Bibliothèque de l’amateur d’art
par Gérard-Georges Lemaire
Cet ouvrage est en réalité le catalogue de l’exposition qui s’est tenue à la Royal Academy de Londres. Mais comme c’est heureusement de plus en plus le cas, le catalogue a été conçu comme un livre. Et, dans ce cas précis, il s’agit de l’étude la plus approfondie jamais faite sur les relations d’Edgar Degas avec la photographie. Il est de notoriété publique que Degas a beaucoup utilisé cette technique pour préparer ses compositions. Il se révéla d’ailleurs un excellent technicien en la matière et même plus, car il ne s’est pas limité à prendre des clichés aux seules fins d’étude. Il a utilisé le daguerréotype avec talent pour immortaliser des scènes de la vie intime et faire des portraits d’amis et de parents. Mais, grâce à l’importante documentation et surtout au rapprochement entre différentes œuvres (dessins monotypes, pastels, huiles, etc.), on comprend que la photographie n’a pas supplanté la peinture, bien loin de là : elle a été son humble auxiliaire. En somme, au-delà du vieux débat sur la question, on voit qu’il a tenté d’aller le plus loin possible dans le rendu du geste et du déplacement des corps - la danse en étant le merveilleux paradigme. La quête de la vérité aboutie parfois à des aberrations visuelles, ses modèles devenant de petits laiderons en tutu ! La recherche a aussi ses revers. Mais aussi ses enchantements. Même si La Danse grecque (1887-1993) est un pastel où il fait tourner le même modèle, c’est une merveille absolue de délicatesse. Chez Degas se mêlent un érotisme certain, mais contenu, et un souci de rendre les êtres tels qu’ils sont, sans la moindre volonté de les embellir. Cela n’empêche que ses harmonies chromatiques donnent à cet univers vaporeux de la scène une dimension magique et presque onirique. Cette réalité là est séduisante, bien qu’on puisse sentir la sueur des ballerines et voir leurs mollets hypertrophiés...
Degas et les danseuses, l’image en mouvement, Richard Kendall & Jill De Vonyar, Skira Flammarion, 280 p., 45 €.
Ce livre devrait être un des livres de chevet de l’amateur d’art ! C’est un livre d’une richesse inouïe, nourri d’un nombre inépuisable d’anecdotes, mais encore plus de rencontres, de voyages, de dialogues, de commentaires sur le monde de l’art mais aussi sur le monde tel qu’il tournait à son époque. Il s’agit d’un journal que le célèbre marchand de tableau a rédigé entre 1918 et 1939, partant de la fin d’une guerre pour s’achever au début d’une autre. René Gimpel (1881-1945) est un homme qui a développé autant un amour pour l’art ancien que pour l’art moderne. Il se lie d’amitié avec Marcel Proust en discutant sur les tableaux de Vermeer de Delft à Houlgate (le récit des funérailles de l’auteur de la Recherche est une merveille). De toute évidence, la partie la plus passionnante dans ces pages réside dans le récit détaillé de ses rencontres avec les artistes, Monet, Renoir, Forain, qui était son voisin, Bourdelle, Marie Laurencin et d’autres encore que l’histoire a méprisé. Ses visites sont des pièces d’anthologie. Mais tout aussi passionnant sont les relations avec ses collègues, Nathan Wildenstein avec lequel il est un temps associé, Durand-Ruel, Ambroise Vollard, et tant d’autres. Il fréquente aussi de grands collectionneurs, comme Frick et aime le rapport avec les écrivains. Et il voyage sans cesse, surtout à Londres et aux Etats-Unis. Dommage que l’auteur n’ait pas reconstitué ses carnets à partir de 1912 comme il a tenté à plusieurs reprises de le faire ! Quoi qu’il en soit, je ne connais d’ouvrage riche et dense pour comprendre la vie artistique à Paris entre les deux guerres, en pénétrant dans le salon des grands collectionneurs, dans les salles de vente, dans les galeries et les expositions jusqu’aux ateliers des encadreurs et les arrières boutiques des antiquaires.
Journal d’un collectionneur, marchand de tableaux, René Gimpel, Hermann, 754 p., 35 €.