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[verso-hebdo]
10-02-2022
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Ce qui est arrivé par la peinture, textes et entretiens, 1953-2006, Simon Hantaï, édition établie et présentée par Jérôme Duwa, L'Atelier contemporain, 296 p., 25 euro.

Simon Hantaï (Bia 1922 - Paris 2008). Issu d'une famille souabe, catholique et de langue allemande, il commence à faire des études d'ingénieur, mais abandonne cette idée et décide rapidement de s'inscrire à l'Ecole des Beaux-arts de Budapest. Il prend un nom d'emprunt, Hantaï (ce n'était pas une coquetterie d'artiste, mais le désir de son père). Il est fermement antinazi et est arrêté en mars 1944 par les Croix fléchées, mouvement fasciste quand ses membres prennent le pouvoir et quand les Allemands envahissent le pays. Il se marie en 1948 avec Zsuzsa Biro, elle-même peintre, et le jeune couple songe à se rendre en France. Mais les choses traînent et ils finissent par aller en Italie dans un premier temps. Ils vont à Rome, puis à Florence, et découvrent la peinture italienne des siècles passés. Ils finissent par arriver à Paris à l'automne 1948. Mais Hantaï apprend que la bourse d'étude qu'il avait demandée lui avait été refusée. Ils décident de rester néanmoins dans la capitale française. Ils s'installent dans un modeste hôtel de l'Ile-Saint-Louis, puis rue Servandoni près de l'église Saint-Sulpice. Enfin, ils trouvent refuge dans le XVIIe arrondissement. Hantaï découvre, en dehors de ce qu'il peut voir au musée du Louvre, des peintres comme Henri Matisse, Pablo Picasso, Wols, André Masson, etc., dans les différentes galeries de la capitale. Il subit des influences très diverses, mais aucune ne parvient à l'emporter sur toutes les autres.
Il expérimente diverses technique, le grattages (comme le frottage et le collage) et a bien du mal à trouver une orientation bien définie. Il oscille entre la figuration et l'abstraction. Il ne s'insère pas vraiment dans la perspective de l'Ecole de Paris. Il parvient à exposer avec un groupe d'artistes (dont des Américains) pour la première fois à la galerie Huit en 1950. A la fin de l'année 1952 il dépose une petite oeuvre devant la porte d'André Breton rue Fontaine (celui-ci avertit qu'il ne souhaite recevoir personne !). Peu de temps après, il voit son tableau dans la vitrine de la galerie L'Etoile scellée. Il se fait alors connaître de l'auteur des Manifestes du surréalisme. Les deux hommes sympathisent et Breton écrit la préface de sa première exposition personnelle en 1953.
Il l'invite aussi à collaborer à la revue Médium, qui va paraître sous peu. Environ un an plus tard, il écrit avec Jean Schuster « Une démolition au platane ». Ces pages font le bilan du surréalisme au sortir de la guerre. Elles devaient être publiées dans Médium. Mais devant l'indifférence des surréalistes, et surtout leur hostilité à l'idée à la dissolution du groupe, il rompt avec eux. Il fait une dernière exposition de caractère surréaliste en 1955 qui s'intitule « Alice in Wonderland ». Hantaï voyait une relation intime entre l'action painting de Jackson Pollock et l'écriture automatique, ce que Breton ne voulait pas admettre. Hantaï s'emploie alors à faire une peinture plus abstraite avec des empâtements. Il découvre alors l'art de Georges Mathieu et s'en inspire.
En 1956, il présente une exposition, « Sexe-Prime. Hommage à Jean-Pierre Brisset » à la galerie Kléber. Dans la même galerie, il présente avec Mathieu « Les Cérémonies commémoratives de la seconde condamnation par l'Eglise de Siger de Brabant, adversaire de Thomas d'Aquin, le 7 mars 1277 ». A cette époque, il est essentiellement abstrait et gestuel. Mais il se brouille avec Mathieu et expose avec Jean Degottex et Judith Reigl, sur laquelle il écrit un petit essai (reproduit dans cet ouvrage). Cette même année, il fait un entretien (passionnant) avec Georges Charbonnier pour la RTF, qui a été mis sous presse. La même année, il rédige un « Manière d'introduction au climat préparatoire de l'oeuvre ».
C'est un longue manifeste, presque une confession, où il énonce les grandes lignes de sa conception d'une peinture qui se trouve en grave péril. Il conclut en affirmant : « Quant à la peinture, dans ses apparences, elle tente sa dernière valorisation, à la limite entre sa disparition et le tombeau du Sauveur-Malraux, entre le tombeau vide non imaginaire et le tombeau-musée imaginaire, mais réel. » En 1966, il contribue au Cahier de l'Herne sur Henri Michaux, poète et dessinateur qu'il admire depuis longtemps déjà. Il a aussi fait un entretien avec Geneviève Bonnefoi, grande prêtresse de l'art abstrait. Au tout début des années 1960, Hantaï commence à réaliser ces pliages qui font le rendre célèbre et qui le place parmi les grands acteurs de la peinture de son temps après bien des errances.
La galerie Fournier de Paris, où il expose régulièrement, est déjà devenu un lieu de pèlerinage pour ses admirateurs. Cette technique est dès lors sa marque de fabrique et se trouver en accord avec les recherches qui ont lieu à cette époque. Les premières oeuvres de ce genre, avec les réserves blanches » sont nommées Le Mur, Mariales, ou encore Les Manteaux de la Vierge.
En 1974, le Centre Pompidou lui consacre une importante rétrospective. Dans le catalogue de cette exposition, Alfred Pacquement et Jean-Michel Meurice conversent avec lui. Une rétrospective de lui est présentée en 1976 au Musée d'Art moderne de la ville de Paris.
En 1977, Meurice s'entretient une fois avec lui quand il expose chez Fournier ses « Peintures et ensembles variables ». Il lui expose en détail comment il a conçu le cycle « Meun ». Il a un autre long entretien avec Jean Daive en 1981, puis avec Dominique Fourcade, l'année de son exposition au CAPC de Bordeaux. A partir de ce moment, son existence est ponctuée de grandes expositions en France et à l'étranger, de New York à Osaka. Soudain, au début des années 1980, il refuse toute proposition et se réfugie dans un silence obstiné. Il n'écrit plus que de courtes notes sur quelques tableaux à la fin des années 1990. Il disparaît en 2008, toujours enveloppé de ce silence qui a suivi son triomphe.




