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[verso-hebdo]
05-12-2024
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane solitaire |
La Montagne, par les grands maîtres de de l'estampe japonaise, Anne Sefrioui, Editions Hazan, 35 euro.
Le paysage a toujours tenu une place majeure dans l'art de la période d'Edo. La montagne, dans ce contexte, est toujours omniprésente, ne serait-ce que pour le caractère sacré du mont Fuji, qui a été dédié à une déesse Asama no Okami depuis le début de notre ère. Il est célébré, nous dit l'auteur, depuis la première anthologie poétique compilée au VIIIe siècle, le Maniôshû. C'est devenu le symbole du Japon. Mais, précise Anne Sefrioui, c'est à partir du début du XIXe siècle que sa représentation prend une dimension imposante. C'est le développement de la technique de la xylographie et son grand succès qui a permis ce développement, mais aussi le goût croissant pour les lieux célèbres de l'archipel.
Cette tendance a culminé en 1830 avec la publication du portfolio des Trente-six vues du mont Fuji d'Hokusai. En 1852, Hiroshige a imprimé les planches horizontales d'un recueil portant le même titre. Il a réalisé une seconde série de gravures sur ce thème en 1858. Les figurations de la route du Kisokaido sont souvent accompagnées par la présence du mont Fuji et nombreux sont les artistes qui ont traité ce sujet de cette façon. Par ailleurs, les lacs, les rivières, les collines, les cascades, les parois escarpées des montagnes, les forêts, les vallées, la nature rendue selon les saisons est traitée avec toute l'emphase possible pour lui rendre hommage. Le sentiment bucolique qui prévaut se double d'un sentiment poétique. Le naturalisme se double aussi d'un sens de l'abstraction, ce qui est un véritable tour de force.
La capacité de ces artistes de jouer sans cesse sur ce double jeu rend les paysages d'une beauté presque magique alors que les sites dépeints demeurent parfaitement reconnaissables aux yeux de ceux qui les ont connus. On ne peut qu'admirer les compositions de Kawanabe Kyossai, d'Utagawa Yoshimori, d'Utagawa Hiroshige II.
On découvre dans ce florilège des oeuvres du début du XXe siècle, comme celles d'Hashiguchi Goyo ou de Jokata Kaiseki. La planche réalisée par Kawase Hasui date de 1946 et peut encore tenir la comparaison avec les maîtres illustres qui l'ont précédé. On ne se lasse pas d'admirer ces prodiges où une conception originale de l'espace sert à magnifier ce que les artistes ont voulu magnifier. Cet album donne toute la mesure du génie de ces créateurs qui ont su s'attacher à tel ou tel lieu qu'il ont voulu représenter pour être contemplés par les amateurs. Ils expriment ici le somment d'un art techniquement complexe et d'une extrême pureté graphique et chromatique. On peut comprendre pourquoi les impressionnistes et d'autres peintres de leur temps ont tant admiré ces planches superbes qui, parfois, ont été exécutées en dix couleurs, ce qui est un tour de force difficile à égaler. Ce sont des chefs-d'oeuvre qui continuent à fasciner et n'ont rien perdu de leur faculté esthétique.
Gisèle Freund, une écriture du regard, Lorraine Audric & Teri When Damisch, Editions Hazan, Pavillon Populaire, Montpellier, 144 p., 24, 95 euro.
Gisèle Freund (1908-2000) est l'une des photographes les plus célèbres du XXe siècle. Elle doit d'abord sa grande notoriété aux portraits d'écrivains, comme James Joyce ou d'André Malraux, ce dernier ayant été inclus dans cette exposition), ou d'artistes (celui de Frida Kahlo, qui est magnifique, figure dans ce catalogue), l'arc de ses intérêts est très vaste. Quand elle a fait ses études (sociologie et histoire de l'art), elle a documenté la lutte de la gauche allemande contre le nazisme montant en puissance au début des années trente.
