Santiago Arranz, la linea de la Historia, Ayutamento de Zaragoza, Casa de los Morlanes, 96 p.
Quand on pense à l'art espagnol de nos jours, l'on pense d'abord à Miquel Barcelò, et puis d'autres noms viennent difficilement. Au fond, on ignore en grande partie ce qui se crée de l'autre côté des Pyrénées. Or, comme partout en Europe, il y a des artistes de valeur. Parmi eux, je mets à la première place Santiago Arranz (né en 1959) et qui, à mon sens, est certainement l'un des artistes les plus brillants de sa génération. Il est demeuré pour l'essentiel figuratif, mais il a aussi utilisé les ressources de l'abstraction quand il a travaillé pour des projets décoratifs et architecturaux. Il a également beaucoup utilisé les oeuvres des grands écrivains, en commençant par Italo Calvino, avec ses Cités invisibles, puis avec Miguel de Cervantès, Franz Kafka et Federico Garcia Lorca (en se focalisant sur son voyage à New York), pour ne citer qu'eux. Il ne s'est pas employé à illustrer leurs romans, leurs nouvelles ou leurs poèmes, mais il les a traduits dans son propre langage plastique tout en en conservant l'esprit.
Enfin sa chez que Santiago Arranz est un véritable virtuose car il est capable, selon l'idée qu'il a en tête, de réutiliser les techniques picturales de ses grands prédécesseurs en les métamorphosant en fonction de son sujet et de ses envies.
Dans cette exposition, qui est de nature anthologique, il commence par montrer des c compositions qui sont des sortes de frises où il fait apparaître la silhouette de bibliothèques existantes qu'il avait souhaité utiliser comme clef de son aventure artistique à la fin des années quatre-vingt-dix. A la même époque, alors qu'il réfléchit sur l'architecture du couvent de San Augustin à Saragosse, Il plonge dans l'étude d'Augustin et de sa Cité de Dieu. Il tire de sa réflexion un imposant abécédaire visuelle, une sorte de caverne secrète où il a entreposé les signes qui lui sont utiles pour sa création, qu'elle soit en deux ou en trois dimensions. Cet abécédaire utilise les ressources des langues anciennes (par exemple, l'étrusque ou le latin). C'est un trésor dans lequel il puisse des signes qu'il peut conjuguer ensemble ou non. C'est une merveille qu'on aurait pu découvrir dans un scriptorium touché par la modernité, mais encore fidèle à ses vertus et à ses fonctions anciennes.
Il a ce don rare de faire de l'ancien avec du moderne, sans pour autant verser dans la nostalgie et en se révélant à la mesure de son temps. Il parle d'ailleurs de « récupération plastique de la mémoire », ce qui prouve qu'il pense avec beaucoup de discernement et d'inspiration. Ce retour sur saint Augustin est pour lui un des moyens qu'il emploie pour s'imprégner de philosophies révolues, mais qui persistent à nous habite presque à notre insu. Nous avons, le plus souvent, rompu avec la pensée des temps révolus. Mais ils sont demeurés présents en nous, en secret. De plus, il a imaginé un vocabulaire spécifiquement destiné à l'architecture et s'intégrant tout à fait dans les volumes intérieurs d'un édifice nouveau. Il est, à mon avis, le seul artiste à avoir su intégrer ses oeuvres dans la pierre ou dans tout autre matériau sans que cela soit une forme de collage, aussi habile soit-il. Il reprend le principe de la fresque, mais pas la technique, d'autant plus qu'il n'utilise pas la technique de la fresque, mais sculpte les parois. Quand il arrive de travailler avec des pigments, il aime souvent engendrer des contrastes très minimes.
