Daniel Druet, sculpteur et prix de Rome, spécialiste des statues de cire présentes notamment au Musée Grévin, compte Maurizio Cattelan parmi ses clients. C'est lui qui a par exemple réalisé Him en 2001. Souvenons-nous : ce « lui », c'était Hitler, celui qui déclencha les plus effroyables malheurs jamais connus par l'humanité. Lorsqu'on l'apercevait de loin, en 2005 dans un coin d'une salle du Palazzo Grassi à Venise, lors de l'exposition inaugurale de la collection Pinault, on s'approchait en se demandant qui était ce garçonnet à genoux, vêtu à la mode des années 30. Il fallait faire le tour pour subitement découvrir l'effrayante moustache du jeune priant et l'on était pris par un profond malaise. Car cette figure allait au-delà du simple blasphème : Cattelan, qui la présentait sous son seul nom, semblait vouloir rendre touchant, plutôt sympathique, le criminel le plus dangereux de l'histoire du monde. Avant de devenir la propriété de François Pinault, Him avait été exposé à Stockholm quatre ans plus tôt en suscitant un énorme scandale. Cattelan s'était mal défendu en affirmant qu'il ne faisait que « mettre en scène une icône du XXe siècle ». Il déclarait alors que l'art n'était pour lui qu'une « aire de jeu ». Pour lui, tout pouvait donner lieu à plaisanterie, même le pape Jean-Paul 2 représenté grimaçant, renversé et écrasé par une météorite (La Nona Ora, 1999, également réalisée par Daniel Druet, présentée en 2001 à la Biennale de Venise, puis vendue 2,7 millions de dollars en salle des ventes).
Or voici que Druet, auteur de huit des « oeuvres » de Cattelan qui jamais ne l'a associé à ses expositions, se rebiffe : il a porté le problème devant les tribunaux, qui ont commencé à en débattre le 13 mai. Druet demande à être reconnu comme l'auteur exclusif de ces figures livrées à Cattelan pour des sommes modestes (de l'ordre de 15.000 euros). On imagine que les avocats de ce dernier le présenteront comme celui qui a eu « l'idée » en tant qu'artiste, et peu importe qui a matériellement réalisé cette idée. Or il faut dire aux juges que, selon ses déclarations, Maurizio Cattelan n'est pas un artiste, ce qui peut changer bien des choses. « Je ne me considère pas comme un artiste. L'art, c'est juste un boulot que j'ai choisi parce qu'on m'a dit qu'on voyageait beaucoup, qu'on y gagnait de l'argent et que les filles vous tombaient dans les bras. » (Le Figaro, 15 octobre 2007). Tâchons de comprendre la mécanique Cattelan avec un seul exemple.
Aussitôt parvenu à la notoriété avec quelques provocations, Cattelan, qui a eu l'occasion de souffrir de ses origines sociales modestes, ne s'est pas privé d'exercer une sorte de vengeance sociale dont l'exemple le plus spectaculaire a eu pour cadre le vernissage de la Biennale de Venise 2001 où il était représenté par La Nona Ora. Sur son invitation lancée par son marchand Emmanuel Perrotin avec la complicité du commissaire général Harald Szeemann, il a mis 150 collectionneurs parmi les plus importants du monde, réveillés tôt le matin, dans un avion pour Palerme, puis dans des autocars qui les ont conduits à Bellolampo : la plus grande décharge d'ordures de la Sicile. Là, les invités ont pu voir « l'oeuvre » de Cattelan que l'on inaugurait : à mi-hauteur d'une colline, dans la puanteur de la décharge, des lettres de 20 mètres de hauteur formant le mot HOLLYWOOD. Sous le regard ironique de François Pinault (observé par Harry Bellet pour Le Monde), celui qui avait financé l'opération, ce beau monde international fut convié à un buffet élégamment dressé par des serveurs en veste blanche à galons dorés, toujours au milieu des détritus. Les 150 snobs étaient ravis sans comprendre qu'ils étaient victimes d'une simple provocation, et Maurizio Cattelan savourait sa revanche. Maurizio Cattelan, un artiste comme l'ont prétendu ses avocats le 13 mai ? La justice va en décider le 8 juillet, et l'on attend sa décision avec intérêt : s'ils suivent les arguments des défenseurs de Cattelan, la provocation devient juridiquement un art. Et si par hasard ils ont connaissance du contenu de cette lettre, il est moins certain que Daniel Druet soit débouté ! On peut rêver...
www.mauriziocattelan.altervista.org
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