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[verso-hebdo]
24-02-2022
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
Révolutions Xénakis, un père bouleversant, Mâkhi Xenakis, Actes Sud / Philharmonie de Paris - musée de la Musique, 248 p., 32 euro.
Iannis Xenakis (1922-2001) a profondément marqué la musique contemporaine. Né en Roumanie sur les rives du Danube, il fait partie de l'importante communauté grecque qui vit dans cette région. Son père travaille pour une société d'import-export britannique. Sa mère est une excellente pianiste et initie le petit garçon à la musique. En 1932, son père l'envoie étudier dans une institution anglo-grecque sur l'île de Spetses. Puis il est inscrit à l'Ecole polytechnique d'Athènes. Il se passionne alors pour la littérature grecque mais aussi pour la musique, étudiant les règles d'harmonie et le contrepoint d'Aristote Koundourov. Il s'ingénie à créer une transcription géométrique des oeuvres de Bach. En octobre 1940, les troupes italiennes envahissent la Grèce et il prend part à la résistance dans les rangs communistes. En 1944, il est gravement blessé. Une fois guéri, il reprend les cours. Mais la guerre civile continue après le départ des Allemands et il est condamné à mort par contumace. Avec des faux papiers, il parvient à se rendre en Italie, puis en France. Il y reste apatride jusqu'en 1964. Il y travaille aux côtés de l'ingénieur Bernard Lafaille puis de Le Corbusier.
Il est admis à l'Ecole normale de musique en 1949. Il se marie en 1953 et une fille naîtra en 1956, Mâkhi. C'est elle qui rédige cette biographie de son père. Ses premiers pas dans le monde de la musique à Paris ne sont pas heureux : il se fâche aussitôt avec Honegger et avec Milhaud. Il compose des morceaux pour piano seul. Olivier Messian est intrigué par son style et le prend dans sa classe comme auditeur libre. Il note dans des carnets ses réflexions et sa conception de l'art musical. Il n'est pas satisfait de ses premières oeuvres. Il poursuit ses recherches et compose Metastaseis, en abolissant la mélodie. Il découvre la musique d'Edgar Varèse. Mais il ne parvient pas à faire jouer ses oeuvres malgré l'appui de Messian, de Pierre Henry et de Pierre Schaeffer. Il poursuit néanmoins ses recherches Il commence à écrire des articles dans la revue Gravesaner Blatter en 1955. Il est accepté en 1955 au sein du groupe de recherche de Schaeffer. Dès lors, il n'a de laisse de construire une oeuvre qui repose sur des bases mathématiques, comme la théorie de probabilité, comme c'est le cas dans Achorripisis.
En 1956, il réalise le projet de pavillon Phillips avec Le Corbusier pour l'Exposition universelle de Bruxelles de 1958. Il est prévu de la musique (celle de Varèse) et des projections. C'est alors qu'il se brouille avec Le Corbusier et il est renvoyé en 1959. Cette même année Achorripis est exécutée en public et, l'année suivant, Pithoprakta est créée à Paris par Hermann Scherchen. Cette fois, son oeuvre est bien accueillie. Pierre Boulez, qui dirige le Domaine musical est assez sceptique en ce qui concerne Xenakis. Mais le compositeur commence à trouver des partisans. La dernière partie du livre n'énumère pas la longue liste de ses ouvrages, mais plutôt de quelle manière elles devaient être exécutées. Enfin, en conclusion, sa fille nous offre un bel album de photographie et un portrait de cet homme hors du commun. C'est un livre très bien fait, avec une multitude de documents et d'une clarté exemplaire, nous permettant de découvrir qui a été véritablement Iannis Xenakis er quel a été le sens de ses recherches musicales.
Le Livre du savon, Janine Martin-Prades & Julien Blaine, Editions du Val de l'Arc, Aix-en-Provence, s. p.
Grand Dépotoir, un dialogue entre Jean-Jacques Lebel & Julien Blaine, Edition parallèles, 64 p., 15 euro.
Dans les décombres de Julien Blaine, Julien Blaine, Redfoxpress, s. p.
Entraînement en rodage, Julien Blaine, Fidel Anthelme X, s. p., 5 euro.
Julien Blaine ne cessera jamais de me surprendre. Il a profité de ces longs mois mornes qui ont été ceux de ces vagues épidémiques pour concocter une belle série de livres, et il nous menace d'en publier un certain nombre sous peu ! Je vais commencer par Le Livre du savon, qui vient à peine d'être imprimé. Les dessins parfois en noir et blanc, parfois en couleurs, au nombre de neuf, sont de la main de Janine Martin-Prades. Les livres sont assimilés à des blocs de savon (à moins que ce ne soit le contraire !). Ils sont superbes ! Quant à Julien Blaine, il souhaité digresser sur la notion de marque déposée, et s'empresse aussitôt de tenir son rôle de mécréant blasphémateur en envoyant des saintes bénir le savon universel de Marseille et en convoquant la Bonne mère et toute la Sainte Famille pour bénir les culs cousus d'or et les culs décousus, et s'intéresser aux simples objets de la vie quotidienne ou de l'artisan.
