Bibliothèque de l’amateur d’art
par Gérard-Georges Lemaire
Les éditions Flammarion vient de rééditer un des grands classique de la littérature artistique : le Cézanne de John Rewald. Le célèbre historien d’art, qui a connu la gloire dans sa discipline avec une brillante Histoire de l’impressionnisme, sans cesse réimprimée (elle a paru la première fois en 1946), s’est lancé ensuite dans bien d’autres travaux, le postimpressionnisme. Mais il avait déjà écrit, en français, une étude sur l’œuvre de Paul Cézanne. Ce livre, l’auteur l’a remanié et complété à maintes reprises. Elle constitue sans doute son entreprise la plus précieuse. Si elle devrait être corrigée de-ci de-là compte tenu de tout ce qu’on a appris sur l’auteur de La Montagne Sainte-Victoire, elle demeure sans conteste possible la meilleure introduction à l’univers de ce dernier. Il a examiné la question avec un soin infini, et il a écrit le résultat de ses longues investigations avec beaucoup de caractère et de simplicité. Le livre se lit comme un roman en dépit du grand nombre de citations et de références érudites. En somme, Rewald nous prouve que l’art peut être écrit avec grâce et avec le souci de restituer le peintre tel qu’en lui-même, sans affabulations et sans cette obsédante et dérangeante obsession d’en faire un précurseur. Précurseur, il le fut, à son corps défendant. Mais ce qui compte, c’est de comprendre et de pénétrer l’esprit de sa peinture, d’en pénétrer l’intimité – car cette intimité-là, c’est celle qu’il voulait nous faire ressentir au plus secret de nous-mêmes.
Cézanne, John Rewald, Flammarion, 288p., 30 €.
Robert Doisneau reste à nos yeux le photographe de la vie parisienne de la seconde moitié du XXe siècle avec Cartier-Bresson. Ce petit banlieusard (il est né à Gentilly en 1912) a commencé par faire un certain nombre de publicités, domaine où il se révèle capable, mais certainement pas un expérimentateur. Il refuse même de s’engager dans la voie du cinéma. C’est surtout à partir de la Libération qu’il commence à prendre ses fameux clichés dans un format de prédilection : le « 6 x 6 ». S’il a su avec une infinie sensibilité capter la poésie de ce Paris des années 50, qui avait encore l’aspect de la capitale avant la guerre et qui allait disparaître peu à peu pendant les « Trois Glorieuses », on a tendance à oublier qu’il a été aussi un excellent portraitistes de célébrités, bien sûr, comme Picasso, Colette, Tati, Prévert, Jeanne Moreau entre autres, mais aussi de figures inconnues qu’il a immortalisées dans ce qu’elles pouvaient avoir d’émouvant et parfois de trouble. Ce petit livre de Quentin Bajac révèle toutes les facettes de cet homme qui a su être un créateur sans en avoir la prétention (il a même fait des compositions de caractères surréaliste, comme l’étui de contrebasse dans le métropolitain !). Ce sont les rues et leurs mystères (de vieux bistrots appartenant à un autre âge, presque à un autre univers) qui l’attirent, les rues et des figures, comme le jeune homme sur son tricycle qui embrasse une belle jeune fille. Peu importe si la photo a été « volée » ou posée. Ce qui compte c’est que son imaginaire a donné à toute cette vie désormais lointaine une beauté et un style.
Robert Doisneau « pêcheurs d’images», Quentin Bajac, « Découvertes » Gallimard, 128 p., 13,20 €.