par Claude Jeanmart
Les années 90
A la suite d'un long voyage et d'une exposition en Colombie, de toute évidence il fallait faire peau neuve. Tout le travail figuratif de ces dix dernières années paraissait insupportable. Il fut donc détruit, en ne conservant que ce qui pouvait être réutilisé. Plusieurs chocs visuels se sont alors rapidement succédés.
Au printemps 1989, en visitant une exposition d'Art Africain, un masque Dogon s'est imposé par sa sobriété de composition et plus encore par la force lumineuse de ses couleurs: du noir, du blanc, et des traces de bleu outremer, soulignées d'ocre rouge. Un ensemble de quatre petits triptyques en est sorti, peinture rapide et onctueuse, travaillée à plat, saupoudrée de pigments.
Au début de l'été 89, la participation à une manifestation collective consacrée au bicentenaire de la Révolution, à vu s'assombrir la palette jubilatoire issue des Dogons; des coulures noires, des projections de rouge et de vert, des épaisseurs de brun, ont accaparé des espaces carrés de 2 x 2 m, où le geste se développait dans une intention plutôt lyrique, en contradiction voulue avec un évident désir de structure.
Au plus fort des chaleurs, un voyage en Espagne du Nord, le long du chemin de Saint Jacques de Compostelle, entre Saragosse et Burgos, s'est révélé être comme un coup de poing dans l'atelier et dans la tête du peintre
Les contradictions, les conflits s'étalaient au grand jour: aridité des paysages désertiques, brûlés par un soleil blanc, luxe sanglant des retables dressés dans d'immenses églises vides, froides et sombres, luttes barbares entre Orient et Occident, entre religions, apologie d'une foi exclusive et meurtrissant ... Renoncer encore à la figuration fixant trop les formes comme autant d'épisodes, au profit de signes tels que triangle-verrou, rectangle-retable, et le noir et le rouge de l'obscurante Inquisition.
Autant que des souvenirs, ce sont des sacs de terre qui furent rapportés de ce voyage, terre tantôt ocre, tantôt rouge sombre, violacée, ou ombrée, ou oxydée. Cette terre, pulvérisée, mélangée à la peinture, a agrippé la surface de la toile, la couvrant d'une croûte boursouflée.
L'abandon des pinceaux, remplacés par des couteaux, des spatules, des racloirs, et l'usage de toiles tendues comme des bâches, sur des montants gris, a souligné le désir de rester au plus près du thème. Celui-ci n'est pas pris au sens de sujet reconnaissable; c'est une réflexion qui se prolonge, sur la peur de l'oppression tant physique que morale.