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[verso-hebdo]
06-06-2024
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La chronique de Pierre Corcos |
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Satirique et loufoque |
Dans un même film drôle et malicieux écorcher le star-system, le « culturellement correct », le vaniteux narcissisme de certains acteurs, l'usage de l'intelligence artificielle et enfin quelques dérives de la vague « Me Too », oui, on prend !... Le treizième long-métrage de Quentin Dupieux (né en 1974), Le Deuxième acte, a fait l'ouverture, hors compétition, du dernier Festival de Cannes en même temps qu'il est sorti en salle. C'est une petite machine de guerre téléguidée posant quelques charmantes mines (im)personnelles sur le sol très accidenté du cinéma. Ici le sens de la caricature force des traits qu'en général les anecdotes brouillent et l'idéalisation gomme. Et le procédé du « film dans le film » suggère, hors-fiction, une vérité possible et peu amène des comportements. Bref Le Deuxième acte vaut sans doute plus qu'une simple pochade au casting brillant (Vincent Lindon, Léa Seydoux, Louis Garrel).
Deux personnages, David et Willy (Louis Garrel et Raphaël Quenard) marchent en discutant sur une petite route en rase campagne. Long travelling. Travelling qui joue un tel rôle tout au long du film que le dernier plan est consacré... à son rail ! Un rail monté sur des centaines de mètres par des techniciens, ces « invisibles » du cinéma auxquels Dupieux rend ainsi hommage. David demande à son pote Willy de séduire Florence (Léa Seydoux) pour s'en débarrasser. Florence, sa collante petite amie dont il a un peu marre, alors qu'elle l'adore tellement qu'elle veut le présenter à son père (Vincent Lindon). Ils doivent se retrouver tous les quatre dans une brasserie, « Le Deuxième acte ». au bout de quelques minutes Willy dit quelque chose d'incongru sur les « travelos », et David le reprend en lui rappelant qu'ils sont filmés, là, et qu'on ne parle plus comme ça au cinéma aujourd'hui. Du coup, David redevient Louis Garrel sermonnant un comédien débutant... autre scène, autre travelling : Florence marche avec son père vers le restaurant et lui rappelle combien elle aime David et combien ce rendez-vous est important pour elle. Là-dessus son père, redevenant par là-même Vincent Lindon, explose de colère en disant qu'il ne veut plus continuer ce tournage, tant le scénario est débile, insignifiant au regard des périls planétaires actuels. Ce n'est donc plus Florence qui lui répond, mais Léa Seydoux, qui le supplie de faire un effort pour la continuation de ce tournage. Enfin l'on voit un personnage « secondaire », Stéphane (Manuel Guillot), qui a l'air terriblement ému, ouvrir la brasserie. Il doit servir le vin à table au quatuor, mais ce figurant, débordé par le trac et impressionné par ces stars, n'y parviendra jamais, et de désespoir finira même par se suicider. Faux suicide, c'était du jeu... Dès lors, à la joie maligne de Quentin Dupieux et au trouble du spectateur, deux niveaux vont se chevaucher constamment : le film sentimental, géré par une intelligence artificielle ( !), et un tournage agité, polémique où les comédiens vont jouer à... être eux-mêmes (en caricature), avec leurs petites mesquineries et leurs egos boursouflés. Tout y passe : l'obsession de sa carrière et de son image, la rivalité du jeune comédien qui monte et du briscard de l'écran, les fielleuses vanités en compétition pour de prestigieux tournages, la condescendance sarcastique à l'égard du figurant, l'extrême susceptibilité terrorisante version « Me Too », l'étouffante contagion de la « cancel culture » dans le milieu du cinéma, etc. Sur l'affiche du film, les têtes des vedettes sont servies sur des plats avec leur nom, comme pour être goulûment avalées par la machine drolatique Dupieux.
De qui, de quoi se moque-t-on dans cette satire ? En fait pas seulement des comédiens et de leurs travers (produits le plus souvent par les stratégies inhérentes à la « société du spectacle »), le I hate actors (1944) de Ben Hecht accompagnant d'ailleurs dès ses débuts le « star system ». Pas seulement des scénarios en pagaille si indigents et convenus qu'une intelligence artificielle pourrait sans mal les produire, et pas seulement d'une industrie du spectacle préférant les comédiens aux réalisateurs et ignorant les « petites mains » laborieuses sans lesquelles pourtant rien ne serait possible. Cette satire vise un certain milieu professionnel du cinéma avec ses poses, ses codes et protocoles. Dans Le Deuxième acte elle procède d'une attitude globale. L'esprit satirique en effet témoigne chez celui qui l'exerce d'un refus d'être complice... Or c'est au moment où Quentin Dupieux devient, après une série de succès publics (Le Daim, Fumer fait tousser, Yannick, Daaaaaali !), un réalisateur en vue que l'artisan frondeur, créatif et autodidacte qu'il est resté, venu d'aucune école de cinéma et travaillant avec de petits budgets sur un temps et des formats courts, nous prévient et rappelle qu'il n'est pas du sérail et ne sera ni dupe ni complice de ce qu'est en train de devenir aujourd'hui le cinéma, soumis à tant de contraintes et pressions qu'il en sort de plus en plus compressé et raide comme d'une essoreuse un linge trempé. alors non, pour cet artiste de musique électronique (pseudonyme : Mr. Oizo) à l'origine, qui travaille dans la satire et la loufoquerie pour ne jamais adhérer et dans l'urgence pour capter l'air du temps, un cinéma qui ne s'enliserait pas dans l'ethos de son milieu doit rester permanente inventivité.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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