Le Soleil et l'envol, à la rencontre de Simone Boisecq et Karl-Jean Longuet, sculpteurs, Anne Longuet Marx, L'Atelier contemporain, 208 p., 30 euro.

Cet album nous invite à faire connaissance avec deux sculpteurs dont nous ignorons tout : Simone Boisecq (1922-2012) et Karl-Jean Longuet (1904-1981). La première est d'origine bretonne, mais a grandi à Alger, née d'une mère pianiste et d'un père poète. Elle a toujours aimé le modelage, mais ne s'est véritablement consacrée à la sculpture que lorsqu'elle est venue vivre à Paris. Elle est devenue journaliste avant de se consacrer pleinement à l'art. Quant au second, il est un descendant de Karl Marx. Il a étudié son art en compagnie des oeuvres de Rodin et de Maillol. Il participe à la résistance et son atelier sert de lieu de rencontre des FFI. Il fait la connaissance de Constantin Brancusi en 1947 et cette rencontre a été décisive pour lui. Simone Boisecq est une jeune journaliste de l'AFP quand elle le rencontre en 1947. Très vite, un lien se tisse entre eux. Elle décide de risquer le tout pour le tout en s'initiant à la sculpture. Cette même année, le couple rencontre Ossip Zadkine, puis Oscar Dominguez avec lequel ils deviennent amis.
En 1952, elle fait une exposition baptisée « Objets sauvages ». Leurs aventures esthétiques s'enchevêtrent comme leur existence. L'auteur relate la biographie de ces deux artistes qui deviennent amants et puis se marient. Ils ont partagé à partir de 1949 le même atelier pendant trois ans tout en conservant leur indépendance. Quant à Karl-Jean Marx, il collabore avec l'architecte René Blanchot, le frère de l'écrivain, et trouve dans la musique, surtout celui de Jean-Sébastien Bach, une source d'inspiration.
Il baptise une de ses sculptures La Musique en 1952. Il exécute ensuite un Balzac, qui est installé dans la maison de l'écrivain rue Raynouard. Vient ensuite un Orphée. Bien que de plus en plus abstrait, il conserve encore des éléments très stylisés du corps humain. Quant à elle, ses volumes ressemblent à des arbres imaginaires. Bien entendue, ce sont surtout les souvenir de la mère qui ont permis la reconstruction de ces carrières si étroitement liées.
Ce livre est plutôt atypique dans sa construction. Mais l'auteur a compensé cette tendance audacieuse par une documentation sérieuse et aussi un sens de la synthèse. Enfin, le volume est abondamment illustré. Nous découvrons ainsi deux figures remarquables de l'après-guerre qui méritent d'être découvertes car elles donnent plus d'espace à l'art de la sculpture, souvent considéré comme la propriété de rares artistes devenus célèbres en France comme Giacometti, Richier ou Calder. Il ne s'agit pas seulement de combler un trou dans la mémoire collective, mais d'aller à la rencontre de deux créateurs qui ont eu une démarche très originale et prolifique.




Penser la perception, Jean Daive, L'Atelier contemporain, 400 p., 25 euro.

