L'espace Julio Gonzales d'Arcueil présente, jusqu'au 12 mars, un hommage à Paul Rebeyrolle (mort en 2005) dont la commissaire est sa fille Nathalie, qui dirige la fondation Rebeyrolle à Eymoutiers Haute Vienne), et qui observe avec une légitime amertume que les musées nationaux français n'ont jamais rien fait pour la défense de la peinture de son père. Elle a raison : Rebeyrolle fut un immense peintre qui n'eut jamais droit à la reconnaissance officielle qu'il méritait cent fois. Mais ce farouche individualiste voulait-il être reconnu ? Ce peintre, lithographe et sculpteur fut résolument expressionniste, et l'Espace Julio Gonzales indique qu' « il est rattaché au courant de la Nouvelle figuration ». Sans doute, mais il se trouve qu'en 2003, chargé par Catherine Tasca, ministre de la culture, de rédiger un ouvrage sur la Nouvelle figuration (1), je me suis heurté au refus catégorique de Rebeyrolle de me confier des ektachromes de certaines de ses oeuvres : il ne voulait pas faire partie du mouvement, contre toute évidence ! Je dus passer outre, évidemment. Ce peintre engagé, ce peintre politique était d'abord un solitaire ombrageux. Ici, je dois me corriger tout de suite en me souvenant d'une observation de Jean-Paul Sartre (qui l'admirait) : « C'est de la peinture qui n'est pas exactement politique, parce que, avec ça, il est sorti du Parti communiste, mais il n'est pas entré ailleurs : réaction de l'homme qui, en face de certaines réalités du groupe dans lequel il est engagé, réagit en les montrant dans son art, dans sa peinture, et se retire de ce groupe. C'est un exemple, justement, où l'on voit qu'engagement et politique sont des choses qu'il faut distinguer, pas toujours nettement, mais distinguer quand même. » (2)
Le véritable premier Salon de la Jeune Peinture eut lieu en 1954 au Musée d'art moderne de la Ville de Paris sous la présidence du critique Pierre Descargues, mais c'était Rebeyrolle, alors âgé de 28 ans, vice-président, qui en était l'âme. Alors communiste, mais opposé au réalisme socialiste, il pouvait exposer cette même année dans la prestigieuse galerie Marlborough de Londres (la galerie de Francis Bacon) une recherche picturale cherchant un équilibre entre peinture politique et paysagisme abstrait. Ayant quitté le Parti communiste en 1956, il se rendit à La Havane en 1967 avec ses camarades de la Jeune Peinture pour voir ce qu'était le castrisme, mais il ne participa pas au Salon de la JP cette année là, laissant l'animation très politique à Eduardo Arroyo. Dès lors il s'enferma dans son atelier (il y passait sept jours sur sept de 6 h du matin à 7 h du soir précise Nathalie Rebeyrolle) et ne fit plus que peindre, mais sans quitter le champ de bataille où se heurtent les profiteurs et les victimes des lois du monde. C'est ce que démontra en 1979 le crique Michel Troche qui avait pu réunir au Grand Palais, de juin à août, les grandes peintures réalisées entre 1968 et 1978, notamment la série « Faillite de la science bourgeoise ». Ce n'était pas une exposition officielle (j'ai dit plus haut que le MNAM a toujours été fermé à Rebeyrolle comme à Velickovic et à d'autres grands peintres de la scène française) et l'on comprend pourquoi si on lit dans le catalogue le texte de Samir Amin : « La révolte de Paul Rebeyrolle est ample, totale et aussi lucide qu'il soit possible à notre époque. Sa puissance d'artiste et sa clairvoyance révolutionnaire ont produit cette combinaison exceptionnelle qui fait la grande peinture de notre époque. » Courez à Arcueil pour le vérifier.
- La Nouvelle figuration. Ed. Cercle d'art et Ministère de la Culture, 2003.
- Revue Obliques n°24-25, Sartre et les Arts, 1981.
P.S. Sergio Birga, récemment disparu, qui fut lui aussi un acteur important de la Jeune Peinture dans les années 60, était peintre mais aussi graveur. C'est cet aspect de sa création que présentera, du 10 mars au 17 avril, la galerie Saphir (69 rue du Temple 75003) sous le titre Vitae xilografia, Sergio Birga, le parcours d'un graveur. Une exposition à ne pas manquer. www.galeriesaphir.com
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