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[verso-hebdo]
06-12-2018
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
Giuseppe Chiari, Fra zero e infinito, Fondazione Mudima, 368 p., 30 euros.
Le nom de Giuseppe Chiari (1926-2007) n'est connu dans notre hexagone que par ceux qui se passionnent pour Fluxus ou pour la musique expérimentale italienne de la seconde moitié du siècle dernier. La Fondation Mudima de Milan a décidé de lui rendre un hommage en publiant un livre imposant sur sa vie et son oeuvre. Il est né et a grandi à Florence. Il y a appris le piano et la composition musicale. Toutefois, il a fait des études de mathématiques et d'engineering entre 1946 et 1951. Il a ensuite été très influence par John Cage. Et il s'est orienté vers ce qu'on pourrait appeler la musique visuelle, commençant à expérimenter tout ce qui peut lier l'art musical et les arts plastiques. Il écrit alors un article, "Musica e oggetto", reproduit dans le livre, qui explique que le nouvelle voie vient des Etats-Unis et qu'il est désormais indispensable de combiner geste et signes musicaux, dans une nouvelle interprétation sémantique. Mais il n'a eu nullement l'intention de devenir un artiste plasticien au sens plein du terme. Ses innombrables notes décrivent plutôt des situations qui se situent entre le théâtre, la performance et l'interprétation de la musique. En tout cas, cette attitude l'a conduit à rejoindre le groupe Fluxus en 1962. Il a écrit alors de nombreux textes théoriques sur sa conception de la musique comme Musique sans contrepoint (1969), Sans titre (1971), Teatrino (1974), pour ne citer que ceux-là. Il s'est employé à associer des instruments classiques avec des bruits ou des mots enregistrés. Ses Fogli pentagrammati de 1975 ont été un tournant dans sa création. Ce livre posthume rassemble un nombre important de documents, de photographies (dont plusieurs de ses performances publiques), mais aussi des essais très pertinents, comme celui du regretté Daniele Lombardi, son compatriote et lui-même musicien et artiste. Gianluca Ranzi a rédigé une excellente biographie, et l'on trouve une vigoureuse présentation de Gino Di Maggio et un texte d'Achille Bonito Oliva qui avait déjà écrit un essai sur lui. Le lecteur comprendra donc qu'il ne s'agit pas d'un ouvrage réservé aux seuls musicologues.
Segni di profondità valicabili, Mariangela De Maria, Scoglio di Quarto, sous la direction d'Alberto Barranco di Valdivieso, s. p.
Aussi curieux que cela puisse paraître, Milan est devenu l'un des centres les plus actifs dans la sphère de l'art abstrait de toute l'Europe ; après avoir été le lieu de naissance du futurisme italien puis du groupe Novecento entre les deux guerres, il a été ensuite le centre névralgique du MAC (Mouvement Art Concret) et du spatialisme sous la houlette de Lucio Fontana. C'est aussi dans la capitale lombarde que Piero Manzoni a créé ses peintures achromes. Depuis lors, plus rien de fondamental n'est plus apparu dans cette grande cité d'affaires. Pas de groupes à la hauteur de la transanvaguardia ou de l'Arte povera. En revanche, il demeure le sanctuaire d'artistes très divers, qui ne constituent pas un quelconque mouvement. La diversité de leurs pratiques empêche d'ailleurs la moindre tentation dans ce sens. Quel rapport entre Sergio Dangelo, fondateur du Movimento Nucleare et émule du surréalisme et d'Adalberto Borioli, qui pratique un art plus proche d'Afro que de Rothko et qui tient à affirmer son indépendance d'esprit et de création ? Quasiment rien. Au fond, il n'y a que la galleria Scoglio di Quarto, qui a déjà vingt ans d'existence, qui fait connaître toutes ces individualités. Parmi les plus sensibles et les plus originales, se distingue l'oeuvre de Mariangela De Maria, qui se révèle une sorte de quête poétique, où la forme est abolie, ne laissant subsister que quelques traits très subtiles, qui ne renvoient rien de