Jean Daive est un poète, qui s'est affirmé chez Gallimard : il y faisait partie d'un cercle très fermé qui s'était orienté vers ce qu'on appelait (non sans malice) la « poésie blanche ». Il a été aussi traducteur (il a traduit Paul Celan et Robert Creeley, entre autres). Il a été le créateur de plusieurs revues dont les plus connues sont fragment et fig.. Il a collaboré longtemps à France Culture, d'abord aux « Nuits magnétiques », puis il a créé sa propre émission, « Peinture fraîche », qu'il a dirigée de 1999 à 2007. Ce recueil contient aussi bien de petits essais que des entretiens qu'il a réalisés au fil de sa longue et riche carrière. Il déclare à ses lecteurs qu'il a conçu ce livre comme un roman.
Il précise : « Montrer des artistes à des moments différents, montrer des artistes en des endroits différents, poser presque les mêmes questions, ou poser des questions différentes, montrer ce qui existe et montrer ce qui change, comme par exemple une manière de montrer un transitoire malgré un variant des questions posées qui n'exclut pas une discipline - tel est l'enjeu du livre : il raconte les vies du mouvement. » C'est une ambition sérieuse, risquée, mais dont il a su se rendre maître. Contrairement à ce qu'on pourrait attendre, il ne se consacre pas uniquement aux arts plastiques. Il y évoque des figures illustres du cinéma, comme Jean-Luc Godard, Joris Ivens, Jean-Marie Straub & Danièle Huillet, Chantal Ackerman, mais aussi à des photographes célèbres comme Gisele Freund ou Helmut Newton.
Et quand il s'agit de retrouver le champ spécifique de l'art, il s'intéresse aussi bien aux peintres - tels Gérard Garouste, Jean-Michel Alberola, Pierre Tal-Coat, Hervé Télémaque - qu'à ceux qui sont passés de l'autre côté du miroir, comme Michel Broodthaers, Bernard Plossu, Niki de Saint-Phalle, Jean Tinguely, etc.
Enfin des écrivains sont convoqués à leur tour : Margueritte Duras, André du Bouchet, Francis Ponge, etc. Somme toute, Jean Daive n'a pas eu ici le désir de cerner un pan de l'art contemporain, mais plutôt de traiter une vaste question (celle du percevoir) à travers un grand nombre de moyens d'expression que met à notre disposition notre culture. Son « roman » est des plus intéressants, même si procède par fragments, car c'est ainsi que l'édition ou que la radiophonie procède. Malgré ce principe syncopé, même décousu, il parvient à retenir notre attention pour nous faire connaître - ou pour faire beaucoup mieux connaître - des créateurs dont la plupart ont acquis une certaine notoriété ces dernières décennies. C'est un livre indispensable pour compléter notre connaissance du temps présent et pour découvrir en même temps les diverses démarches de tous ces artistes, cinéastes, photographes ou hommes et femmes de lettres. Il a acquis une immense expérience, qu'il tient à nous faire partager non plus au détour d'une revue ou au cours d'une émission de France Culture mais dans un long et surprenant voyage à travers toutes ces modalités innombrables du voir et de transposer le voir, car la vision est l'instrument clef de la découverte de l'univers, d'autant plus que les figures éminentes qu'il a invitées ont chacun un oeil particulier, qui ne fait pas qu'écouter.
Jean Daive est un puits de science, mais aussi un observateur des différents arts qui a su retenir les aspects les plus notoires et les plus éclairants. Il faut saluer ce poète qui a si bien su entendre et déchiffrer les autres modes artistiques et se plonger dans ce livre, qui est sérieux, mais pas abscons.




