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[verso-hebdo]
16-05-2024
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Tatuaggio, storie del Mediterano, sous la direction de Luisa Gnecchi Ruscone & de Guido Guerzoni, Mudec / 24 Ore cultura, 176 p., 29 euro.

En vérité, cette exposition présentée au Mudec de Milan jusqu'au 27 juillet, ne se limite pas à la seule Méditerranée. Disons que c'est son pivot central. Dans sa préface, Guido Guerzoni considère que le tatouage a été la première écriture des sauvages (je lui laisse la responsabilité de ce terme !). Son usage a été condamné par le concile de Nicée en 325. Mais si on le trouve un peu partout pendant l'Antiquité, il a survécu depuis le triomphe de l'Eglise apostolique et romaine. Et puis les grands voyages d'exploration sur toutes les mers du monde font connaître des peuples qui portent sur leur corps ces inscriptions souvent complexes et d'un certain raffinement esthétique. Le mot tattoo, en anglais, est dérivé du mot polynésien tatau. On le trouve dans les récits de voyage du capitaine Cook.
En de-qui concerne le bassin méditerranéen, le tatouage est une marque infamante, les condamnés et les esclaves en portaient La découverte d'un corps bien conservé par les glaces remontant à plus de 3.000 ans avant notre ère (appelé l'Homme de Similaun)prouve que le tatouage existait à l'époque néolithique. On a aussi retrouvé le corps momifié d'un chasseur qu'on a appelé Özi. D'autres corps tatoué remontant à une période ancienne avaient déjà été retrouvés en Amérique du Sud. La momie d'une femme a également été retrouvée en Egypte et qui remonte à la XXIe dynastie. On pense que ces scarifications avaient un rôle prophylactique. Il a été retrouvé des fragments de statues grecques avec des signes inscrits sur les jambes.
Pendant le Moyen Âge, le tatouage était un signe d'infamie frappant en particulier certains métiers considérés ignobles. Par la suite, les corporations ont imaginé des tatouages indiquant leur appartenance à un groupe professionnel spécifique. Ils ont été nommés le « signe de Caïn », car ces hommes revendiquaient la value de leur métier. Mais, en règle générale, c'était le moyen de distinguer un criminel. Il a existé, à partir du trecento, des représentations du Christ du Dimanche, dont le corps portait des signes distinctifs. C'est alors qu'est apparu le tatouage dévotionnel, qui s'est développé à partir du XVIe siècle. Ces petits dessins religieux étaient souvent liés au pèlerinage à Jérusalem. La découverte de l'Amérique a permis de connaître l'incroyable diversité et inventivité des tatouages des populations du Sud-Est asiatique et du Pacifique.
En Europe, le tatouage est devenu l'apanage des prisonniers. Puis il est devenu l'une des attractions des fêtes foraines. L'engouement actuel pour le tatouage est traité dans cette exposition de manière un peu cavalière. C'est dommage, car ce passage du monde de la pègre aux bons citoyens, surtout des jeunes gens, mais pas seulement, est un phénomène qui mériterait d'être examiné avec plus de profondeur. E, somme, ce catalogue nous donne les clefs principales pour comprendre ce phénomène qui a traversé les siècles pour devenir une mode à notre époque. C'est un guide utile et qui permet ensuite d'étudier la question de plus près.




Exposure. Art, culture, fashion in and out of the show case, sous la direction de Mariana Castillo Deball & Theo Eshetu, Mudec United, 212 p., 15 euro.

Dans le numéro 2 de la revue publiée par le Mudec (nouveau musée de Milan), toute l'attention est portée sur la réalité actuelle des musées. Il est vrai que ces institutions ont beaucoup évolué, aussi bien les anciennes, comme le British Museum, comme les très modernes, tel le Centre Pompidou ou le Guggenheim de Bilbao. En ce qui me concerne, je ne suis pas sûr que les rénovations qui ont été faites par l'architecte Jean-Michel Wilemotte ont été un bien. Le musée, tel que je l'avais connu pendant mon enfance, avait un charme et une poésie indéniables. Bien sûr, je ne crois pas que tout doit demeurer immuable. De plus, le Louvre a changé de bien des manières : la plupart des oeuvres du XIXe siècle ont été transférées au musée, d'Orsay, des embellissements ont été réalisés (comme le plafond peint par Cy Twombly, par exemple), la présentations d'expositions comportant des créations récentes, etc.
Et puis il y a eu les nouvelles acquisitions et puis la réhabilitation de certains artistes, comme Decamps, qui sont sortis de l'enfer des réserves. L'opération a été baptisée « A Crocodile in the Ceiling » (pourquoi un titre en anglais au coeur de la Lombardie ?). Cette affaire consiste d'abord à nous faire visiter le musée proprement dit avec un regard nouveau et en s'arrêtant devant des pièces représentatives visiter les collections du Mudec d'une autre façon que celle habituelle, passant d'un tableau à une sculpture, d'une installation à une autre. C'est d'ailleurs un thème depuis un moment utilisé par des artistes à la mode, comme Damian Hirst, qui a réalisé Dead End en 1994.
D'autres sections sont difficiles à interpréter et les textes qui les accompagnent ne sont guère éclairants. Des réflexions sur le mode de présentations des oeuvres et sur des créations improbables (comme Sissy, qui pourrait être l'oeuvre d'une curatrice et qui a des velléités idéologiques). Bref, on se perd un peu dans ce labyrinthe de textes écrits en anglais et de nombreuses photographies de toutes sortes, souvent indéchiffrables. En somme, je crois que ce parcours sert plus à perdre le visiteur qu'à le guider vers une nouvelle vision des ouvrages présentés par le musée. C'est malheureusement ce qui se passe à l'heure actuelle : nous avons perdu bien des repères, et ceux qui nous restent sont mis en pièce par les responsables des musées eux-mêmes. A prendre avec précaution !