Il fait état de quelques fables trouvées chez son imprimeur et quelques considérations typographiques. Ensuite il énumère les couleurs utilisées par sa complice peintre ainsi que les instruments dont elle a fait usage pour ses dessins. Le Grand dépotoir laisse un goût étrange : on a l'impression que ces deux figures de la culture d'avant-garde s'auto-congratulent et n'ont de cesse de se rappeler de souvenir vieux d'un demi-siècle ! Mais Le Grand dépotoir proprement dit est un événement assez destructeur de Julien Blaine qui a eu lieu à la Frise de la Belle de Mai et où il a présenté un nombre notable d'installations qui n'étaient pas à vendre, mais à la disposition des visiteurs. Le texte qui accompagne les photographies de l'exposition (impressionnante) est d'une clarté exceptionnelle : il a voulu aller bien au-delà des codes de l'activité artistique.
Dans les décombres est une sorte d'épilogue à cette grande braderie, avec des inscriptions sur les murs pour justifier le fait qu'il n'y ait plus grand-chose ou la marche à suivre. Julien Blaine est allé au bout de ses tentations autodestructrices. Avec entraînement en rodage, il se contente d'une page d'essai d'écriture au stylographe, et d'une page pour savoir quel est l'objet ou le sujet de l'opuscule. Blaine est sans nul doute le dernier des dadaïstes, mais avec l'humour et l'autodérision que cette appellation mérite. Et il demeure ainsi un des artistes les plus intéressants dans cette veine à la fois grave et grotesque.
Le Rapt de la boucle, Alexander Pope, traduit de l'anglais par Pierre Vinclair, étude de Pierre Métayer, Les Belles Lettres, 74 p., 17 euro.
Le nom d'Alexander Pope (1688-1744) n'est pas très connu en France. Il ne fait pas partie des grands poètes anglais que nous admirons - Keats, Byron, Shelley, William Blake pour l'essentiel. Il a traduit Homère puis, sur le tard, Horace, et a été considéré comme un des plus grands poètes de son temps. The Rape of the Lock, publié anonymement en 1712 (il ne comporte alors que deux chants), a été maintes fois réédité (déjà revu en 1714 - sa forme définitive n'est connue qu'en 1717). Il y eut en effet de nombreuses rééditions dont une qui a été illustrée par Aubrey Beardsley. Il s'agit d'une parodie de la poésie épique. C'est aussi une satire de la « fashionable society » anglaise : il a mis en scène un petit casus belli entre Arabella Fermor (à qui le texte est dédicacé) - la Belinda du poème - et Lord Petre, qui s'était permis de couper une de ses boucles sans sa permission. La première traduction française voit le jour en 1728 et est l'oeuvre de Madame Caylus. Mais d'aucuns l'attribue à Voltaire.
Quoi qu'il en soit, il y a eu de nombreuses traductions par la suite, dont celle de Marmontel et de Louis-Sébastien Mercier. Les Sylphes qui ont été introduits dans la seconde version du poème se retrouvent en 1730 se retrouve dans un livre de Crébillon fils, qui présente certaines analogies. La fortune de ce poème « heroic-comical » a été grande dans notre pays et on a commencé à s'en désintéresser à la fin du XIXe siècle. Il faut reconnaître que l'humour de Pope n'a rien perdu de son mordant. Il transforme l'incident en une mythologie et la belle héroïne est aimée d'un Sylphe, Ariel. La Tamise et ses bords deviennent dans ces vers le paysage d'un récit néoclassique. Ce mélange de l'ancien et du moderne fait néanmoins triompher la modernité en dépit de tous ces personnages de fiction, dont bon nombre de nymphes, de satyres et de sylphides, une muse et même une déesse - on voit même apparaître l'Othello de Shakespeare !
De toute évidence ces lignes sont une parodie de la poésie en vogue à son époque, mais aussi une caricature des références mythologiques omniprésente dans la littérature, les arts et les oeuvres lyriques. Et il faut bien admettre que même de nos jours ses flèches font encore mouche. Donc, un conseil, découvrez ou redécouvrez ce poème moqueur !
MaryTolf ou la reine des lapins, Dexter Palmer, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne-Sylvie Homassel, Quai Voltaire, 448 p., 24 euro.
L'auteur nous fait remonter le temps et nous voici en 1726 Tout commence lorsque l'Exposition des curiosités s'installe dans une grange du petit village de Goldalming. Zachary Walsh, qui avait quatorze ans, est l'assistant du médecin et chirurgien du lieu, le docteur John Howard. Celui-ci était entré à son service quand sa mère l'avait conduit dans son cabinet pour un certain nombre de maux. L'adolescent était curieux et lisait John Locke. Il est retourné voir le praticien et celui-ci lui a proposé de travailler avec lui. Il s'est alors installé dans le grenier de son patron. Par ailleurs, les habitants du bourg sont allés voir les monstres, plus ou moins réels des Curiosités et en sont restés déconcertés.
