par Claude Jeanmart
Bribes 1
La création est non expérimentable : on ne peut faire provision que de savoir-faire, de tour de main, c’est à dire de ce qui est avant le début de la peinture. Au moment de peindre, on ne peut qu’être démuni, indécis, mais cependant poussé à aller voir ce qu’il y a au-delà de la précédente toile.
Le peintre peut alors explorer tant bien que mal, dans un équilibre plus qu’instable, le conscient et l’inconscient. Il sait, mais c’est uniquement dans sa pratique, et à son insu.
C’est pourquoi, il m’est de plus en plus difficile d’écrire sur ma peinture, autrement qu’en termes techniques, c’est à dire de façon volontairement rudimentaire. Je commence à voir clair, à comprendre, et je n’ai plus envie d’en parler. Le temps presse.
Pourtant j’ai plus que jamais besoin de lire des textes théoriques. Ceux-ci m’aident à me taire, et à peindre. Il éclairent les chemins encombrés, ils facilitent les choix, par les renoncements au plaisant, à l’évident, à la mode, pour multiplier les questionnements.
Si je devais définir le thème global, de ces dernières années, je reviendrais, à “l’aporie” qui fonde la peinture classique: la contradiction irréductible et féconde entre La Loi et la Pulsion. Liberté de la ligne manuelle, du geste le plus physique, mais contenus dans une structure prégnante, visible ou sous-jacente (conscient et inconscient, impossible à départager). Selon Marc Pessin, «mûrir pour un artiste, c’est assister à l’aggravation de ses contradictions. L’artiste qui n’a pas de contradictions, est un décorateur ».
Dès lors, peu importent les péripéties formelles : collages, décalages des formats, nature des accords colorés. C’est la nécessité inexplicable des choix, la construction fugitive du sens, qui fondent le travail, et qui justifient l’investissement d’une vie, au quotidien, dans une indispensable inutilité. (20 août 1999)
Bataille. J’ai envie de réunir tout ce que j’ai expérimenté séparément, depuis des années : peinture, photo, sérigraphie, collages, ordinateur, vidéo, et poser le tout en un lieu, pour tenter de vider cette pression intérieure, pour ne pas dire cette oppression. Poser le tout, plutôt qu’installer, ce qui renvoie trop à des pratiques à la mode. (1996).
Claude Jeanmart