Elle a dû quitter l'Allemagne en 1933 et s'est installée à Paris. Elle y fait la connaissance de Walter Benjamin et se lie d'amitié avec lui. Elle a fondé le Studio Gris. Elle rencontre Adrienne Monnier qui dirige la Maison des amis des livres et qui est le lieu de rencontre de nombreux écrivains anglo-saxons. Elle achève sa thèse, La Photographie en France au XIXe siècle, la traduit en français et la fait publier en 1936. Elle utilise les pellicules en couleurs de Kodak et d'Agfa. Elle projette les diapositives de ses portraits d'écrivains dans la librairie d'Adrienne Monnier en 1939.
Quand les Allemands envahissent la France et elle se réfugie dans le Lot. Elle décide de s'exiler à Buenos-Aires. Elle fait en Argentine de nombreux reportages, en particulier en Patagonie. Elle est admise au sein de la société Magnum en 1947. Elle décide de vivre au Mexique au début des années cinquante. Elle devient l'amie de Diego Rivera et de Frida Kahlo et rencontre les artistes muralistes. Le visa d'entrée aux Etats-Unis lui est refusé. Elle retourne à Paris pour s'y fixer de façon définitive. Elle a une exposition au Musée d'Art moderne de la ville de Paris en 1968 (« Au pays des visages »).
En 1981, elle est invitée à faire le portrait officiel de François Mitterrand. Elle a une rétrospective au Centre Georges Pompidou en 1991. L'exposition présentée au Palais Populaire de Montpellier met surtout l'accent sur ses engagements politiques et sociaux. On peut y voir de nombreux clichés de la lutte de gauche allemande au début des années trente et des photographies montrant la misère berlinoise et s'intéresse beaucoup aux prostituées (elle a fait bon nombre de prises de vue sur ce thème à Paris en 1932). A l'instigation de Malraux, elle a fait un reportage détaillé du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture qui s'est tenu à la Mutualité.
Elle a aussi tenu à faire voir les enfants miséreux, les travailleurs les plus humbles, les chômeurs, les artisans. Son périple en Terre de Feu a été pour elle une grande source d'inspiration. Elle s'intéresse particulièrement à la population locale et puis, au Mexique, elle fait paraître Diego Rivera devant l'une de ses immenses créations. Elle fait un reportage sur les muralistes qui a paru dans Illustrated en 1949. C'est seulement qu'au tout début des années soixante-dix qu'elle a pu se rendre dans les rues de Harlem à New York pour y saisir l'esprit avant que ce quartier ne change d'aspect. En somme, c'est la voyageuse et la militante politique que ce catalogue nous fait connaître. Cette Gisèle Freund là a consigné sur ses pellicules (ce furent ces carnets de notes) les vérités gênantes l'Amérique latine, de l'Europe occidentale et des Etats-Unis. Elle nous a par conséquent laissé des de archives merveilleuses pour nous apprendre ce qu'a été ce monde pas si lointain.
Mon mal j’enchante, Pierre Loti, édition et préface de Bruno Percier & Alain Quella-Villéger,La table ronde, 572 p., 30 euro.
La lecture de plusieurs biographies ne m'a jamais apporté de réponse sur les activités de Julien Viaud, Pierre Loti en littérature. Par exemple, il est impossible de comprendre ce qu'il faisait sur ce navire stationnaire à Istanbul. Il y est demeuré de nombreuses années. En dehors du fait qu'il sortait le soir parfois déguisé (en Albanais, entre autres travestissements), on ignore la nature de la mission qui lui avait été affectée. En somme, pas mal de mystère entoure cette personnalité un peu singulière. On sait seulement qu'il a été reçu une fois par le sultan (épisode qu'il a lui-même raconté).
