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[verso-hebdo]
30-05-2024
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La chronique de Pierre Corcos |
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Serrano et la photographie |
Comment peut-on être à la fois marqué par la peinture religieuse traditionnelle et guidé par Marcel Duchamp et ses provocations ? La réponse à ce paradoxe se trouve dans l'oeuvre de l'américain Andres Serrano, né en 1950, et dont les spectaculaires photographies consacrées aux États-Unis sont jusqu'au 20 octobre rassemblées au musée Maillol.
L'artiste, dont la famille est d'origine afro-cubaine et hondurienne, fut élevé dans un catholicisme fervent. Et la piété, l'éclat émanant de ces peintures de la Renaissance qu'il découvrit tôt au Metropolitan Museum of Art ne purent qu'esthétiser un profond sentiment religieux... Sauf que, diplômé du Brooklyn Museum Art School à 19 ans, et à la turbulente scène artistique new-yorkaise très longuement exposé (il ne présente en effet sa première exposition importante qu'à 35 ans), c'est un Andres Serrano ayant bien assimilé ce qui relie scandale et médiatisation, art contemporain et publicité, qui va apparaître. Mais la religiosité catholique n'a point disparu... La synthèse de cette féconde maturation sera la photographie, emblématique, scandaleuse et bien connue, Immersion (Piss Christ) réalisée en 1987. Pour rappel, c'est un crucifix commercial blanc de quelques centimètres immergé dans un bocal contenant de l'urine mélangée à du sang, le tout photographié en légère contre-plongée. L'oeuvre sera en quelque sorte pour Andres Serrano... un équivalent de l'urinoir « R. Mutt » (Duchamp), soit un détonateur allumant des controverses explosives. Plus dans les milieux catholiques ou d'extrême-droite cependant que dans ceux de l'art. Mais, dans la « société du spectacle » (Debord), ces violentes polémiques allant jusqu'à la vandalisation de l'oeuvre (Lundi 2007, Avignon 2011) produisent assez de retombées médiatiques pour garantir la visibilité d'un artiste en-dehors de toute analyse conséquente de son travail.
L'exposition Portraits de l'Amérique au musée Maillol (commissariat collectif de Michel Draguet, Élie Barnavi, Benoît Remiche appuyés sur l'équipe de Tempora, une agence belge spécialisée dans l'événementiel) permet-elle de se faire une idée plus adéquate de l'oeuvre d'un artiste qui a fait un usage privilégié de la photographie... tout en refusant le qualificatif de photographe ? Sans doute, et cette contradiction constitue à la fois une difficulté et une piste... Une difficulté parce qu'on ne peut pas juger ces photographies monumentales et spectaculaires, aux couleurs rutilantes et à l'immédiat effet esthétisant, dans leurs différentes séries (Native Americans, Nomads, Race, The Klan, Objects of Desire, etc.) comme on le ferait avec un grand photographe professionnel, spécialisé dans tel ou tel domaine et mobilisant la recherche formelle qui s'y adapte. Par exemple la série Nomads nous montre des sans-abri et, supposément, l'extrême précarité. Mais, prises hors contexte social et dans leur « décor idéalistico-pop », ces photos ne nous bouleversent pas vraiment, ni par leur puissance expressive (à comparer avec La Femme aveugle - marchande de journaux (1916) d'un Paul Strand par exemple) ni par leur valeur documentaire et compassionnelle (on penserait, par opposition, à la série Los Dormidos de la photographe chilienne Paz Errázuriz). Autre exemple, la série Native Americans. Des portraits d'Indiens bien campés, nourris, esthétisés. Mais là encore, on n'est pas dans la photographie sociale ou ethnographique qui documente, renseigne. Alors Serrano pratique-t-il un photographie politique, ou véritablement critique ? On en doute. Lui-même, interviewé dans une vidéo, répète, très consensuel, qu'il n'est d'aucun bord, et son portrait de Donald Trump auréolé d'un fond jaune est plutôt valorisant. Quant à ses photos des membres du KKK, elles restent étonnamment marquées par une recherche formelle de picturalité abstraite... Alors quid au final des photos, des Portraits de l'Amérique donnés à voir par Serrano ? Une piste nous est déjà fournie par cette formule que l'on peut lire dans un texte d'accompagnement : « L'Amérique de Serrano constitue un projet Pop irisé (...) un rêve lumineux un peu kitsch qui embrase le regard de portraiturés par définition heureux d'appartenir à la grande famille américaine ».
Et, à l'égard de ce rêve américain « lumineux un peu kitsch », l'oeuvre d'Andres Serrano reste ambivalente (elle l'était déjà chez Warhol, elle est plutôt d'adhésion chez un Jeff Koons). Non que cette oeuvre de Serrano ne se définisse et développe que par rapport à l'Amérique. Car à l'évidence Andres Serrano a un monde qui lui est propre. Composé de foi catholique (dont l'apparence peut aller jusqu'au kitsch sulpicien : cf. la photo Blood Madonna), d'organique (le sang, l'urine, le sperme, etc. : cf. la série Bodily Fluids) et de ludique (sa série Robots). Ce monde se nourrit de l'hystérie et de l'emphase que l'on trouve dans le christianisme latino. Et travers ses grands formats brillants, il s'inscrit dans la tradition picturale la plus classique, en même temps qu'il joue épisodiquement à provoquer.
On comprend donc que Serrano a raison de ne pas se définir comme photographe. C'est un artiste contemporain qui crée avec de la photographie, mais aussi des vitrines d'objets kitsch ou d'autres objets (cf. ses cartons Residents of New York). Et cette création oscille entre un imaginaire original mais relevant en partie de ses racines culturelles et une adhésion circonstancielle aux stratégies de marketing de l'actuel marché de l'art.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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