Lettres à un jeune poète, Rainer Maria Rilke, précédées d'Orphée, Eurydice, Hermès, et suivies de deux essais sur la poésie traduit de l'allemand et postfacé par Gustave Roud, Editions Allia, 128 p., 6, 50 euro.

Les éditions Allia ont déjà publié et réédité nombre de volume de René Karl Johann Josef Maria Maria Rilke (1875-1926), qui a choisi de changer son long prénom en Rainer Maria. Il a vu le jour à Prague. Son père avait de grandes responsabilités dans une société ferroviaire, la Turnau-Kraplup-Prag. Dès l'école élémentaire allemande, il a commencé à écrire de courts poèmes.
Quand il a suivi les cours de l'école militaire, il a écrit un essai sur la Guerre de Trente Ans et a tenu un journal. Suivie l'école militaire supérieure. Rilke a demandé à son père d'en sortir une fois qui ait été diplômé. Il a publié en 1890 un premier poème dans le périodique viennois Das interessante Blast. Il est alors entré dans une école de commerce de Linz. Il abandonna ses études en 1892 un an avant la fin du cycle. C'est à Linz qu'il a écrit la plupart des poèmes du futur recueil intitulé Leben und Lieder.
En juin 1892, il a commencé à recevoir une petite mensualité envoyée par son oncle Jaroslav, qui est mort quelques mois plus tard. L'idée de ce dernier était de lui permettre d'étudier à la faculté de Jurisprudence. Il passe son baccalauréat. Un an plus tard, il fait la connaissance de Valerie von David-Rhonfeld, avec laquelle il a échangé une correspondance nourrie jusqu'en 1895. Il a déjà à son actif un nombre important d'oeuvres. Il a publié un texte en prose, Feder und Schewert. Ein Dialog, dans la revue Deutsches Abendblatt à Prague. Puis il a fait paraître ses quatre premiers Lautenlieder dans un périodique spécialisé dans la poésie, le Jung-Deutschlands Musenalmanach.
Il a aussi écrit un récit autobiographie, Pierre Dumont, qui n'a pas été imprimé. Mais ses Lautenlieder sont parus en volume en 1894. Il est parvenu à obtenir son diplôme au Graben Gymnasium de Prague. Il fréquente les cercles intellectuels de Prague et fréquente le Concordia et le Verein Deutscher Bidender Künstler. En septembre, il s'est inscrit à la Karl Ferdinand Universitât. Il a l'intention de suivre des cours d'histoire de l'art, la philosophie et l'histoire de la littérature. Il a fait publier cette année-là un second volume de poésie, Lartenopler. Puis il est un des créateurs de la revue Wegwarten.
A partir de septembre 1896, Rilke commence sa vie errante en Europe. Il se rend d'abord à Munich, où il suit des cours de philosophie à l'université. En décembe a paru son troisième volume de poésie, Traumgekrönt. Il se rend à Venise au mois de mars et y rencontre Lou Andrea Salomé, avec laquelle il a une relation passionnée. A la fin de 1897, il publie un drame, Ohne Gegenwart. Il fait aussi paraître à Leipzig un recueil, Advent. Il entretient des liens avec la revue Ver Sacrum de Vienne. Il se rend à Florence au printemps 1898, Il y écrit un journal de voyage, Florenzer Tachebuch. Puis, en août, il se rend à Berlin. Il s'inscrit à la faculté d'histoire de l'art. Il fréquente les cours de Georg Simmel. En avril 1900, il va à Saint-Pétersbourg avec Lou Andrea Salomé. Il fait un séjour à Moscou où il fait la connaissance de Léon Tolstoï. En 1901, il est à Paris. Puis il rencontre à Brême le sculpteur Clara Westhoff, qu'il épouse au mois d'avril. Il retourne à Paris et devient le secrétaire d'Auguste Rodin tout en écrivant une monographie sur le grand artiste. Les Lettres à un jeune poète, Rilke a commencé à les écrire à Paris en 1903. Plusieurs seront écrites à Pise, à Viareggio, ensuite à Worpswede, à Rome, la dernière étant rédigée toujours à Rome en mai 1904.
Cet imaginaire François-Xavier Kappus n'est pas exactement son double, mais plutôt son lecteur d'élection. C'est à lui qu'il adresse ces recommandations et et ces considérations sur l'art de la poésie et ce que cela peut signifier dans l'existence. Je les ai relues encore une fois, et je dois avouer que je suis encore resté sous le charme.