concrets. Il y a dans ses tableaux beaucoup de transparences et des tonalités qui sont plus ou moins diaphanes. Elle privilégie souvent une couleur et elle a tendance à s'orienter vers la monochromie, comme si elle voulait faire connaître tout ce que ladite couleur lui suggère. Et quand elle emploie plusieurs teintes, ce n'est jamais dans un rapport de force ou dans une tension exacerbée, tout au contraire. Bien sûr, ces régions où s'impose un jaune ou un rose, ou encore un blanc sont chaque fois des suggestions pour l'oeil qui sont déclarées avec délicatesse et presque en palimpseste. Ce n'est pourtant pas un monde parfaitement idyllique où ne subsisterait plus que le jeu paisible des tonalités en harmonie. Il y a au fond de sa quête picturale une forme d'inquiétude, un imperceptible tremblement de l'esprit. Luxe, calme et volupté ? Sans doute, mais en sachant que tout cela est en suspens, comme si la toile allait se déchirer. Il s'agit donc d'un microcosme qui ne trouve son équilibre que dans ce paradoxe d'une rupture possible. C'est l'expression d'un moment de grâce qui se produit une fois que toutes les forces en jeu ont été disposées pour engendrer cet effet de paix et de bonheur esthétique. Par conséquent au prix d'une lutte intérieure entre des sentiments divisés et parfois opposés.
-Quel soulagement : se dire "j'ai terminé", Virginia Woolf, traduit de l'anglais et présenté par Micha Venaille, "Le goût des idées", Les Belles Lettres, 216 p., 15 euros.
Virginia Woolf est devenue une des figures mythiques du siècle passé. Mais comme tous les mythes, la légende a pris le pas sur la réalité et on ne finit par ne plus savoir pourquoi sa littérature était si importante. Dans ce recueil, on trouve des fragments de lettres et de journal qui nous permettent de comprendre comment elle envisageait l'écriture. L'auteur de la préface met en ligne de compte le temps perdu à cause de ses graves problèmes mentaux, qui ont causé parfois des interruptions de plusieurs mois. C'est vrai, mais ce qui est plus pertinent dans l'optique qui nous intéresse ici c'est de quelle façon se déroulaient les journées de l'écrivain. Elle a créé avec son mari, Leonard, une maison d'édition, The Hogarth Press, en 1917. Elle ne se contentait pas de lire des manuscrits, mais assumait sa part des travaux moins glorieux, des paquets au nettoyage ! De plus elle écrivait de nombreux articles pour des revues. Elle ne se contentait pas de recevoir ses amis. De plus, il y avait cette correspondance pléthorique laquelle elle consacrait de longues heures. Mais, de toute évidence, cela ne l'a pas empêchée d'écrire. Les pages choisies ici permettent de comprendre se difficultés et ses doutes, comment elle élabore un roman ou une nouvelle, confesse ses faiblesse (elle n'aime pas se relire et pas plus corriger ses manuscrits !). C'est extrêmement bien fait, car on peut la suivre au fil du temps dans ses démêlés avec son art. En dehors du petit cercle intime du Bloomsbury, elle confie l'avancement de ses travaux de nombreux amis et à diverses relations. Elle semble avoir eu besoin de ce dialogue, qui n'en était d'ailleurs pas, mais plus précisément l'expression de ses sentiments et de ses interrogations sur ce qu'elle couchait sur le papier. Ce qui est le plus frappant, c'est son manque de confiance : par exemple, elle pense que The Waves (Les Vagues) sont un échec à tout point de vue. Et elle ne cesse pas de dire la gravité de ses hésitations et aussi de sa certitude que ses livres ne sont pas réussis, se demandant pourquoi on avait décidé d'en sortir un tirage trop élevé. Qui veut vraiment connaître Virginia Woolf écrivain trouvera ici l'essentiel pour la surprendre la plume la main devant son bureau et se posant mille questions sur son travail. Assez curieusement, elle ne se demande jamais quelle est la portée de son oeuvre et sur ce qu'elle entend apporté à la littérature anglaise de son temps.
