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[verso-hebdo]
14-04-2022
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Mon Pollock de père, Francesca Pollock, L'Atelier contemporain, 176 p., 25 euro.

Il n'est pas question dans cet ouvrage de souvenirs sur le célèbre Jackson Pollock, mais sur son frère aîné, Charles, né à Denver en décembre 1902 et mort à Paris en 1988. Il a été lui aussi peintre et lui aussi a été un artiste abstrait. Pour nous, il n'existe pas. Mais quand on découvre les cahiers de reproductions à la fin du volume, on se rend compte qu'il n'a pas manqué de force et d'invention. S'il suit une ligne de conduite esthétique qui peut le rapprocher de son frère cadet, il est loin d'avoir la même manière de peindre. Son histoire est aussi bien différente. Il est allé étudier à Los Angles où il s'est inscrit à l'Otis Art Institue. Il a commencé à travailler comme graphiste pour le Los Angeles Time. Un peu plus tard, il devient l'ami de Diego Rivera, d'Orozco et surtout de Thomas Hart Benton, dont il devint l'assistant et aussi le disciple. Il a décidé en 1926 de s'installer à New York et là, il s'est inscrit à l'Art Student League. Il a continué à travailler auprès de Thomas Hart Benton jusqu'en 1940. A partir de 1930, il a enseigné à la City and Country School. Il a alors réalisé des affiches de cinéma. Au cours de l'année 1934, il a effectué un long voyage aux Etats-Unis avec Jackson.
Un an plus tard, il est entré dans la Resettlement Administration à Washington. Il a choisi de déménager à Detroit en 1937. En 1938, il est devenu superviseur des arts graphiques et des fresques au sein du Federal Art Project. Il a tenu ce poste jusqu'en 1942. Il a exécuté une fresque pour le Water Conditioning Plant de Lansing, dans le Michigan et une autre pour le Fairchild Auditorium du Michigan State College. Par la suite, il a enseigné à la Michigan State University, où il est demeuré jusqu'en 1967. Après quoi il est parti s'installer à New York et enfin, en 1968, il est parti vivre à Paris en 1971 avec sa seconde épouse et sa fille Francesca. Sa reconnaissance, comme artiste, a surtout été posthume.
On aurait pu imaginer que ce livre aurait été le fruit d'une grande dévotion filiale ou encore la matérialisation du désir de reconstruire l'existence et l'oeuvre d'un père perdu. Le livre n'a pas du tout été écrit dans cet esprit. De sa relation personnelle avec son père, elle ne dit finalement que peu de choses -, par exemple la visite de la grande rétrospective de son frère au Centre Pompidou. On apprend bien sûr pas mal de choses sur sa carrière. Elle nous narre l'histoire de la commande que lui avait faite Peggy Guggenheim quand elle habitait New York (quand elle a quitté cette ville, elle donné cette grande oeuvre sur toile à une institution de l'Iowa). En réalité, les recherches qu'elle a menées avec sa mère, Sylvia, lui ont permis de trouver un bon nombre de documents, mais, en ce qui concerne les dessins et les peintures, Charles Pollock en a détruit une quantité non négligeable.
Il est donc difficile de reconstituer avec précision son parcours et de contribuer à l'ouvertures des Charles Pollock Archives. Elle fait le parallèle avec Franz Kafka, qui avait demandé dans son bref testament à son ami intime Max Brod de détruire l'essentiel de ses écrits -, mais, à mon humble avis, en sachant parfaitement qu'il ne le ferait pas. En ce qui le concerne, ses créations ont bel et bien disparu, comme celles d'Alexandre Decamps, qui n'a pas eu la place qu'il mérite dans le panthéon de l'art français du XIXe siècle. Cela n'a d'ailleurs pas empêché que des galeries finissent (sur le tard) par l'exposer (telle la galerie Etc. à Paris) et que la Peggy Guggenheim Collection de Venise lui rende hommage en 2015. C'est ici une invitation à la découverte d'un de talent qui a eu le malheur d'avoir le frère qui a été rapidement une des icônes de l'art moderne aux Etats-Unis et puis dans le monde entier.




Casino Prolo, Julien Blaine, tirage limité, PLI.