Un beau jour, un certain Joshua Toft se présente chez le médecin en lui disant qu'il est préoccupé à cause de sa femme, qui prétend être enceinte alors qu'elle ne pré sente aucun signe de cet état. L'accouchement a lieu et ce sont des membres de lapins qui sortent de son membre, déchiquetés. L'événement a fait grand bruit. John Howard montre au jeune Zachary un livre avec des accouchements dus aux extravagances de la nature. La malheureuse Mary Toft a continué à donner naissance à des lapins. La nouvelle de ces événements extraordinaires a gagné Londres. Un mystérieux personnage est arrivé à l'hôtel. Il s'agit d'un médecin de la capitale nomme Nathanael St. André. Il assiste à un nouvel accouchement de la malheureuse : un lapin sans pattes et sans tête, qui n'avait pas non plus de fourrure, est sorti de ses entrailles. De plus en plus de monde se rend dans ce lieu d'ordinaire si tranquille, attiré par la bizarrerie de cet événement. Même le roi s'y intéresse de près. Et la pauvre femme continue à mettre au monde de petits lapins, les uns entiers, les autres, estropiés. A la fin, après tant de naissances extraordinaires, la femme a rendu l'âme.
Les aventures de Zacharie ne s'arrêtent pas avec cette disparition et il est demeuré dans le domaine si étrange des curiosités parfois invraisemblables de la nature. La dernière partie s'étire un peu en longueur et c'est assez regrettable car le livre a été remarquablement bien construit pour l'essentiel. Classique par excellence, ce roman n'a pourtant pas cherché à ressusciter l'atmosphère du premier tiers du XVIIIe siècle. Le cas évoqué n'a pas été si rare que cela. E sont les progrès de la médecine qui demeurait encore dans l'incapacité de faire face à de tels phénomènes. Il faut se souvenir que Pierre le Grand avait acheté à un médecin hollandais une incroyable collection de foetus monstrueux (la plupart ont été détruits dans un incendie, mais on peut encore voir une partie de cette collection peu commune). Ce livre mérite néanmoins d'être lu car il évoque à merveille ce que pouvaient susciter ce genre d'enfantements bizarres qui passaient pour surnaturels.
La Clandestine de Jersey, Jenny Lecoat, traduit de l'anglais par Mary-Pierre Boy & Nicolas Castelnau-Bay, Mercure de France, 350 p., 23 euro.
L'héroïne de ce roman s'appelle Hedwig - mais elle se fait appeler Hedy - Bercu. Elle est autrichienne et d'origine roumaine et malheureusement juive. Parvenant à s'enfuir d'Autriche juste avant l'Anschluss, elle a choisi de vivre en France. Puis elle s'est retrouvée dans une des îles anglo-normande, Jersey, où elle a mené jusqu'alors une vie paisible. Mais la guerre est arrivée et l'effondrement de l'armée française et de l'armée britannique ont laissé la France aux mains des troupes nazies. Ces îles sont les seules parties du territoire anglais dont les Allemands ont pu s'emparer. Malgré le danger, Hedy accepte de travailler comme traductrice pour l'administration allemande.
Un événement vraiment imprévu bouleverse son existence : elle tombe amoureuse d'un jeune officier de la Wehrmacht, nommé Kurt Newmann. Elle vit chez son amie Dorothea Le Brocq, qui qui songe à se marier malgré la situation. Mais le cours de l'existence des habitants de Jersey, ne change guère, malgré la présence des occupants et les pénuries. Cependant un lager a été édifié et de nombreux travailleurs étrangers venus de toute l'Europe s'y pressent. Kurt y est affecté. On découvre qu'Hedy est juive. Les choses empirent dans ce qui semblait un relatif havre de paix. Au cours de l'année 1942, elle est dénoncée par un certain Quinn comme voleuse de bons d'essence. Elle doit se cacher. Kurt finit par la retrouver et il lui conseille de regagner la côte française. Elle refuse car elle sait qu'elle ne pourra pas aller très loin.
Elle parvient à se cacher jusqu'au débarquement de juin 1944 et la libération des îles anglo-normandes. Kurt est fait prisonnier mais promet à Hedy de se fiancer avec elle. L'auteur souligne que cette histoire est vraie du début jusqu'à la fin et que Dorothea Le Brocq a été nommée Juste parmi les Nations. Ce roman est de conception conventionnelle. Mais il a été écrit avec beaucoup de charme et l'histoire des principaux acteurs de cette affairer est rendue avec caractère et aussi avec style. Ce livre est un beau témoignage sur une histoire d'amour quasiment impossible et sur la valeur morale et le courage de personnages en apparence sans qualité.
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Gérard-Georges Lemaire 24-02-2022 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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