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[verso-hebdo]
20-06-2024
La chronique
de Pierre Corcos
Battre son couple
Bien entendu les aléas, les querelles du couple sont du pain béni pour le théâtre. L'expression même de « scène de ménage » pointe la théâtralité - déclamations et effets de manche - tapie dans ces règlements de compte intimes. Les tours et détours que prennent l'un et l'autre pour circonvenir le partenaire/adversaire évoquent, eux, des « scènes de manège ». Et les tactiques ingénieuses pour le dominer tout en continuant à le/la séduire font penser enfin à des « scènes de méninges »... Toute cette dramaturgie du couple habiterait le registre du drame bourgeois ou de la comédie si la gravité de l'amour, de son rapport à la perte et surtout à la mort n'imprégnait d'un sentiment tragique ces conflits allant parfois jusqu'au meurtre. D'un point de vue existentiel, certains couples ont misé gros sur leur relation. L'usure, la désidéalisation, l'éloignement progressif leur sont d'autant plus insupportables que leur amour fusionnel (ou devenu tel) n'en reste pas moins ambivalent (amour/haine). Mettre en scène ces drames du couple, c'est donc pour l'homme de théâtre mobiliser un thème largement partagé, et un conflit délicat fondateur de drame. Le creusement du prosaïque de la situation matrimoniale en gravité pathétique offre une séduction supplémentaire.

La pièce La ligne solaire d'Ivan Viripaev, mise en scène par Clément Poirée (du 2 au 21 juillet au Festival d'Avignon) va très loin et fort dans l'exutoire cathartique. Un couple se dispute à cinq heures du matin dans sa cuisine blafarde. Werner évoque le projet d'avoir un enfant alors que Barbara, elle, remet en question toute leur relation... Quand naguère, un matin, une ligne solaire (titre de la pièce) a séparé le torse de Werner en une partie d'ombre et l'autre de lumière, elle a soudain pris conscience de l'insurmontable ambivalence qu'elle éprouve à son égard : « deux moitiés, avec l'une je suis prête à fusionner, et l'autre n'est pas du tout, mais alors pas du tout, compatible avec moi. Comment je fais ? ». Donc ils vont régler leurs comptes jusqu'au bout de cette nuit, quitte à rompre définitivement après sept ans de mariage et à l'orée de ce nouveau départ que serait la naissance d'un enfant... Toute la pièce module par les gestes et les paroles une alternance d'amour et de haine, mais sans alternative de dépassement. Barbara (bouleversante Aurélia Arto) reproche essentiellement à Werner (Bruno Blairet à la fois tendre et brutal) de ne pas la comprendre, voire de ne pas la considérer. Et Werner la ressent, si l'on résume, comme à la fois narcissique et invasive... Pour transcender le prosaïque de ces rivalités ou un psychologisme niais de magazine, Viripaev compose son texte comme une secrète partition musicale avec ses « prestos » et ses « adagios », et il a recours à des insultes parfois ordurières mais d'autres fois étonnamment lyriques. La mise en scène de Clément Poirée, un spécialiste de Viripaev, a donné toute sa place à la violence : c'est elle qui exacerbe les paroles et les émotions, elle qui tente de rompre la frontière entre les egos, elle enfin qui rend compte d'un désir de mort crûment exprimé par Werner. Le décor carrelé de cuisine est maculé au sol d'une effrayante tache noire. En dépit de sa violence, de sa noirceur, toute la pièce semble magnétisée par un fervent besoin de sortir de ce tunnel boueux vers la lueur d'une rédemption. Une autre ligne solaire.

Jusqu'au 16 juin on a pu voir au Théâtre de l'Athénée Diari d'amore composé de deux courtes pièces de l'écrivaine italienne Natalia Ginzburg (1916-1991), Fragola e panna et Dialogo, un spectacle en italien surtitré en français qui nous parle aussi du couple, mais d'une toute autre manière. Ici l'usure a effectué son travail destructeur, et le prosaïque a submergé, lessivé au fil du quotidien la romance. Dans Dialogo nous voyons le couple Francesco et Maria encore au lit, papotant à bâtons rompus à propos de leurs petites affaires, d'ennuis d'argent. Ils sont allongés face au public et se redressent de temps en temps... À un détour de l'insipide bavardage, Marta avoue qu'elle est tombée amoureuse d'un voisin, vieil ami de Francesco, et qu'ils auraient même prévu d'emménager ensemble. Mais Francesco ne trouve rien d'autre à dire sur un ton sardonique et badin que : « Michele aime les très belles femmes, je le sais. Concernant les femmes, il est très difficile. Tu n'es pas très belle. Comment c'est arrivé ? (...) Tu as mauvaise mine. Un teint de moutarde. Et tu as aussi les jambes tordues ». Même plus de jalousie ! Il ne reste que médiocrité et routine dans ce couple... C'est Nanni Moretti, le grand cinéaste italien, qui s'est risqué à cette occasion à sa première mise en scène théâtrale. Comme pour la pièce suivante, Fragola e panna, se déroulant dans le salon d'une maison de campagne où vivent Flaminia et Cesare avec Tosca, leur bonne. Survient la jeune Barbara qui cherche Cesare, dont elle révèle devant une Flaminia impavide être amoureuse. Elle espère être hébergée, ne voulant plus rentrer chez elle à cause d'un mari jaloux et violent. Machinalement Flaminia, sa soeur Letizia, la servante Tosca apportent leur aide à l'errante désespérée... Dans ces couples adultérins, les hommes restent machistes, mesquins et les femmes indifférentes. Plus de conflit cette fois, mais une sorte de renoncement, de futilité, de lassitude générant, au- delà du prosaïque, une espèce de tragédie blanche et atone.
Mais il est possible que la mise en scène bien sage de Nanni Moretti ne permette pas d'en traduire tout le désespoir.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
20-06-2024
N_B : Pause de cette chronique hebdomadaire à l'occasion des vacances estivales. Elle reprendra le 5 septembre.
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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