Ce nouveau recueil de lettres ne nous révèle rien sur cet aspect de sa vie militaire. En revanche, on apprend beaucoup de choses sur sa vie familiale (on sait que ses parents avait des problèmes pécuniaires sérieux et qu'il a contribué à sauver leur maison) et sur ses relations avec un certain nombre de personnalités parisiennes. Né à Rochefort en 1850 dans une famille protestante, il se rend à Paris en 1866 afin de parachever ses études au lycée Napoléon (aujourd'hui lycée Henri IV). Il écrit surtout à cette époque à sa soeur Marie et à sa mère.
Un an plus tard, il passe le concours de l'Ecole navale et est reçu. Il est alors envoyé à Brest et est instruit à bord du Borda, navire-école en 1869. Il embarque ensuite sur le Bougainville. Nommé aspirant de 2e classe, il fait un long voyage sur le Jean-Bart et se rend de la Méditerranée au Canada en passant par le Brésil, puis se retrouve à Copenhague. Il devient aspirant de première classe.
Puis il est affecté à bord du Flore et part en Amérique du Sud, jusqu'à Valparaiso. La guerre avec la Prusse ne l'affecte en rien. Il ne se retrouve dans aucun engagement militaire. Il appareille pour la Polynésie en 1872 et aborde à Tahiti. Puis il va à San Francisco. Enfin, il se retrouve de nouveau à Valparaiso après un second séjour à Tahiti. Il fait escale à Rio et rentre en France où il est affecté à Toulon en janvier 1873. Il part pour la Guinée et se rend à Dakar.
L'année d'après il quitte Toulon. Il commence à faire des dessins, qu'il cherche à placer à son retour en France en 1875. Un an passe, et le voici à nouveau à Toulon et fait plusieurs escales en Grèce. Puis il part à Constantinople. On ne l'ignore pas : il adore se déguiser et en fait part à ses proches (cette fois, il se travestit en Turc). Il est arrivé à bord du Gladiateur au moment de la destitution d'Abdul-Aziz et son remplacement par son frère, Murat V. Il habite dans le quartier d'Eyoub sous le nom d'Ali. Quand il rentre en France, il se rend à Paris et signe un contrat avec l'éditeur Calmann Lévy et prévoit de lui donner son premier roman ; Aziyadé. Il navigue alors le long des côtes bretonnes et normandes.
Au long de l'année 1878, il a considérablement augmenté le nombre de ses correspondants. Il échange des lettres avec Juliette Adam, directrice de La Nouvelle Revue. Son roman paraît en 1879 sous une forme anonyme. Il fait paraître en 1880 Le Mariage de Loti à une époque où ses proches s'efforcent de lui faire épouser une jeune veuve, Marie Roberthie. Il correspond avec Alphonse Daudet sous le pseudonyme de Loti. En 1881, il est nommé lieutenant de vaisseau et publie alors le Roman d'un spahi sous son pseudonyme complet. Deux ans plus tard, Mon frère Yves sort de presse. Il part pour le Tonkin en 1883. Il fait escale à Singapour. Il parle beaucoup de la guerre qui se déroule dans les colonies françaises d'Asie et écrit même un article dans le Figaro, ce qui lui vaut les foudres du ministère. Il tombe en disgrâce. Il séjourne alors un temps en France et y voyage. Il part pour le Tonkin, puis pour la Chine et découvre le Japon. Ce périple lui inspire Madame Chrysanthème (qui sort en 1894). Il propose à Juliette Adam Pêcheurs d'Islande (qui sera son premier succès). Il épouse Blanche Franc de Ferrières.
En 1887, il reçoit la légion d'honneur et fait paraître ses (Propos d'exil. A Constantinople, il cherche la tombe d'Hakidjé, qui lui inspirera Fantômes d'Orient 1892). Il écrit à de plus en plus d'écrivains, comme Judith Gautier, Edmond de Goncourt, Sully Prudhomme, Jean Lorrain, Ludovic Halévy, Elizabeth, la reine de Roumanie. Il lui rend visite et maintient un lien avec elle. En 1891, il est élu à l'Académie française. Il a aussi une relation amicale profonde avec Sarah Bernhardt. Il parcourt la Terre Sainte en 1894. Il publie Ramuntcho en 1898. En 1899, il séjourne à Berlin, puis part pour l'Inde. En 1904, il retourne à Constantinople et rencontre les trois femmes qui le leurrent. Mais, de leur rencontre, il tire son dernier livre, Les Désenchantées.
