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[verso-hebdo]
14-11-2024
La chronique
de Pierre Corcos
Pour quoi tromper l'oeil ?
« Quelle vanité que la peinture, qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire point les originaux ! », s'exclamait Blaise Pascal. Mais alors que dire d'une peinture qui pousse si loin cette ressemblance qu'elle trompe l'oeil ?... On trouve dans Pline L'Ancien un apologue célèbre à propos de la destination de l'oeuvre d'art, consistant en un défi du peintre Parrhasios jeté à son rival Zeuxis. Lequel des deux va produire la peinture la plus admirable ? Zeuxis peint des grappes de raisins si bien imitées que des oiseaux, abusés, tentent de les picorer. Extraordinaire ! Puis Parrhasios montre son oeuvre, et Zeuxis tend la main pour tirer le rideau qui la couvre. Sauf que le rideau était... peint. Sidérant ! Alors ce serait donc ça, la peinture : une virtuosité dans l'imitation (mimesis), culminant jusqu'à l'illusion d'optique ? L'utilisation d'un maximum d'artifices techniques pour « faire sortir » les objets de la toile, du panneau ou d'un mur ?... Afin de tenter de répondre à cette question, il est conseillé d'aller voir l'exposition Le trompe-l'oeil, de 1520 à nos jours (jusqu'au 2 mars 2025 au musée Marmottan Monet), et de remarquer les sentiments qui se succèdent en nous au contact répété de ces oeuvres étonnantes par leur savoir-faire et leur minutie.

Avec plus de 70 oeuvres provenant de collections particulières et publiques d'Europe et des Etats-Unis et des artistes aussi célèbres que Boilly, Füssli, Largillière, Oudry, Penone, Pistoletto, Spoerri, pour ne citer que ceux-là, le commissaire d'exposition, Erik Desmazières, directeur du musée Marmottan Monet, a souhaité étendre le champ du trompe-l'oeil au-delà de ses thèmes bien connus, comme les porte-lettres, les vanités, les trophées de chasse, etc. C'est ainsi par exemple que l'on va également trouver dans cette exposition des plats de céramique en relief trompeur aussi bien qu'une section consacrée au camouflage à usage militaire. Voilà qui bien entendu ne plaide pas beaucoup en faveur de la dimension artistique - telle que nous l'entendons le plus souvent - du trompe-l'oeil ! Après tout ce type de peinture n'aurait-il pas eu comme origine lointaine l'amélioration du décor pour le théâtre dans la Grèce antique ? Effets de perspective et modelé, ces techniques de trompe-l'oeil contribuaient au besoin d'illusion propre alors au théâtre. Puis, chez les Romains (la maison du Faune à Pompéi), elles servaient à créer des éléments fictifs d'architecture (colonnes, frontons, corniches), et ensuite à la Renaissance elles triomphaient dans la marqueterie : studiolo de Frédéric III de Montefeltro par exemple... L'exposition démarre avec le 16ème siècle. Elle nous montre comment, plus tard (17ème ou 18ème siècle), le « quodlibet », genre de trompe-l'oeil mettant en scène un faux désordre d'objets fixés sur une planche de sapin, pouvait crypter un message ou recéler une morale... Alors le trompe-l'oeil ne se réduit-il qu'à un ensemble de techniques méticuleuses à usage multiple ou bien à un genre mineur, limité dans l'espace et le temps ?
En rappelant et montrant des exemples de renouveaux permanents qu'inspire cette pratique, l'exposition suggère qu'en fait on trompe l'oeil pour différentes raisons... Aux États- Unis, avec la dynastie des peintres philadelphiens, le trompe-l'oeil valorise des objets contemporains, quotidiens (qui sait si Warhol n'est pas un épigone tardif de ces peintres américains ?) ; Louis Léopold Boilly (1761-1845) se sert quant à lui du trompe-l'oeil pour jouer avec le spectateur, imitant par la peinture le crayonné et la gravure ou alors un sous-verre cassé (cf. Verso Hebdo du 17-3-2022) ; un certain nombre de peintres surréalistes s'attachent, eux, à reproduire les objets le plus fidèlement possible jusqu'à des effets de trompe-l'oeil, mais il s'agit alors de rendre les plus crédibles possible des productions imaginaires ; dans les natures mortes de Braque et de Picasso, le trompe-l'oeil reparaît en 1910 (faux bois et imitation de caractères typographiques), et l'on se peut se demander s'il ne sert pas de point d'ancrage dans le réel pour souligner l'écart avec les défigurations que ce réel subit à côté ; des artistes contemporains usent du trompe-l'oeil dans une démarche ironique et/ou humoristique. Ainsi l'étonnante Chemise (Cardin) de Jud Nelson (né en 1943) par laquelle « l'artiste s'attache à évoquer la légèreté, la souplesse et la douceur du tissu par l'emploi du marbre blanc de Carrare, par essence lourd, dur et froid ». D'autres exemples contemporains retiennent le visiteur, comme cet « Envelopper la terre avec la terre » où du pseudo-papier en porcelaine va envelopper une pseudo-terre en grès. Étonnant...

Sans doute le visiteur éprouvera-t-il un sentiment d'admiration devant la minutie, la virtuosité, le sens obsessionnel de l'exactitude chez tous ces artistes du trompe-l'oeil... À cette occasion il se rappellera probablement les nouvelles prouesses du trompe-l'oeil aujourd'hui, peint notamment sur le corps humain et souvent d'origine asiatique, ou alors peint en tant qu'« art urbain » aux Etats-Unis, et il se dira que cette peinture illusionniste est loin d'être épuisée. Mais un autre sentiment, contradictoire et sous forme d'interrogation, peut l'habiter : à l'ère de l'image en relief et de l'hologramme, le peintre n'aurait-il pas mieux à faire que tromper l'oeil du spectateur, vite désabusé d'ailleurs ?
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
14-11-2024
 

Verso n°136

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