Le Poncif d'Adorno, le poème après Auschwitz, Ishaghpour, Editions du Canoé, 96 p., 15 euros.
Je dois reconnaître que j'ai été moi aussi surpris et déconcerté par cette formule d'Adorno, que j'ai d'ailleurs légèrement déformée quand je l'ai lue ou entendue la première fois. En quoi les camps de la mort pouvaient-ils nous obliger à cesser de priser la poésie ? Au contraire, me suis-je dit, après cette vague de cruautés et de massacres de masse, la poésie et la culture en général, ne pouvaient qu'être un rempart contre la barbarie. Dans ce superbe essai Ishaghpour, montre de quelle façon Theododor W. Adorno (1903-1969) a pu inscrire cette phrase et pourquoi. Il faut déjà dire que le philosophe est parti en exil aux Etats-Unis et n'est rentré en Allemagne qu'en 1949 où il retourne enseigne à Francfort et y fonde avec des amis la fameuse Ecole de Francfort, qui formule une théorie critique, qui s'oppose néanmoins à la contestation politique de l'époque. Ce qui le place dans une sorte de porte-à-faux. En cette année 1949, il fait paraître dans la revue Prismen sur la critique de la culture et qui contient le fameux poncif : « écrire un poème après Auschwitz est barbare... ». Pour l'auteur, cette conception fait écho à l'idée de Walter Benjamin pour qui « tout monument de culture est monument de barbarie «. Mis en accusation, Adorno est revenu souvent sur sa fameuse déclaration. En 1965, il explique que c'était là une considération strictement philosophique. Puis il en appelle à l'Esthétique de Hegel pour un art qui soit la conscience de la souffrance. Un art plus tard, il dit dans une conférence que l'époque a besoin d'un art qui soit à elle. Ce serait « l'écriture inconsciente de son histoire. » Ce genre de débat avait déjà eu lieu avec Les Otages de Jean Fautrier en 1949. On constate qu'Adorno finit par s'empêtrer dans toutes sortes de défenses et d'explications aussi bien dans la presse que dans ses ouvrages. Il en arrive à parler d'une « métaphysique trouble «.Dans sa Negativ Dialektik (1966), il s'emporte et écrit : « Toute culture consécutive à Auschwitz, y compris sa critique urgente, est un tas d'ordures. « Il touche ici à l'aporie ! La grande valeur de cet essai, admirable, est de nous faire pénétrer ce qu'Adorno avait en tête et qu'il a défendu jusqu'à sa mort en s'appuyant sur les textes et remettant la question un contexte bien précis. Qui possède un minimum e curiosité doit se plonger dans ce petit livre, écrit avec concision et intelligence.
Hegel, l'inquiétude du négatif, Jean-Luc Nancy, Galilée, 136 p., 12 euros.
Cela fait une éternité, je l'avoue, que je n'ai pas mis le nez dans un livre de Hegel. Cet essai de Jean-Luc Nancy m'a fait remonter à la mémoire des souvenirs d'université ! La thèse qu'il énonce au début de son ouvrage est surprenante : il affirme que le monde selon le philosophe allemand, n'a pas de principe, donc qu'il est infini, sans commencement, ni fin. Cette définition marquerait une rupture fondamentale dans l'histoire de la pensée car elle impliquerait une négativité par rapport aux représentations anciennes. Pour l'auteur, Hegel ne construit pas un système, mais « la praxis du sens «. Il ne prendrait en considération que la réalité du sens. Parfois, je m'interroge sur cette lecture, exposer une chose serait nier toutes les autres (elle serait ce que les autres ne sont pas). Cette conception est peut-être juste mais n'implique pas nécessairement une abolition aussi radicale ! Si la pensée (Denken) creuse les choses (Dinge) pour les discerner, elle provoque une confrontation. Hegel, dans cette logique, considère le concept comme le pur élément de vérité. Cette pensée de la séparation est, de par sa nature, l'établissement de rapports. C'est une sorte de paradoxe, mais qui se tient. La notion d'inquiétude, sur laquelle