La galerie Laurent Strouk présente, du 11 mars au 23 avril, une importante exposition Erró. Le colosse islandais aura 90 ans en juillet 2022 et garde une forme extraordinaire : tous les tableaux, qui tous correspondent à une somme énorme de travail, ont été réalisés depuis 2020 et tous apparaissent dans le même style, celui qui a fait sa gloire depuis 1960. Cela fait soixante-deux ans que les critiques, à commencer par Alain Jouffroy et Jean-Jacques Lebel qui le révélèrent les premiers, tentent de rattraper cette peinture qui les devance toujours : « le plus grand caricaturiste de l'art moderne », « Erró le titan » ou encore « le gargantua de la peinture ». Le peintre le plus fécond depuis Picasso a suscité une abondante littérature multipliant les superlatifs sonores faute de pouvoir construire des théories à partir de ses images. Car Erró n'est pas un peintre pour la théorie, a remarqué Pierre Tilman : « Il échappe aux définitions, aux étiquettes, aux querelles formelles. Son but n'est pas l'explication, la dénonciation systématique, le démontage des codes stéréotypés, l'élaboration d'un système de rapports esthétiques cataloguables. Au fait, quel est son but ? A-t-il seulement un but ? Toute la question est là : a-t-il un but différent de ce qui est simplement et clairement visible dans n'importe laquelle de ses oeuvres et que résume bien Tilman : « Erró introduit dans l'univers glacé des clichés quelque chose de vivant, donc d'absolument subversif : la jouissance de peindre, l'humour sans barrière, la force, la vibration d'une main qui tient le pinceau pour une rude empoignade avec la toile blanche... »
L'univers (sur papier) des clichés : Erró possède des milliers d'images, généralement découpées dans des magazines, qu'il classe par genre et par type. Lorsqu'un thème l'intéresse, il en réunit les éléments selon leurs dimensions, en quatre, cinq ou six « groupes ». Pas pour en faire un simple collage, il s'agit d'une phase préparatoire. Vient ensuite la phase de l'agrandissement et de la transposition. Erró ne limite jamais sa démarche au collage initial, il s'impose une épuisante épreuve de recomposition du collage en peinture, sur la toile. Les centaines d'éléments réunis doivent tous être repris et interprétés avec le seul pinceau, selon une démarche aussi systématique que possible (« j'avance en lignes horizontales pour éviter de penser à tout ce qui reste à faire » m'a-t-il confié. Chaque séance de travail dure d'interminables heures malgré la technique rapide de la fresque apprise en Italie où il s'est initié aux mosaïques byzantines. Erró a découvert il y a 25 ans les prodigieuses possibilités offertes par l'ordinateur. Des amis cybernéticiens en Californie lui fournissent des perspectives que l'on ne trouve nulle part. « Ce sont des filets qui tiennent les images, qui les bloquent. Mes images sont retenues par ces structures vraiment comme des poissons dans un filet ».
Quand le très sérieux Catalogue du Musée National d'Art Moderne dit que « Erró met en images la société de consommation, la guerre, le sexe, l'actualité politique et l'histoire de l'art, non sans ironie envers la société du spectacle où, par médias interposés, tout finit toujours par une image » il résume bien tout ce qui est secondaire : les contenus de la peinture d'Erró. Mais Erró ne serait pas l'un des plus importants peintres de ce temps s'il n'avait fait qu'accumuler des contenus. Ce qui compte d'abord, ce sont les formes et les ensembles composés avec ces contenus - formes et ensembles absolument impensables avant qu'Erro les fasse apparaître - à travers une capacité de renouvellement stupéfiante. Ce qu'admirent en particulier ses amis peintres de la Figuration narrative, chez ce colosse farouchement accroché à des travaux sans limites, c'est l'illimitation de son appétit de vivre. Peindre d'une main des tableaux si compliqués, si beaux et, de l'autre main, caresser sa lady, comme dit l'artiste : avouez qu'il faut le faire.
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