L'exposition présentée par Claire Bessède au musée National Eugène Delacroix à Paris (jusqu'au 27 juin 2022) est particulièrement intéressante, après le ratage de celle consacrée aux hypothétiques « secrets des grands décors » dont j'ai parlé en février dernier. Delacroix s'intéressait beaucoup à la nature, végétale et animale. Il avait son propre jardin à la campagne, et il visitait régulièrement le Jardin des Plantes en compagnie de son ami le sculpteur animalier Barye. Il a multiplié les paysages toute sa vie, esquisses au crayon et aquarelles, mais il n'en exposa jamais. Delacroix se voulait avant tout peintre d'histoire et cela seul importait vraiment pour lui. Ainsi, note la commissaire, « la place qu'il accorde à la nature dans son oeuvre découle de son choix d'être un peintre d'histoire. » Claire Bessède puise largement dans les collections de son musée, par exemple en retenant un tableau accroché en permanence rue de Furstemberg : L'éducation de la Vierge (1842). Invité à séjourner chez son amie George Sand à Nohant, il avait observé une femme assise sur un tronc d'arbre donnant une leçon de lecture à une petite fille, « il transforme cette image en un sujet empreint de douceur et de piété : l'éducation de la Vierge par Sainte Anne ». Dans ce tableau, où les personnages et la nature sont en harmonie, Delacroix a pris pour décor le parc de George Sand, férue de botanique. « Vous savez comme j'aime les jardins, les fleurs. Je crois que c'est pour ça que je vous aime tant » écrira le peintre à la romancière en 1844.
Il n'en reste pas moins que les oeuvres exposées, outre celles appartenant au musée lui-même, sont des « prêts de proximité », comme l'observe la présidente-directrice du Louvre, Laurence des Cars. C'est dommage, car manque ainsi à l'appel Le Kaïd, chef marocain (1837). Chef d'oeuvre dans lequel Delacroix, peintre d'histoire, observe une scène de la vie marocaine en y intégrant un très vif sentiment de la nature. Mais le tableau est au musée des beaux-arts de Nantes, et les organisatrices ont souhaité limiter les transports. Dix ans après La Mort de Sardanapale, le peintre, au sommet de sa gloire, exploite ses visions d'Afrique du Nord, soigneusement recueillies à l'aquarelle dans ses carnets et commentées dans son Journal. Nous savons qu'il a réellement été témoin de la scène illustrée par le splendide tableau de Nantes, le 9 avril 1832 : « Genêts odorants, montagnes bleues dans le fond... Le lait offert par les femmes. Un bâton avec un mouchoir blanc. D'abord le lait aux porte-drapeaux qui ont trempé le bout des doigts. Ensuite au Kaïd et aux soldats... » La composition, exécutée en 1837, en légère contre-plongée, met en valeur l'autorité du chef (la seule figure à cheval), sa troupe étant derrière lui en train de gravir un sentier. Delacroix joue à merveille du contraste entre le blanc lumineux des burnous et les couleurs des oriflammes comme de la nature. La lumière du Maroc l'a enthousiasmé autant que sa population et ses usages, dans lesquels il pense avoir retrouvé l'Antiquité vivante. Il aime, dans son Kaïd, « l'air dédaigneux que devaient avoir les maîtres du monde ». C'est bien ce que traduit ce tableau brillamment coloré où se marient scène d'histoire et nature. Il aurait eu une place essentielle dans l'exposition.
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