Ce volume est un excellent moyen de découvrir la manière de créer de Santiago Arranz, quand il se trouve seul dans son atelier pyrénéen. C'est une superbe expérience et un bel apprentissage pour nous. Il porte en lui une idée puissante, impérative, mais libre et légère en même temps, de la peinture, du dessin, de la sculpture et même de l'architecture. Tout est médité et pesé avec soin, mais sans pourtant nuire à la spontanéité du geste franc et élégant, au magnifique mouvement de ses formes, et à une incroyable légèreté graphique.
Son Bestiaire s'inscrit dans la lignée des grands ouvrages créés dans cette veine. Les bestiaires du Moyen Age Âge sont apparus en Angleterre au douzième siècle. En France, le premier ouvrage de ce genre connu a été réalisé par Philippe de Thaon vers 1120. D'autres vont suivre rapidement avec ave Gervaise, Guillaume le Clerc, Pierre de Beauvais. Ce genre s'est donc inscrit très vite dans la littérature française et ailleurs en-Europe. Il y a aussi eu la traduction du livre d'Albert le Grand. Ils succèdent aux Physiologus de la Grèce antique que l'on voit apparaître à Alexandrie au IIe siècle. Et il y a eu les Etymologies d'Isidore de Séville au VIIe siècle. Et puis est venu Bruno Latini (vers 1220-vers1294), qui a écrit les Livres dou Trésor, publiés en 1528. En quelque sorte, le bestiaire a toujours été un plaisir pour les écrivains.
Et la période récente en a vu d'autres paraître, comme celui de Julio Cortazar. C'est l'artiste qui a fait le choix de tous les animaux qu'il souhaitait représenter et l'auteur a suivi ses directives. Il y a comme des lettrines peintes en noir pour chaque animal élu, et l'ouvrage contient aussi des illustrations en couleurs.indépendantes des petits chapitres. C'est absolument superbe. Arranz a su trouver le juste milieu entre le zoomorphisme et l'abstraction.
Reste encore à parler d'un petit livre intitulé Espacios de tempo. Dans ces pages, il a consigné un nombre important de figurines, toujours en noir, qui constituent un alphabet idiosyncrasique. On pourrait le regarder comme un compendium d'un répertoire plastique qui lui a servi autant pour le dessin que pour la peinture et surtout pour l'architecture, pour laquelle il a su si bien intégrer ses oeuvres. Ces trois ouvrages constituent un ensemble superbe pour découvrir le petit monde de Santiago Arranz, qui est en réalité un monde immense et une source de plaisirs intenses.
Paul Valéry, l'Orient et L'Orient, Serge Bourjea, collection Textes, Méridianes, 298 p., 24 euro.
Cette belle étude de Serge Bourjea nous fait découvrir des faces plus ou moins connues de la personnalité de Paul Valéry. On a du mal à voir un penchant pour la culture orientale, comme cela a été le cas pour Paul Claudel. Mais nous avons tort et ce précieux ouvrage nous le prouve. En 194, alors qui vit au Quartier Latin invente son « système », veut rompre avec la poésie, a lu Rimbaud, a rencontré Stéphane Mallarmé - c'est donc un tournant fondamental pour lui. I découvre alors les codex de Léonard de Vinci et, émerveillé, écrit l'Introduction à la méthode de Léonard de Vinci l'année suivante.
La Soirée avec Monsieur Teste, publiée en 1896 est une étape de l'élaboration de son système. Il confie à André Gide qu'il aimerait le publier en Chine. Pourquoi en Chine ? A cette époque, il recopie sans fin les idéogrammes du fleuve Yalou, qui sépare la Chine de la Corée. Il s'intéresse au pays de Thsin, près de la mer bleue. Il s'intéresse à la poésie de Thou-Fô (712-770). Tout cela demeure bien mystérieux. En tout cas, en 1895, il a terminé ses études de Droit et a dû faire son service militaire. Il a un intérêt tout particulier pour les guerres menées en Chine après 1884, puis pour les actions au Tonkin et puis pour la conquête de l'Indochine.
