Bibliothèque de l’amateur d’art
par Gérard-Georges Lemaire
Si l’on fait exception des plats et des vases émaillés qui ne sont qu’un jeu sans importance, les œuvres sculptées de Joan Miro’ méritent tout de même qu’on s’y arrête. Il faut distinguer deux façons d’aborder cette discipline chez l’artiste catalan. La première est de nature purement ludique et passe la plupart du temps par un détournement d’objets familiers (la chaise de bébé dans Femme et oiseau, 1973, le râteau dans Personnage, tête et oiseau, 1968… La seconde est de caractère archaïsant. S’il procède plus ou moins de la même façon dans les deux cas par accumulations d’objets trouvés ou de choses délaissées, il cherche à trouver des formes primitives. Et là, sa fantaisie n’a pas de limites, autant dans le choix des matériaux les plus disparates que dans la physionomie de ses figures grotesques ou niaises : il donne naissance à des êtres qui sont toujours infantiles et drôles et qui appartiennent à la civilisation la plus enfouie dans l’imaginaire et la mémoire. La sculpture fut sans doute assez marginale dans sa vaste production. Mais elle ne laisse pas indifférent et ne semble pas d’une importance subalterne. On peut même regretter qu’il ne soit pas allé plus loin en ce sens - il suffit de songer à l’œuvre monumentale qui se trouve devant l’ancien séant à Milan pour s’en convaincre.
Miro’ sculpteur, collectif, Gallimard/musée Maillol, 200 p., 35 €.
Les collectionneurs, quand ils ont été avisés en leur temps, nous révèlent une vision de l’art qui n’était encore qu’en germe quand ils ont commencé à s’y intéresser. L’élection de ces œuvres peut faire l’objet d’une histoire spécifique. Les Clark, qui ont vécu à Paris avant la Grande Guerre, en témoignent. Au début, Sterling Clark reçoit, comme héritage de sa mère, des tableaux qui ne sont pas indifférents : des œuvres de Millet, de Mario Fortuny, de Gilbert Stuart, entre autres. Il décide de compléter cet ensemble. Il fait l’acquisition de tableaux et d’objets anciens, un Ruisdael par exemple, une création du Maître de Sainte Lucie, les esquisses d’animaux et des paysages de Dürer. Puis il se procure un Van Dyck (le Portrait d’Ambrogio Spinola) et la Madone à l’Enfant de Giovanni Bellini. Suivirent Ghirlandaio, un bronze de Giambologna – mais ces deux chefs-d’œuvre étaient des faux. Il acquit alors un Andrea Mantegna, qui était vrai, un Luca Signorelli, une Vierge à l’Enfant de Piero della Francesca. C’est en 1915 qu’il prend une décision draconienne : il s’intéresse aux impressionnistes, commençant par un Renoir et il continue à se passionner pour cet artiste. Il achète aussi les Académiciens en vogue encore (William Bouguereau, Carolus Durand, Alfred Stevens), mais, dans une contradiction évidente, il ne cesse pas de choisir des toiles des impressionnistes, comme Monet, Pissarro et Degas, sans parler de Manet, dont il accroche à un de ses murs l’Intérieur à Arcachon. Le tout est assez fascinant car le pire jouxte le meilleur et même si le goût a évolué et même si l’on se replace dans le contexte, il nous difficile de comprendre la logique de cet homme.
Chefs-d’œuvre de la peinture française de Sterling and Francine Clark, Skira/Flammarion, 224 p., 39 €.