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[verso-hebdo]
24-05-2012
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La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau |
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Anne Slacik et le royaume de la couleur |
Peintre fécond, Anne Slacik expose beaucoup : pas moins de cinq ou six expositions personnelles chaque année, un peu partout, de Montpellier où l’accueille régulièrement la galerie Hélène Trintignan, à Luxembourg où Lucien Schweitzer a présenté ses Expériences de la lumière en 2009, sans oublier bien entendu Paris, où elle est représentée par la galerie L’Or du Temps. Je n’avais pas manqué en octobre 2010, passant à Grenoble, sa belle exposition à la galerie Ka&Nao sur le thème du Blanc (série Piero). Voici que la ville de Saint-Denis, où elle vit, lui offre une rétrospective des Peintures et livres peints pour la période 1989-2012. Anne Slacik est résolument un peintre abstrait. Dénominateur commun de ses tableaux aux subtiles variations (toujours des huiles et pigments sur toile de coton) : la couleur aux potentialités inépuisables. Si bien que le poète Bernard Noël, son ami et préfacier, pouvait conclure un texte de 1990 par une hypothèse sibylline : « Et peut-être la couleur ne sert-elle qu’à rendre visible, à travers la surface, ce lieu du passage et de l’union. »
L’occasion est trop rare en ces temps post-modernes : une artiste qui se préoccupe avant toutes choses du royaume de la couleur auquel elle veut nous faire accéder ! Il faut qu’elle ait opéré une réflexion sur la perception, dont son œuvre nous dispensera ensuite. La couleur, en tant que qualité singulière et expressive, n’a pu lui apparaître, pour qu’elle puisse nous la transmettre, qu’à condition qu’elle ait brisé l’unité immanente du champ perceptif. C’est ce que font les peintres figuratifs en clignant des yeux : telle est leur manière de rompre la structuration de la vision. Il est vraisemblable qu’Anne Slacik n’a pas eu besoin de ce geste aussi pratique que symbolique. Elle ne cligne pas des yeux pour défaire ce que la nature en elle a fait, mais cette conquête du sensible est restée d’une extrême fragilité, nous le sentons bien. D’où notre attirance pour les mystérieux tableaux de Slacik.
Au terme de l’effort pour fixer la couleur, cette dernière peut s’imposer avec une telle force, dans le cas d’Anne Slacik, qu’elle habite littéralement le spectateur et ne mérite presque plus le nom de couleur. Le regardeur n’est certes pas aveugle, mais cette expérience en appelle au concept : parce que la perception du sensible isolé est littéralement contre nature, elle a besoin du secours de l’idée. Il faudrait construire une théorie des couleurs chez Anne Slacik qui, à ma connaissance, n’existe pas encore. Cette théorie serait d’autant plus nécessaire que la peintre n’a pas seulement discerné les nuances de la couleur : elle les a reproduites pour nous les communiquer, et elle n’a évidemment pu le faire que par l’alchimie de son art. Avec elle, la couleur est devenue objective par l’idée avant de le devenir sur la toile, où elle a entamé un dialogue avec la subjectivité du spectateur. Cette émancipation a supposé bien des combats, notamment contre le dessin. Il faut, pour que la couleur se constitue picturalement, déposséder la forme éventuellement dessinée à son bénéfice et, dans le cas d’Anne Slacik, parvenir à l’art comme volonté de création et non d’imitation. Anne Slacik poursuit sous nos yeux la grande tradition des peintres de l’avènement de la couleur. Il faut en éprouver la perception pour comprendre que cette démarche magnifique n’a rien à voir avec le décoratif. C’est à découvrir au Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis jusqu’au 2 juillet. ( www.musee-saint-denis.fr)
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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