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[verso-hebdo]
27-05-2010
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Les artistes au pouvoir !
Il est toujours intéressant de connaître le jugement des artistes sur les autres artistes, morts ou vifs : ils se trompent rarement. En tout cas, quand apparaît un tocard ou un imposteur, il est tout de suite repéré par la communauté artistique, et s’il s’impose, c’est bien malgré elle. L’initiative récente de la revue (artabsolument) était donc bienvenue : établir un sondage en contactant les 13.500 adhérents de l’association de la Maison des Artistes à qui il était demandé de nommer leurs dix artistes vivants préférés et leurs dix artistes du passé préférés (tous médiums et toutes civilisations confondus). Ils ont été 2.881 à répondre par mail, entre le 3 et le 16 février 2010, plébiscitant de manière assez prévisible Pierre Soulages, qui était à ce moment au sommet de sa gloire avec l’ouverture de sa grande rétrospective du Centre Pompidou, mais plaçant très haut aussi Christian Boltanski, Anselm Kiefer ou Zao Wou-Ki. La revue indiquait d’abord les vingt plus cités, parmi lesquels on notait des personnalités aussi différentes que Cy Twombly, Bill Viola et Annette Messager, puis les trente suivants, et l’on observait encore un éclectisme de bon aloi, de Velickovic à Buren ou de Viallat à Enki Bilal, mais nulle part n’apparaissaient les noms des provocateurs patentés qui atteignent des cotes stratosphériques ces temps derniers en amusant les milliardaires : ni Damien Hirst, ni Maurizio Cattelan, par exemple, n’intéressent les artistes consultés, et cela est très significatif.

L’expérience de ce sondage constitue une excellente occasion de poser la question de la perte, par les artistes, du pouvoir de déterminer qui est artiste et, par suite, qui est le meilleur artiste. Au XVIIIe siècle en France, le jeune Jean-Siméon Chardin ayant manifesté un talent précoce, entrait dans l’atelier de Pierre-Jacques Cazes pour préparer le concours de la grande académie, échouait à la première tentative, mais était admis à la corporation de Saint-Luc en 1724, à l’âge de 25 ans. C’était une sorte de salon de la Jeune Peinture, qui exposait chaque année place Dauphine. Chardin y obtint un grand succès parmi ses pairs en 1728 avec la Raie, ce qui lui valut enfin l’entrée à l’Académie Royale : l’avenir était assuré. Pour Chardin comme pour tous les créateurs qui l’avaient précédé, seule la reconnaissance par les autres artistes ouvraient les portes de la carrière. On sait comment ce système a sombré dans la faillite de l’académisme au XIXe siècle. Il n’a pas été remplacé au XXe siècle, qui a vu apparaître la prise de pouvoir sur la scène artistique par les financiers au tournant des années 80, le précurseur le plus emblématique de la situation actuelle étant sans doute Charles Saatchi.

Comment les artistes pourraient-ils reprendre la main dans le domaine qui est le leur ? L’initiative d’ (artabsolument) leur offre une piste à creuser : qu’ils donnent leur avis, tout simplement, et pas seulement à propos des valeurs plus ou moins consacrées. Qu’ils apprécient publiquement les candidats nouveaux qui apparaissent ! Bien sûr, il faudra alors que les médias les relaient en faisant largement connaître leurs positions. Les fabricants de fausses valeurs hésiteraient peut-être alors, avant de monter leurs coups. Est-ce vraiment impensable ?
J.-L. C.
jl.chalumeau@usa.net
27-05-2010
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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