Julien Blaine, vous le savez déjà, est un auteur qui réserve bien des surprises. Et qui n'est jamais à un paradoxe près. Cette fois, rien d'iconoclaste ou de transgressif. Il s'est ingénié à transformer un jeu de cartes à la française, introduisant des trèfles dans des carreaux ou des coeurs dans les piques. Il a donc dénaturé les codes de ces cartes en un pur jeu esthétique, qui atteint son but sans coup férir. Je ne l'imaginais pas se consacrer à un pur jeu formel. S'il ne déroge à son désir constant de métamorphoser les choses, dans le cas, il a misé sur une pure poésie, même si elle a une indéniable dimension ludique.
Bien sûr, ses combinaisons visuelles ne dérogent pas à son idée de procéder à des modifications qui rendent impossible l'utilisation normale de ce jeu. Comme les surréalistes à Marseille, il a souhaité donner vie à son propre monde imaginaire, mais il est impossible de servir de ses cartes pour pratiquer un jeu connu. Blaine peut être parfois destructeur (même de ses propres créations), et parfois drolatique et créateur. Il demeure alors un authentique poète des formes. Il est évident qu'il aime faire bouger les lignes. En réalité, il est absolument impossible d'avancer une définition de sa production, qui s'avère avoir une face de Janus. L'humour est toujours de mise, mais cet humour change sans cesse de sens. Quelle que soit, son attitude, angélique ou diabolique, il ne saurait nous laisser indifférent. Il oeuvre aux marges de nos conventions, même les plus contemporaines. Julien Blaine doit être considéré comme un poète « maudit », car il n'a cure des règles en vigueur et cherche toujours à nous mettre en difficulté. Mais il est aussi capable de nous séduire. C'est le prince des paradoxes et de la prestidigitation artistique! Ce supplément de la revue Pli est un petit bijou. Si vous le pouvez, procurez-vous ce délicieux morceau de dérision et de divertissement. Vous ne le regretterez pas. Cela ne fait aucun doute.




En chemin avec Hokusai, Christian Demilly & Didier Baraud, Editions Hazan « jeunesse », 32 p., 14, 95 euro.

Dans cette belle collection destinée aux enfants, les éditions Hazan ont publié ces jours derniers un beau volume sur le grand artiste japonais Katsushika Hokusai (1760-1849). Il a gravé quelques trois mille estampes et illustré environ deux cents livres. Il n'a jamais cessé de faire évoluer sa technique, de la perfectionner, toujours insatisfait de lui-même. Quand il est mort, il paraît qu'il aurait prié les dieux de le laisser vivre encore un peu afin qu'il puisse enfin découvrir son style. Il est vrai qu'il a passé une grande partie de son existence à imiter ses aînés (ce qui était une pratique normale au Japon de cette époque, il s'agissait d'égaler leur bravoure). En couverture, on peut admirer sa magnifique Vague qui fait désormais du patrimoine artistique mondial.
Il a excellé dans tous les domaines, du paysage au fantastique, en passant par le monde animal et le monde végétal. Aucun sujet ne lui est étranger. Il a compilé des encyclopédies iconographiques qui sont d'une richesse inouïe. Il a aussi peint des panneaux ou des paravents. Le champ de ses recherches est incommensurable. Cette initiation est très bien menée et indique à la fin quel a été son héritage jusqu'à aujourd'hui. C'est bien entendu très concis et ne permet donc pas de parler de cette longue et prolifique carrière. Mais c'est en tout cas une belle introduction à ce qu'a été le parcours de ce génie qui n'a été découvert en Europe que pendant la seconde moitié du XIXe siècle.




En chemin avec Gustav Klimt, Christian Demilly & Didier Baraud, Editions Hazan « jeunesse », 32 p., 14, 95 euro.

Gustav Klimt (1882-1918) n'a été apprécié en France qu'assez récemment. Il est vrai que tout ce qui était « allemand » n'était guère apprécié dans notre pays. Et puis on n'a guère été intéressé par tout ce qui se rapprochait de l'Art Nouveau hors de nos frontières. Il est sans nul doute le peintre le plus connu et aussi le plus aimé de la Sécession viennoise. Son oeuvre a connu deux périodes. La première est celle où il a été le disciple de Hans Marquart, académique assumé, mais non dépourvu de talent et même de virtuosité. La seconde est celle qui a fini par nous fasciner, avec une liberté d'expression très grande, avec l'influence de la mosaïque byzantine et l'usage de l'or.
Il a associé le grand art et les arts décoratifs (surtout) dans les fonds et s'est révéler aussi bien un immense portraitiste qu'un paysagiste de premier plan. Il a aussi cultivé le culte de la femme, devenue déesse ou héroïne mythique. S'il a été admiré au début du siècle dernier, il n'a pas fait école. Dans ce livre, cette personnalité hors norme est mise en valeur et le caractère si singulier, si différent de tout ce qui se faisait en son temps. La spécificité de sa peinture est bien expliquée, avec une grande clarté et une concision indispensable dans ce cas de figure et une remarquable pertinence.




