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[verso-hebdo]
23-01-2025
La chronique
de Pierre Corcos
La mort comme agent
Comment la mort agit sur nos vies... Elle les rend fragiles, absurdes, éphémères, dérisoires, pathétiques. Et comment, d'emblée présente et imposée, la mort agit sur des films... Elle confère une gravité inattendue à une comédie sociale (En fanfare), et fige le drame d'un suicide accompagné (La chambre d'à côté) en un esthétisme hiératique.

Beaucoup, dans le scénario du film d'Emmanuel Courcol En fanfare, devrait l'insérer dans le registre de la comédie sociale. Une comédie que l'amusante interprétation de Pierre Lottin, le choc inattendu des contextes sociaux et quelques bons gags mèneraient jusqu'à la fin, lui assurant un large succès populaire, ce qui fut le cas. Mais le spectre de la mort, présent dès le début et s'imposant au final, bascule l'histoire dans le mélodrame, voire la tragédie... Quel est ici le scénario ? Thibaut Désormeaux (admirable Benjamin Lavernhe), brillantissime chef d'orchestre de renommée internationale, découvre qu'il est atteint d'une leucémie mortelle. Seule la greffe d'un donneur compatible - par exemple un membre de sa famille - pourrait éventuellement le sauver. Hélas, à cette occasion tragique, Thibaut découvre que sa « soeur » supposée ne l'est pas, qu'il fut précocément adopté, mais aussi qu'il a un jeune frère, Jimmy (Pierre Lottin), ayant vécu ailleurs, dans le prolétariat d'une petite ville du Nord. Retrouvailles surprenantes et comiques : Jimmy, employé dans une cantine scolaire, découvrant ahuri ce frère prestigieux, et offrant un peu de sa moelle épinière par la même occasion. Thibaut, déborde de reconnaissance et paraît sorti d'affaire... Il découvre alors que ce frère, apparemment fruste, aime aussi la musique, le jazz, et pratique le trombone à coulisse dans une fanfare municipale (suggestion que le goût, le talent musical serait inné par-delà les effets de l'acquis ?). La confrontation sans ménagement des deux classes sociales (bourgeoisie et prolétariat, avec, selon les analyses de Bourdieu, leur habitus propre) incline En fanfare vers un réalisme critique. Et l'on n'est ainsi pas étonné d'apprendre que Robert Guédiguian a été producteur du film, ou qu'Emmanuel Courcol a écrit des scénarios pour Philippe Lioret. D'un autre côté, cette ode à la Musique par-delà les différences de caractéres et de milieux, pouvant à la fin réunir ceux que par ailleurs tout oppose, paraît une cliché optimiste, bien-pensant, quelque peu mystificateur... Mais la perspective effroyable de la mort, qui fait retour à la fin (la greffe ne prend plus, Thibaut est fichu), minore d'autant plus ces qualifications du film qu'elle est médicalement vraisemblable. La mort se perçoit aussi, indirectement, par ce thème de la finitude et de l'échec, en filigrane du film : Thibaut, qui a réussi sa carrière de maestro, est resté affreusement seul ; Jimmy mène une existence, réduite, obscure, et ne sortira jamais de sa condition. Sur une comédie sociale à portée sociologique et à scénario grand public, la mort a ainsi joué comme agent de gravité, profondeur.

Le dernier opus de Pedro Almodóvar (75 ans), La Chambre d'à côté, Lion d'Or 2024 à Venise, place la mort au centre de l'intrigue. En effet cette histoire pathétique, adaptée d'un roman de Sigrid Nunez, ne se contente pas d'agiter le débat de société sur le droit à la fin de vie volontaire ou sur l'assistance au suicide, mais elle invite le réalisateur espagnol à une mise en scène fascinante, hiératique, où la mort aurait en quelque sorte dicté les linéaments d'une esthétique sobre, classique. Ce film est réglé dans les moindres détails, et le contraste épuré de ses couleurs complémentaires ou renforcées suggère une perfection glacée, immobile. Le cadre naturel de la forêt peut évoquer les limbes, lieu surnaturel et indécis d'une attente confuse ; et le physique étrange de Tilda Swinton, par sa longiligne pâleur, rappelle une future momie. La mort s'est mué en paysage, en tableau composé, en représentation mythique... Un rappel de l'histoire : Ingrid (Julian Moore), écrivaine à succès, apprend qu'une ancienne amie, Martha (Tilda Swinton), correspondante de guerre, avec qui elle avait jadis travaillé dans le même magazine, est atteinte d'un cancer du col de l'utérus au dernier stade. Elle va donc la revoir, elle l'accompagne dans cette épreuve accablante. Récits cathartiques de la mourante, évocations dramatiques : le fil d'une vie mélancoliquement se déroule, avant que la Parque ne le tranche définitivement. Mais Martha s'est procuré sur le « dark web » un poison létal, elle demande à sa vieille amie de l'accompagner (c'est « la chambre d'à côté », titre du film) vers la mort qu'elle a choisie et organisée. Ce sera dans une maison splendide au coeur de la forêt, et au moment précis dont elle aura décidé... Les mélodrames hystériques auxquels Almodovar avait coutume d'offrir sa verve sont transcendés par l'esthétique austère du film, qui semble d'ailleurs être la continuation d'une oeuvre précédente, Douleur et gloire (2019). Dans le double dessein d'une poétisation et d'une douce acceptation, les paroles splendides, extraites d'une nouvelle de Joyce dans le recueil Dubliners, comparant la mort à la neige, blanche comme un linceul, silencieuse et enveloppant tous les humains, sont répétées, comme un message de l'au-delà pour nous aider à consentir au néant. C'est enfin l'extinction que se/nous souhaite le vieux réalisateur espagnol : un effacement lumineux et sans emphase.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
23-01-2025
 

Verso n°136

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