Toutes ses lettres qui, le plus souvent, semblent autobiographiques, laissent pensif car les unes sont signées de son nom et beaucoup d'autres de son pseudonyme. On ne peut donc pas séparer ce qui ressort de sa fantaisie ou qui est le fruit de son expérience vécue. C'est un peu déconcertant. Mais cela fait partie de son univers trouble, dont, en fin de compte, on ne connaît pas la vérité. Ces lettres sont souvent merveilleusement écrites et nous plonge dans l'ambiguïté de son personnage parfois masqué. Le mystère reste entier. Mais doit-on le mettre à jour ?
Abstraction lyrique et savoir-faire d'exception, Huguette-Arthur Bertrand / Philippe et Grégoire Alemand, Clotilde Scoria, édition bilingue, Galerie Bertrand Trocmez, Clermont-Ferrand, 92 p., 22 euro.
La galerie Bertrand Trocmez, sise en plein centre de la France, fait souvent de très belles expositions et réalise des catalogues de qualité. Cette fois, il exhume l'oeuvre d'Huguette-Arthur Bertrand (1920-2005). Ce n'est pas une inconnue, mais on a eu tendance à l'oublier. Elle a fait partie de l'Ecole de Paris et ses tableaux sont de nature informelle. Elle y fait un usage curieux de la couleur noire, qui paraît toujours s'appliquer par-dessus les jeux chromatiques et formelles qu'elle a établis. C'est constante dans son art et aussi une sorte de signature qui la distingue de ses pairs pendant l'après-guerre. Elle y fait montre d'une énergie, qu'elle contient sans doute, mais qui laisse transparaître la force de son inspiration qui joue avec un espace inventé de toute pièce. Ses compositions reposent sur un principe constant, dont elle a exploré au fil des ans toutes les déclinaisons possibles.
Elle a fait sa première exposition personnelle à Prague en 1947, puis elle expose à la galerie Niepce à Paris. A partir de 1952, elle est présentée régulièrement à la galerie Arnaud. Elle est appréciée puisqu'elle son travail est présente à l'étranger, en particulier à Bruxelles, à Lausanne, à New York, à Londres, à Copenhague, etc. Elle a aussi attiré l'attention de plusieurs galeries de province, de Lyon à Nantes en passant par Angers. Elle s'est aussi intéressée à la tapisserie.
En 1974, des musées acquièrent ses ouvrages. Elle a fait une donation au musée d'Angers. Jamais l'intérêt pour elle ne s'est démenti. Mais elle n'a pas une fortune critique immense. Seuls Michel Ragon et Michel Seuphor se sont donnés la peine de vanter sa valeur picturale. En 1987, elle a rassemblé un ensemble de texte dans un livre intitulé Notes de parcours, paru en 1987. Avec le recul, et maintenant qu'elle a disparu, on commence à comprendre la place non négligeable de ses toiles dans le contexte de la dite Ecole de Paris. Je pense que cette belle sélection d'oeuvres pourra mieux la faire connaître des nouvelles générations.
Le galeriste a tenu à mettre en parallèle le mobilier de Philippe et Grégoire Allemand (père et fils), qui sont issus d'un univers de restaurateurs très appréciés. L'atelier Philippe Allemand a été créé en 1985. Y sont né des tables, des lampes, des miroirs, des éléments de décorations, des lampes (entre autres choses) qui sont remarquables par leur style et le curieux mélange de rigueur (il y a dans ces créations un écho de l'Art Déco, mais transgressé par des jeux graphiques ludiques. C'est absolument remarquable et digne de figurer dans l'histoire du design de notre temps.
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Gérard-Georges Lemaire 05-12-2024 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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