Animaux, Didier Baraud & Christian Demilly, « Mes premiers imagiers de l'art », Editions Hazan « jeunesse », s. p., 12, 50 euro.

Paru dans une collection destinée aux plus petits, ce volume présente un texte très court, avec des mots pouvant aider le jeune enfant à apprendre à regarder un tableau et à apprécier comment certains artistes sont parvenus à rendre un animal selon la vision qu'il peut en avoir et selon son style. Il y a aussi bien La Vache jaune de Franz Marc, que l'oiseau au corps composé d'un ciel et de ses nuages (Le Baiser, 1951), pour nous citer que ces deux exemples. Il est évident que ce genre d'ouvrage est fait de telle sorte qu'un parent ou qu'un pédagogue doive enrichir les commentaires et enseigner comment regarder ces reproductions d'animaux traités par les peintres. Je dois reconnaître que cet album est réalisé de manière assez judicieuse et plutôt plaisante et qu'il devrait pouvoir plaire aux gamins qui sont désormais en âge de faire de grandes découvertes en affinant ses connaissances visuelles et son maniement du langage.




Saisons, Didier Barraud & Christian Demilly, « Mes premières images de l'art », Editions Hazan, s. p., 12, 50 euro.

Dans cette même collection vient de paraître un volume consacré aux saisons. Les auteurs n'ont pas hésité à choisir des tableaux d'une grande modernité comme celui de Vassili Kandinsky pour l'automne ou une estampe japonaise de Hiroshige Utagawa pour le printemps. Et les autres oeuvres retenues sont toujours originales, comme Le Ballon (1899) de Félix Vallotton ou La Méridienne (1889-1890) de Vincent Van Gogh pour donner une illustration à l'été. On est surpris, certes, mais aussi conquis par cette sélection de peintures un peu audacieuse pour un livre réservé à la petite enfance. En fait, rien ne devrait être incompréhensible pour ces gamins et ne prendrait pas un pli scolaire qui pourrait être un peu ennuyeux. C'est à mon avis une belle réussite dans ce registre qui n'est pas si facile à traiter qu'on pourrait le croire.




Les Chats par les grands maîtres de l'estampe japonaise, Jocelyn Bouquillard, un album + un livret, Editions Hazan, s. p., 24, 95 euro.

Comme cela a été le cas dans l'Egypte ancienne, le Japon d'autrefois a voué une sorte de culte à ces petits félins domestiques. Les nombreuses reproductions présentes sont là pour en témoigner. Ce qui est curieux dans la grande majorité des estampes choies par l'auteur, de la main des plus grands maîtres de la xylographie de l'ère d'Edo, de Harunobu à Chikanobu, de Kusinada à Utamaro, en passant par Kunisada, les chats ont même une place très modeste dans la composition.
Cela dit, certains de ces artistes ont adopté le chat comme sujet de leurs gravures -, c'est le cas de Kobayashi Kiyochika (à la fin du XIXe siècle) ou de Ohara Koson (mais ce dernier a travaillé au début du XXe siècle). C'est, en règle générale, une présence qu'on remarque à peine, mais dont la présence ne peut échapper à l'amateur qui contemple l'une ou l'autre de ces planches. On serait même enclins à penser que plus l'animal est petit, plus sa présence est absolument fondamentale dans une oeuvre qui traite de tout autre chose. Le chat ne joue aucun rôle spécifique dans l'histoire, mais il est postulé comme ce qui ajoute une pointe de sacré et, en tout cas, de poésie dans ces représentations de la vie domestique ou de la vie amoureuse. Ils apparaissent souvent comme les compagnons des femmes. Et c'est d'abord un esprit bénéfique. Il n'y a jamais la gravité comme dans la relation que les Egyptiens de l'antiquité entretenaient avec certains animaux réputés être sacrés et dignes d'être momifiés.
Au contraire, ces petits chats semblent presque être des jouets vivants, qui passe leur temps à jouer ou faire des pirouettes. Ce qui est sans nul doute le caractère le plus frappant de ces images, c'est que les grands xylographes d'alors ont tenu à la figurer en les stylisant au point de s'éloigner de la réalité. Ils ne font las leur « portrait », mais imagine un petit être ludique dont la physionomie est remodelée. Mais il convient d'ajouter que les personnages ont eux aussi des formes qui tendent à l'abstraction - elles rappellent la vérité de ceux-ci, mais en simplifie les formes et esthétise les postures. Tout ici est mélange de réalisme et d'imaginaire. Seuls des éléments de la nature sont transposés avec une grande minutie. Ce livre ouvre une grande porte pour comprendre une vision du monde qui a été porté à une hauteur artistique d'une rare beauté. Le chat est un révélateur de la différence de nos cultures.




