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[verso-hebdo]
24-06-2010
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
Vincent Bioulès, le relaps
Vincent Bioulès, qui vit dans le sud de la France, ne montre pas très souvent son travail à Paris. Il ne faut donc pas manquer son actuelle double exposition, galerie Vieille du Temple (jusqu’au 10 juillet) et galerie Beaubourg-Bernard Ceysson (jusqu’au 24 juillet) intitulée « Mes lieux de mémoire ». Ce sont des paysages que l’on peut voir dans les deux galeries, par lesquels le peintre traite « le thème du souvenir ». Ces paysages sont naturellement figuratifs, et ils sont caractéristiques du style de Bioulès qui a le don de rendre visible son plaisir de peindre (« Le style, c’est la maîtrise de la jouissance » a-t-il notamment dit). Voilà pourquoi l’un des préfaciers de Bioulès rappelle que, pour le petit monde de l’art contemporain, le peintre est un « relaps ». Bioulès fut en effet l’un des grands prêtres du minimalisme en France après une période naturaliste ; c’est même lui qui inventa le terme « Supports/Surfaces » pour l’exposition organisée par Pierre Gaudibert au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, en septembre 1970. Le label passa au singulier (Support/Surface) en juin 1971 pour une exposition à Nice, avec Jean-Claude Arnal, Louis Cane, Marc Devade, Vincent Bioulès et Daniel Dezeuze devenus seuls gardiens du dogme, Saytour et Viallat ayant fait défection. Or Bioulès, qui n’avait jamais cessé de faire secrètement de la figuration, osa la montrer dès 1975.

Il était donc retombé dans l’hérésie et était bien, en somme, un relaps ! Aujourd’hui, les gardiens de la nouvelle religion, dite art contemporain, par exemple les rédacteurs de la bible française en la matière, le catalogue « Collection Art Contemporain » du Centre Pompidou, ne peuvent retenir de lui qu’une oeuvre Sans titre de 1969, à propos de laquelle Madame Nadine Pouillon, conservateur honoraire au MNAM, note que « l’aspect mat de ce monochrome annihile par là toute expressivité et toute sensualité de ce qui pourrait être une peinture-matière. » Quant à ses intérieurs, ses natures mortes, ses paysages et ses portraits, ils sont bien entendu nuls et non avenus, puisque justement, ils apparaissent subtilement expressifs et magnifiquement sensuels : quelle horreur !

Mais il ne faut peut être pas exagérer l’occultation dont serait victime la peinture aujourd’hui : tout le monde voit bien que des artistes franchement peintres et résolument figuratifs peuvent être admis dans l’église de l’art contemporain, pourvu qu’ils soient nés dans la deuxième moitié du XXe siècle et qu’ils aient reçu l’onction d’une galerie branchée. Ils peuvent même éventuellement fabriquer des tableaux plutôt faibles ou plus ou moins académiques comme quelques-uns de ceux qui sont présents dans le catalogue du Centre Pompidou, sans que cela embarrasse le moins du monde les théologiens de l’art contemporain. Ces derniers ont leurs raisons, qui sont impénétrables. Quant à Bioulès, né en 1938, il peut bien peindre infiniment mieux que ses jeunes confrères : son excommunication ne saurait être levée : relaps il fut, relaps il doit demeurer. Merci à Bernard Ceysson et à Marie-Hélène de La Forest Divonne de nous permettre de goûter ces jours ci, grâce à Bioulès, le pur plaisir d’une peinture-matière mise en œuvre par un grand artiste.
J.-L. C.
jl.chalumeau@usa.net
24-06-2010
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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