Bernard Rancillac est mort le 29 novembre 2021 à l'âge de 90 ans. La presse a salué unanimement le peintre essentiellement « politique », co-fondateur (avec Hervé Télémaque) du mouvement de la Figuration narrative en 1964 avec la célèbre exposition « Mythologies quotidiennes » au Musée d'art moderne de la Ville de Paris. C'était un peintre important, mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'avait pas le caractère facile. Tout récemment, pour la dernière de ses participations à une exposition collective, que je présentais en mars 2021 à New York (Narrative Figuration 60s-70s, Richard Taittinger Gallery) il avait fait les pires difficultés car certains exposants, pourtant figures historiques du mouvement, ne lui convenaient pas. Tel qu'il était (parfaitement conscient, se qualifiant lui-même « d'emmerdeur »), il avait apporté des idées géniales au renouvellement nécessaire de la peinture en France, engluée dans diverses abstractions dans les années 60. Il se trouve que, d'avril à septembre 2004, j'avais réalisé avec lui un livre d'entretiens initié par le collectionneur Daniel Payan. Le livre attend toujours d' être publié. Il contient de nombreuses anecdotes de nature à mieux connaître la personnalité et l'itinéraire de Bernard Rancillac, peintre français. Je le cite :
« Pour ne parler que de moi, je me demande encore pourquoi Blaise Gauthier m'a invité à exposer rue Berryer (1971, Centre National d'Art Contemporain, exposition « Le Vert »). J'avais commencé par demander une préface à Michel Leiris qui était venu voir mon atelier et qui, après avoir hésité semble-t-il, s'était récusé : je pense que le maoïsme, présent dans mes peintures, lui avait fait peur. Là-dessus j'ai pensé à Gilbert Mury, qui a accepté. C'était un agrégé de philo tellement à gauche - il était maoïste, proche du stalinisme albanais - qu'il était interdit d'enseignement. Il a tout de suite compris que je venais lui offrir une tribune, et il en a profité à fond. Son texte est arrivé très en retard : quand j'ai téléphoné au commissaire de mon exposition, Maurice Eschapasse, que je l'avais enfin reçu, il m'a donné immédiatement rendez-vous chez l'imprimeur parce qu'il n'y avait pas une minute à perdre. Il a donné le texte à composer sans le lire, ce qui fait qu'un peu plus tard, Blaise gauthier a été convoqué par le ministre de la culture Jacques Duhamel je crois, rouge de colère : « Gauthier, êtes-vous tombé sur la tête ? »
« Il brandissait ce fameux texte. Gauthier n'a pas pu avouer qu'il ne l'avait pas lu, mais il a aussitôt engueulé Eschapasse qui ne l'avait pas lu davantage. Eschapasse n'avait plus qu'à me téléphoner pour tenter de me mettre dedans, mais je ne me suis pas laissé faire : « je ne suis pas fonctionnaire, et je ne puis rien au fait que vous n'avez pas fait votre travail ! » Ils ont dû imprimer d'urgence une feuille insérée dans le catalogue aux termes de laquelle « Bernard Rancillac tient à ce que le texte de Gilbert Mury fasse partie intégrante de son exposition, mais il en garde l'entière responsabilité. » Là-dessus je ferme mon exposition le soir du vernissage alors que quatre cents invités se disposaient à entrer ! J'aggravais mon cas, et beaucoup de gens s'en souviennent encore aujourd'hui. Rancillac a la réputation d'être ingérable. Ce que pensent de moi les officiels de l'art peut se résumer à peu près ainsi : « ce type est prêt à tout pour nous emmerder ». Dans ces conditions, on s'explique que je ne sois pas l'invité préférentiel du Musée National d'art Moderne, et je me demande même comment j'ai pu faire depuis quarante ans ce que l'on appelle une carrière. » Mais oui Bernard, tu as incontestablement fait une belle carrière ! Adieu. J'espère que tu as rejoint Aillaud, Arroyo, Monory, Velickovic et Fromanger au paradis des peintres.
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