L'exposition « Revoir Van Eyck » vient d'ouvrir au palais du Louvre, elle durera jusqu'au 17 juin. Autour de la pièce restaurée, et même de son envers, ce qui autorisera un nouvel accrochage, de nombreux prêts dont il ne sera pas question ici mais seulement d'un problème : que pouvait avoir en tête le Chancelier en passant une telle commande au plus célèbre peintre de son temps ? Regardons-le d'abord, saisi par Van Eyck en 1434, date à laquelle nous somme certains que Rolin posa pour le maître de mai à août au château d'Aymeries, un splendide château construit sur une île de La Sambre. Ce séjour fut suffisant à Van Eyck qui ne termina l'ensemble de son tableau qu'en 1437. Van Eyck rend avec génie le visage de cet homme rusé, madré, orgueilleux dont les traits sont ainsi décrits par l'Historien de l'art Elie Faure « ils sont lourds de force, de calme, denses, pleins, d'une telle épaisseur de matière et d'une vérité si nue qu'on les dirait taillés dans la masse des muscles, des nerfs,, du sang, des os. »
Revenons en arrière : le 23 octobre 1408 Nicolas Rolin est nommé avocat du duc de Bourgogne Jean sans peur. Le 10 septembre 1419, Jean sans peur est assassiné par un des proches compagnons du dauphin sur le pont de Montereau. Philippe Le Bon nomme Rolin chancelier 1422 et le fait chancelier 1423. Veuf pour la deuxième fois, il épouse Guigone de Salins ; elle n'a pas 20 ans et lui 47. Le 23 mai 1430, un homme de Jean de Luxembourg comte de Ligny, met la main sur Jeanne d'Arc qui la livre à Philippe Le Bon. Rolin : son vêtement broché d'or et garni de vison. Son prie Dieu est recouvert par un drap de velours ciselé. Ses mains sont soignées. Il est représenté comme un prince, à égalité avec le divin Enfant qui le bénit de la main droite. Derrière eux apparaît le château d'Aymeries, c'est donc la Sambre. C'est vers ce château que convergent les lignes du carrelage de marbre, c'est donc le point de fuite de la composition. Son importance à la fois géométrique et symbolique est considérable.
Enjambant le fleuve, un pont. On y distingue une croix, allusion à un épisode politique de sa vie. En 1435, c'est à dire pendant que l'oeuvre pouvait être modifiée, Rolin avait été l'artisan d'un retournement d'alliance. Après l'action décisive de Jeanne D'arc, les français étaient en train de parvenir à chasser les anglais, et il importait à la Bourgogne d'abandonner ces derniers pour se réconcilie avec Charles VII. Cela aurait aurait pu être piteux, mais Rolin sut transformer ce retournement de veste en triomphe. On se souvient que encore Dauphin, Charles VII avait fait tuer Jean sans peur. Or Rolin mit comme condition à la signature du traité d'Arras en 1435 que Charles VII fasse construire une croix de pierre en mémoire de Jean sans sans peur.
Mais Guigonne de Salins comprit tout de suite qu'une créature n'a pas à se placer au même niveau que son créateur, pas plus qu'il n'a à faire de son tableau une image propagande... D'où le chef d'oeuvre de Rogier Van der Weyden.
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