L'exposition Julie Manet au Musée Marmottan-Monet durera jusqu'au 20 mars. Née le 14 novembre 1878, la fille de Berthe Morisot, orpheline à 16 ans, est au centre d'une extraordinaire configuration humaine et artistique : vers elle convergent les familles Manet et Morisot, mais aussi la famille de son mari, Ernest Rouart dont le père a rassemblé une admirable collection. Sans parler des grands amis qui veillent sur elle : Degas, son subrogé-tuteur (qui arrangera son mariage) et Renoir surtout (qui multipliera les portraits d'elle). L'idée de cette passionnante exposition placée sous le commissariat de Marianne Mathieu, directrice scientifique du Musée Marmottan-Monet et également responsable du richissime catalogue (324 pages, 45 euros, éditions Hazan) est excellente, elle offre une mine d'informations et l'occasion de découvrir ou redécouvrir des oeuvres de premier ordre.
Ne retenons que deux exemples. D'abord, la place de Berthe Morisot est essentielle : parce qu'elle est la mère, qu'elle est peintre et qu'elle a naturellement beaucoup représenté sa fille unique, mais aussi parce que l'un de ses plus beaux chefs d'oeuvres est venu du Musée Fabre de Montpellier : la Jeune Femme assise devant la fenêtre de 1879 peint immédiatement après la naissance de Julie. Le génie de Morisot saute aux yeux : le caractère formel de la figure est absolument nouveau. La peintre a l'audace de rompre avec l'anthropocentrisme en vigueur depuis la Renaissance, même chez ses amis impressionnistes. Elle fait de son modèle un simple fragment de nature : la jeune femme se fond dans le décor, on ne sait si un groupe de fleurs appartient à sa coiffure ou au buisson qui l'entoure. Ce tableau est bien davantage qu'un splendide morceau de peinture : il apparaît comme le fruit d'une réflexion novatrice sur les rapports entre l'être et son environnement.
Ensuite, il y a plusieurs portraits connus de Berthe par Edouard Manet, et surtout le merveilleux Portrait de Berthe Morisot à l'éventail de 1874 venu du Musée des Beaux-Arts de Lille. On ressent à la fois l'admiration du peintre pour son modèle et la complicité qui le lie à elle : il déploie vraiment ici les meilleures ressources de son génie. C'est la fin du « roman avec Berthe », comme l'écrit son biographe Pierre Daix, « ... Et, au-delà de tout ce qui les rapproche intellectuellement et sentimentalement, il y a évidemment ce fait qu'elle lui apparaît comme un modèle rêvé. A lui qui a en quelque sorte prélevé Victorine pour sa peinture, voici que son milieu lui apporte un modèle parfait, une beauté singulière, hors des normes, et une jeune fille qui le captive et le bouleverse. » (P. Daix, La vie de peintre d'Edouard Manet, Fayard, 1983). Rien que pour ces deux chefs d'oeuvres, de Berthe Morisot et Edouard Manet, il faut courir voir cette exposition où se trouvent aussi La Dame en bleu de Corot et cinquante autres oeuvres épatantes.
www.marmottan.fr
|