En 1894, à l'embouchure du fleuve Yahou, la flotte chinoise est défaite par la flotte japonaise. Cela a eu pour conséquence le déclin de la Chine. Ce combat naval lui donne l'idée d'une prose, « Conte bleu ». Les relations entre la France et le Chine se concrétisent en 1921 par la création de l'Institut franco-chrinois en 1921. Mais Valéry ne semble guère intéressé par le destin du monde chinois : même l'abolition de l'Empire ne l'émeut pas.
Il rencontre un jeune normalien nommé Liang, qui lui conseille de découvrir le poète T'ao Ts'ien (372-427) et de le faire illustrer par le peintre Sanyu (né en 1907). L'ouvrage paraît en 1930 et est apprécié. C'était l'année où a été présentée en France une grande exposition d'art chinois. Puis il fait la connaissance de Cheng Tcheng, qui va l'influencer passablement. Il va écrire à propos de l'art de penser : « C'est là l'Orient de l'esprit ». Ce magnifique ouvrage contient le manuscrit du Yalou (1895)et nous fait connaître le texte imprimé.
Il a écrit en 1928 une préface pour le livre de Cheng Tcheng, qui sera reprise plusieurs fois jusqu'en 1931. Il a également préfacé l'édition des poèmes de T'ao T'sien, dont un certain nombre de traductions se trouvent ici. Voilà donc Paul Valéry orientaliste pour une raison qu'on ne connaîtra jamais, mais dont on connaîtra par contre l'intense passion dans « Orient et Occident » préface au livre d'un chinois 7 (aussi reproduit dans cet album).
Un pays formidable, Shilpi Somay Gowda, traduit de l'anglais par Laure Manceau, « bibliothèque étrangère », Mercure de France, 336 p., 23 euro.
Si vous aimez les sagas familiales aux intrigues complexes, ce livre est fait pour vous. Dans ce cas, ce n'est pas tant l'intrigue qui est complexe, mais les développements d'une mésaventure qui devient toujours plus intriquée.
Plantons le décor. Ashok et Pryia, un couple bien assorti, qui a des enfants qui les rendent heureux, quittent Bombay, la ville dont ils sont originaires, pour se rendre en Californie. Dans le comté d'Orange. Ils s'y installent en toute quiétude à l'américaine et leurs enfants sont admis dans des écoles où ils sont accueillis sans problème. Mais un beau jour, ils apprennent que leur fils, Ajay, qui a douze ans, a été arrêté pour motif inconnus. Malgré tous leurs efforts, ils ne parviennent pas à comprendre ce qui s'est vraiment passé et ils ne sont pas en mesure de voir le garçon. Ils décident de prendre un avocat, maître Jonathan Stern, pour les aider. Nous finissons par savoir que Ajay construisait un drone avec des amis et qu'on l'a retrouvé le visage tuméfié et le corps ensanglanté.
On se met à enquêter du côté des parents et la police vient faire une perquisition chez eux. On trouve chez eux. Les policiers trouvent chez eux un livre de Tagore en hindi et croient que c'est écrit en arabe, ce qui les rend très suspects. Les autorités se mettent à croire qu'ils ont des liens avec des groupes terroristes musulmans. Or, ils ne sont pas musulmans ! Les choses commencent à devenir graves, et ils ne savent plus quoi faire.
L'auteur a eu l'idée de reconstruire les quinze jours qui ont précédé le procède, chaque chapitre étant une journée. Ce n'est pas un livre politique, ni même une condamnation des lois appliquées aux Etats-Unis, mais plutôt la description de ce qui peut arriver à quiconque est manifestement étranger dans un pays qui redoute parfois, avec une profonde paranoïa, des possibles attaques de groupes terroristes, comme tous les pays occidentaux. C'est bien architecturé, c'est d'une lecture assez aisée, c'est parfois un peu long (mais ça, c'est la touche indienne), mais jamais franchement ennuyeux, d'autant plus que c'est destiné à un grand public.
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