L'Aumaille, Kristell Loquet, dessins de Daniel Dezeuze, L'atelier contemporain, 128 p., 15 euro.

Quand on parcourt cet ouvrage, on ne peut s'empêcher de songer à cette littérature « expérimentale » qui a suivi le Nouveau Roman (je ne parler pas de la poésie concrète ou de la poésie visuelle). Il y a eu une période où des auteurs ont tenté d'aller jusqu'aux confins de l'art romanesque. De nos jours, on a le sentiment que nous vivons une réaction avec un retour au roman classique (on pourrait même dire au roman de gare). Kristel Loquet a donc eu le courage de reprendre cette histoire interrompue (celle de Sollers - je pense à Paradis), de Guyotat (celui de Tombeau pour cinq cents mille soldats) et d'un certain nombre d'ouvrages parus dans la collection « Le Chemin » dirigée par Georges Lambrichs chez Gallimard et jusqu'aux excès de la revue TXT. Presque pas de ponctuation, pas de majuscules, ni même de trame solidement construite. Mais l'auteur ne s'est fait le disciple de tous ces écrivains en rupture (provisoire) de ban. Kristell Loquet a inventé son propre langage et aussi sa propre logique au-delà de la logique ordinaire. Elle a donné une explication pour son titre qui ne peut que nous intriguer : il viendrait du latin animalia, qu'on attache aux grands animaux et qui fait aussi penser à l'anima.
Tout cela a une résonance toute aristotélicienne ! (Le philosophe avait classé les animaux en fonction de la nature de leur âme avant de penser à la stricte biologie). En fin de compte, les paragraphes se lisent mieux qu'on pourrait l'imaginer. Au début de cette histoire, apparaît un personnage, virginie (sic), dont on ne sait s'il est réel ou inventé. Il nous entraînez dans un monde de souvenirs, et nous sommes entraînés dans un territoire rural. Aussi paradoxal que cela puisse sembler, nous avons affaire à un roman assez traditionnel ! L'histoire autour de la ferme des grands parents de l'héroïne, qui nous confie ses pensées intimes et ses relations à ce passé qui l'a tant marqué. Difficile de dire ce qu'on a pu retirer de cette lecture. Une certaine insatisfaction sans aucun doute, car il n'est pas aisé de s'habituer à ce système d'écriture et puis une relative déception car le dit système n'apporte pas beaucoup de choses à ce que l'auteur veut nous faire découvrir de son personnage et de sa vie intérieure. Laissons donc les choses en suspens et chacun se fera son opinion. Je m'abstiens, car je ne suis pas parvenu à entrer dans cette manière d'architecturer une saga telle que celle-ci.
Gérard-Georges Lemaire
10-02-2022
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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