L'Adieu au rivage, Manuela Piemonte, traduit de l'italien par Lise Caillat, Robert Laffont, 450 p., 22 euro.

Un premier roman ! Je dois admettre, avant tout commentaire, qu'il n'est pas mal réussi en dépit de certaines Longueurs, et, parfois, d'un manque d'intensité. Mais pour l'essentiel, il n'est pas mal réussi. De quoi s'agit-il ? Nous nous trouvons en Italie, en juin 1940. Les trois filles d'une même famille, Sara, Angela et Margherita, qui vivent en Lybie (ce pays a été conquis par l'Italie en 1911 et arraché à la domination ottomane) partent en colonie de vacances nommée la Tour Babilla à Massa Carrare, en Toscane, qui se trouve au bord de la mer. Bien sûr, les journées sont réglées selon les normes en vigueur du fascisme.
Mais elles goûtent malgré tout à tous les plaisirs des baignades et des jeux de plage. Quelques jours après leur arrivée, Benito Mussolini fait un grand discours du haut du palazzo Venezia à Rome, et apprend à une foule en délire qu'il a déclaré la guerre à la Grande-Bretagne et à la France. Si elles ne pas encore en mesure de comprendre l'importance de cet événement belliqueux, elles ne peuvent pas retourner chez elles. Elles se retrouvent bloquées dans la péninsule. Elles découvrent la discipline excessive- qu'exigent d'elles les responsables du camp.
Le livre est construit d'une manière particulière : chaque chapitre correspond une journée et débute par des extraits de presse qui relatent des événements militaires ou politiques. Ce récit de l'existence de ces trois fillettes n'est donc qu'une partie de l'histoire : ce qui se joue sur le front ou dans les coulisses du pouvoir est aussi la relation en palimpseste de leur destin car elles ne peuvent plus rentrer chez elles dans une colonie que l'Italie perd dans ses combats contre les forces anglaises. Elles sont consignées en ce lieu même après la victoire, car il faut retrouver leurs parents qui ont sans doute dû quitter les terres africaines ou tenus prisonniers par les vainqueurs. C'est habilement fait. Et ce n'est jamais ennuyeux. Malgré ses défauts que j'ai signalés au début de cette note de lecture, c'est assez réussi et il est crédible de penser que Manuela Piemonte ait tout ce qui est nécessaire pour poursuivre une oeuvre littéraire de qualité. A condition de ne pas verser dans le roman de plage.




Le Décor impressionniste, aux sources des Nymphéas, collectif, L'O - musée de l'Orangerie / Editions Hazan, 286 p., 45 euro.

Une erreur s'est glissée dans l'article que j'ai écrit dans une chronique précédente. La couverture n'était la bonne. Voici donc celle qui correspond à cet catalogue qui vient de paraître. Je tiens à vous rappeler que cet ouvrage est passionnant et nous révèle un pan important de la création des peintres impressionnistes que nous ne connaissons que par brides et surtout en ignorant que les décors peints ont joué un rôle de premier plan dans leur grand projet esthétique - les Nymphéas de Claude Monet ne sont pas une réalisation exceptionnelle dans l'idée que ce faisaient ces créateurs de l'art de leur temps - elle sont exceptionnelles en soi et pour soi.
Gérard-Georges Lemaire
14-04-2022
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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Christophe Cartier au Musée Paul Delouvrier
du 6 au 28 Octobre 2012
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Christophe Cartier / Gisèle Didi
D'une main peindre...
Préface de Jean-Pierre Maurel


Christophe Cartier

"Rêves, ou c'est la mort qui vient"
édité aux éditions du manuscrit.com