Napoléon vu par Abel Gance, collectif, La Table Ronde / La cinémathèque française, 312 p., 29 euro.

Cet album est une merveille, non seulement parce qu'il nous permet de voir de nombreuses vues du film qu'Abel Gance a terminé en 1927, après plus de deux ans d'effort, mais aussi parce qu'on y trouve des commentaire précieux s sur les différents sujets qui concerne cette création, du tournage à la reconstitution historique qui, bien entendu, pose quelques problèmes.
Ce chef-d'oeuvre absolu, qui surpasse même Naissance d'une Nation de Griffith, Je n'ai pas eu la chance d'assister à la projection sur trois écrans qui a eu lieu à la Cité de la Science, mais j'ai vu le film une première fois à la télévision et puis j'ai pu acquérir une copie en DVD.Abel Gange voulait faire sept épisodes. Il n'a pu faire que le premier, qui faisait près de dix heures à l'origine !
La Cinémathèque français a réussi à restaurer ce film que le cinéaste avait confié à Henri Langlois ainsi que ses archives en 1948. Le travail de restauration a été long et difficile. Mais le jeu valait la chandelle car il s'agit là d'un film véritablement hors du commun. Sans doute pourrait-on adresser des critiques sur le plan historique. Mais le cinéaste a su faire un portrait du jeune Bonaparte qui est absolument extraordinaire.
La bataille de boule de neiges, quand il étudiait à l'école militaire de Brienne n'a peut-être jamais existée. Mais peu importe : c'était une façon de mettre en évidence son esprit de commandement et aussi la marque de son destin futur. Il y a dans cette oeuvre inoubliable des scènes splendides, comme celle où il se rend à l'Assemblée nationale déserte et voit y apparaître toutes les grandes figures de la Révolution disparues au cours des événements qui se sont déroulés avec une rapidité vertigineuse : Danton, Robespierre, Marat (qui est interprété par Antonin Artaud), Saint-Just, etc. C'est une séquence éblouissante où tous ces hommes illustres lui confie la charge de parachever la grande Révolution.
Le passage des Alpes est également représenté de façon superbe. Bien sûr, Able Gange a transformé l'existence de cet homme d'exception (Manzoni a écrit, lorsqu'il est mort à Sainte-Hélène en 1821, qu'on verrait pas d'ici longtemps une figure aussi imposante et géniale) . Mais l'histoire de France n'a-t-elle pas été depuis ses origines une grande épopée en vue de la création d'une puissante Nation ?
Bien sûr, nous histoire a connu des hauts et des bas et même récemment avec la défaite de 1940 et le gouvernement de Vichy. Dommage que l'auteur n'ait pas pu aller plus loin dans cette aventure phénoménale car il aurait été bon de montrer quel avait aux yeux de Napoléon l'empire, qui devait selon lui devenir l'Europe unie. Mais ce qu'il nous a laissé en héritage et que nous pouvons enfin découvrir depuis moins d'une décennie est quelque chose qui échappe aux conventions du cinématographe des années vingt.
Le livre nous présente une magnifique collection de photogrammes qui nous permettent de suivre les différents épisodes du film. Et les textes qui l'accompagnent évoquent en détail l'histoire du tournage, puis du montage, les tentative faites par l'auteur de trouver des distributeurs valables, Avec lui, nous entrons de plain-pied dans le mythe de l'empereur. Et dans la tourmente révolutionnaire qui a changé notre pays de fond en comble en dépit des brèves restaurations royales. C'est un document absolument magnifique, très bien documenté et avec ces illustrations tirées du film qui font rêver. Cela nous permet aussi de comprendre l'incroyable créativité d'Abel Gance (1889-1961), qui a fait par la suite un grand nombre de films sonores et qui a tourné La Bataille d'Austerlitz en 1960.
Gérard-Georges Lemaire
16-05-2024
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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Christophe Cartier

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