par Claude Jeanmart
Un autre voyage dans la même région d'Espagne, a donné naissance, en 1990, à un ensemble de quarante-cinq travaux, sur papier et sur toile, intitulés Rosa Negra. Ces mots étaient tracés maladroitement, au goudron, sur une vieille porte blanchâtre, dans un village désert. C'est devenu le thème du passage et de l'obstacle, de l'interdit et du possible, du montré et du caché, de la liberté toujours entraperçue.
Mais au-delà de ce qui se voit attribuer un nom, une référence géographique ou historique, depuis la première toile du printemps 1989, ce qui importe, c'est de saisir à la gorge cette ombre qui vient toujours recouvrir ce qu'on croit distinguer de la liberté.
Peindre devient un parcours tâtonnant dans un labyrinthe qui s'étend au-delà de l'horizon, plus loin que le visible. La peinture libère-t-elle ? Peut-on s'en libérer ? (Itinéraire et genèse d’une œuvre Mai 1991)
La peinture, lieu de réflexion, de calme, de travail individuel, à l'opposé du Design, comme du théâtre, a finalement transformé ma vie : plus de temps pour penser, pour vivre une aventure plus solitaire certes, mais plus forte.
J'ai appris la technique de la peinture à l'huile, aux Beaux arts, de la façon la plus traditionnelle. J'ai fabriqué autrefois mes pâtes, broyant les poudres...Mais la « découverte » de l'acrylique a été un événement décisif: je pouvais peindre sans lire mes notes, sans craindre le noircissement du vert Véronèse, ou la craquelure du noir de Bitume.
La peinture acrylique sèche comme de la peinture à l'eau; elle peut en avoir la fluidité. J'ai pu alors laisser courir la main et le bras, travailler dans la vitesse, ou au contraire dans l'épaisseur. Il était possible cependant, de continuer à utiliser le savoir concernant la peinture à l'huile: les transparences, les glacis..
Toutefois les couleurs acryliques ont tendance à foncer au séchage, ce qui ne se produit pratiquement pas à l'huile. Il faut donc en tenir compte. Mais finalement, je n'obtiens ce dont j'ai besoin, qu'avec l'acrylique.
Mes recherches récentes, autour du thème de la perspective et de la représentation de l'espace dans la peinture, les relectures de Panofsky, de Merleau Ponty, ou de Scarpetta, ont clarifié ma position dans ce débat ancien, presque Primal : la toile est elle un plan, matériel, ou au contraire, est-ce une fenêtre ouverte sur une illusion mimétique ?
Si j'acquiesce à toutes les propositions, sans aucune attitude partisane, dans ma pratique, je ne cherche plus ni la simulation tridimensionnelle, ni le concept intransigeant de l'à-plat La toile est un espace de liberté et un espace en liberté, où tout peut arriver, où tout peut se retrouver.
Sous l'œil en éveil du peintre, dont l'acte volontaire essentiel, consiste à éliminer, à simplifier, la peinture tend vers la complexité de la pensée vivante, dans la modicité des moyens réunis.