L'exposition a pour titre Dans le secret des grands décors de Delacroix (jusqu'au 28 février, musée national Eugène Delacroix à Paris). Alléché, on se précipite. Là, on s'étonne un peu : il y a bien des tableaux, dessins et maquettes se rapportant à des décors de Delacroix qui avait bénéficié de nombreuses commandes officielles, depuis l'église Saint-Sulpice jusqu'à l'Assemblée Nationale, mais aucune explication : pas de catalogue, pas de feuille de commentaires, pas même de dossier de presse. On interroge une personne paraissant responsable. Elle répond, désolée, « qu'il ne s'agit que d'un accrochage inédit ». On reconnaît plusieurs pièces appartenant au fond permanent du musée, plusieurs autres empruntées au Louvre, et l'on cherche un fil conducteur. Non seulement il ne semble pas y en avoir, mais certaines oeuvres peuvent carrément induire en erreur les visiteurs peu informés en histoire de l'art. Ne retenons qu'un seul exemple : l'Annonciation, petite huile sur papier collé sur toile (31,2 x 43,7 cm, 1841).
Cette Annonciation était en principe préparatoire à un important décor commandé à Delacroix par le préfet Rambuteau pour la chapelle de la Vierge dans l'église Saint-Denys-du-Saint-Sacrement. L'artiste voulait y affirmer sa qualité de peintre religieux (on ne sait rien de ses convictions, le révérend-père Bro ayant toutefois remarqué qu'il n'a pas représenté par hasard la Passion à 90 reprises). Il a donc commencé par profiter de la configuration spatiale de la chapelle pour imaginer, au-dessus de l'autel, une représentation du mystère chrétien, révélé par deux anges écartant un grand rideau rouge à la manière de Raphaël ou Ingres. Au fond, un lit à dais de serge verte devait faire écho aux primitifs flamands. La jeune Vierge Marie, irradiante de beauté, et les nuées portant l'Ange Gabriel, seraient quant à elles empruntées à l'art baroque. On voit bien tout cela sur le tableau, mais ce n'est pas le parti finalement pris par Delacroix pour son décor et il n'en est donc nullement le « secret ». C'est plutôt une huile sur papier marouflé sur toile de 1843 qui donne la clef. Il s'agit d'une esquisse de Piétà appartenant au Louvre, mais elle n'est malheureusement pas là.
En effet, à l'effet baroque de représentation théâtrale Delacroix a substitué une évocation archaïque des grottes artificielles ou des niches à arc surbaissé du début du XVIe siècle, abritant des groupes sculptés évoquant la mise au tombeau du Christ. Delacroix s'est inspiré d'une peinture de Rosso Fiorentino (vers 1530-1540) représentant une telle scène. Les différentes figures forment un carré autour de la Vierge Marie, tête inclinée et bras écartés semblant mimer la Crucifixion de son fils dont le cadavre recroquevillé rappelle le foetus qu'il était au moment de la Visitation. Delacroix n'a pas repris l'élégance maniériste de son modèle mais, à partir de lui, il a développé ses moyens expressifs propres, en particulier dans le rendu du modelage coloré des carnations. La manière dont l'huile mêlée de cire restitue les épidermes en sueur, les yeux rougis ou le sang des plaies n'appartient qu'à Delacroix. Tel était le véritable projet de décor du maître pour la chapelle de la Vierge dans l'église Saint-Denys-du-Saint-Sacrement. Mais l'exposition actuelle n'en dit absolument rien. C'est pour le moins dommage. Le grand décor vient d'être restauré, il est installé dans la chapelle Sainte Geneviève de l'église Saint-Denys à Paris : on peut toujours aller l'admirer. C'est un chef d'oeuvre.
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