Bibliothèque de l’amateur d’art
par Gérard-Georges Lemaire
Il faut reconnaître que Todorov a dressé un portrait de Goya, en tant qu’artiste, tout à fait passionnant. Ce qui rend son livre efficace, c’est qu’il ne se perd ni dans les détails biographiques, ni dans les nombreuses hypothèses et conjectures (pour ne pas parler des inventions pures) qui s’attachent à ce créateur. Il explique les raisons de son mariage, qui lui ont donné accès à des commandes et surtout à la cour d’Espagne, il montre aussi quelles ont été ses conceptions de l’enseignement artistique, plus proches des idées de Diderot que de celles de Goethe - en tout cas à mille lieu de néoclassicisme qui s’était bien ancré à Madrid avec le passage de Mengs. Pour donner un exemple célèbre, Todorov étudie le cas des « peintures noires » qui ont été réalisées sur les murs de la « Maison du sourd », qui était sa propre demeure, et que personne semble-t-il n’a vues. Là encore, il se perd pas en hyperboles plus ou moins fondées, mais tente de comprendre la démarche du peintre dans cette œuvre testamentaire. Voilà donc un livre remarquable de clarté mais aussi d’intelligence, qui ne prétend pas dévoiler les secrets de la peinture de Goya, mais plutôt de suivre le cheminement intellectuel et esthétique qui a été le siens d’un tableau à un autre, d’un cycle de gravures au suivant. Il épargne au lecteur bien du temps car, après avoir lu ce livre dense et concis, riche d’informations mais riche de considérations judicieuses sur le destin de ce peintre hors norme, la plupart des autres deviennent caducs.
Goya, à l’ombre des Lumières, Tzetan Todorov, Flammarion, 346 p., 22 €.
En voyant ce livre, on ne peut manquer de s’exclamer : « Encore Balthus ! » C’est vrai qu’il y a eu une inflation délirante au sujet de cet artiste. Mais quand on le regarde de plus près, on comprend quel est son intérêt. Par exemple, quand l’auteur aborde la question des portraits d’artistes ou d’écrivain (André Derain, Antonin Artaud, Tristan Tzara, Joan Miro’, Alberto Giacometti, Renato Guttuso) sans parler des portraits de marchands (Pierre Matisse par exemple) ou d’éditeur (Albert Skira en premier lieu), on se rend compte qu’il s’est évertué à montrer, quand cela était possible, comment Balthus a joué avec des modèles anciens et comment il les a transposés, parfois avec une pointe d’ironie. Le chapitre consacré au portrait mondain est aussi très intéressant. Camille Viéville a montré comment il s’est placé sur la ligne de démarcation assez délicate entre l’art pur (pour dire les choses simplement) et l’adulation qui peut convenir à un client aisé. Quand il va dans le sens de la glorification de son sujet, il devient étrange (tout l’inverse d’Ingres !). Parfois, il frôle le pur comique comme avec La Famille mouron-Cassandre en 1935. Je ne partage pas toujours les références qu’apporte l’auteur à certains tableaux (les portraits intimes surtout), mais Balthus est un peintre qui a su se divertir avec l’art « classique » souvent au détriment de ses spectateurs, qui croyaient peut-être a voir devant leurs yeux un maître moderne qui descendait en droite ligne des maîtres d’autrefois. En tout cas, voilà un bel instrument pour mieux connaître Balthus. Et, dans sa préface, Jean Clair insiste à juste titre sur les relations amicales qu’il entretenait avec Giacometti : ce dernier avait une toute autre philosophie du portrait, mais ils avaient en commun une vision de la restitution de la figure qui passait par un prisme singulier.
Balthus et le portrait, Camille Viéville, Flammarion, 224 p., 59 €.