de gravures sur bois collées sur toile, toutes sont traversées verticalement par des barres noires qui rappellent étrangement des troncs d’arbres calcinés parsemant des champs de bataille. Toutes portent des mentions écrites de la main de l’artiste telles que der Rein, die Lorelei, melancolia, Atlantik-Wall et, surtout et à deux reprises dem unbekannten Maler. Cette dédicace « au peintre inconnu » est placée sous une représentation de la chancellerie du IIIe Reich. Cela nous ramène donc au tableau de 1983 (208 x 380,5 cm), Dem unbekannten Maler, qui fit un effet considérable quand il fut exposé à la Kunsthalle de Düsseldorf et au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1984.
Le tableau représentait le péristyle de la cour d’honneur de la chancellerie du Reich construite par l’architecte nazi Albert Speer pour le peintre raté qu’avait en effet été Adolf Hitler, recalé à l’Ecole des Beaux-Arts de Vienne. Pourquoi Kiefer a-t-il dédié son tableau, et les dessins aujourd’hui présentés au Louvre, à un « peintre inconnu » qui ne peut être que le dictateur ? La puissance terrible de ses œuvres des années 80 était mise au service d’effets tragiques puisés aussi bien dans les légendes wagnériennes que dans l’idéologie nazie, et il paraissait fort acrobatique d’écrire, comme le fit Mark Rosenthal, que Kiefer avait « sauvé » l’architecture néo-classique de l’emprise nazie (« il enlève l’art à Hitler et le rachète »). Bref : quelles que soient ses intentions, Anselm Kiefer doit sa célébrité à la sinistre ambiguïté de ses travaux des années 80 qui nous plongent dans l’histoire du IIIe Reich. Placer ces travaux en exergue de l’exposition du Louvre relève soit de la provocation soit de l’inconscience. Dans les deux cas, les réactions outrées de la presse allemande sont parfaitement compréhensibles.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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