insiste tant Jean-Luc Nancy, est un peu curieuse. L'inscription de l'absolu dans le présent (qu'il présente comme la démarche propre à Hegel), le fait qu'« A présent, le monde est égal à lui-même, et donc à sa propre inégalité, qui s'expose comme violence de l'intérêt et de la subjectivité, l'un comme l'autre, unilatéraux », tout cela contribue à engendrer d'autres contradictions apparentes. L'« absolu déchirement » de l'esprit dont parle notre philosophe est bel et bien le noeud de ce problématique. La pensée est elle-même finie dans cet infini et figure par conséquent parmi tout ce qui est transitoire. La philosophie se tiendrait donc à la hauteur des choses, et rien de plus. Elle ne pourrait donc pénétrer que la négativité, puisqu'il n'y a pas dans son champ d'investigation de créateur suprême. Sans entrer dans le détail du raisonnement de l'auteur, cette inquiétude serait née du surgissement des sens et de notre relation aux autres (à tous les autres qui se présentent, pas seulement les autres individualités, ou les autres pensées). L'existentialisme introduit ici dans le monde des idées est un moyen astucieux de redonner à Hegel une modernité certaine. Mais n'est-ce pas plutôt un tour de passe-passe de l'auteur ?
Le Grand Burundum-Burunda est mort, Jorge Zalamea, traduit de l'espagnol (Colombie) par Véronique Yersin, préface de Patrick Deville, Editions Macula, 132 p., 14 euros.
Les éditions Macula nous ont réservé une surprise, un peu en dehors de leur champ d'activité - l'art, le cinéma, la photographie en nous proposant une oeuvre de fiction écrit par un auteur colombien jusqu'à présent inconnu, Jorge Zalamea Borda (1905-1969). Ce dernier a quitté son pays après l'assassinat en avril 1948 du premier président de la République du parti libéral, Jorge Eliécer Gaitàn, et l'arrivée au pouvoir de Laureano Gòmez pour s'exiler en Argentine, où son livre est publié en 1952. Il sera remarqué et sera traduit en particulier en français. Bien sûr, on comprend aussitôt qu'il fait un portrait au vitriol de l'usurpateur Gòmez. Mais son histoire va plus loin que l'actualité tragique de la Colombie. C'est le portrait de n'importe quel dictateur et son oeuvre se situe entre Ubu roi d'Alfred Jarry et la réalité historique des monstres de l'histoire du XXe siècle. Le livre débute par les funérailles en grande pompe du grand dirigeant Burundun-Burunda, qui sont décrite avec le plus grand souci du détail. C'est en fait la mise en scène de l'ordre qu'a désiré instituer le grand homme. L'auteur explique le rôle de chaque corps constitué, militaire, policier, administratif ou politique. Il met l'accent sur son principal mot d'ordre le silence. En somme, il n'est pas difficile de comprendre quel genre de régime il a pi instituer. Mais l'écrivain l'a traduit dans des termes baroques et bouffons. A la fin de la cérémonie, sur la grande place, le cercueil et ouvert et en sort un perroquet resplendissant à la stupéfaction générale ! C'est un livre très divertissant et écrit avec art et humour, bien qu'il s'agisse d'une question grave. C'est là le genre d'oeuvre littéraire qui échappe à toute définition. Et c'est un livre satirique et poétique qui mérite d'être exhumé du purgatoire après des décennies d'oubli.
Beauté, Philippe Sollers, Folio, 240 p., 7,25 euros.
Il n'est pas question ici d'un roman, ni même d'une autobiographie. Philippe Sollers laisse les choses en suspens et ne donne pas au lecteur la clef de l'intrigue : est-ce une histoire vécue ou un pur fuit de son imagination. Mais peu importe : on se laisse porter par cette liaison avec cette jeune pianiste grecque, Lisa. Dans le dialogue que le narrateur entretien avec cette jeune femme, il se laisse emporter par sa pensée vagabonde : il médite autant sur les dieux, les demi-dieux et les héros de la Grèce antique et sur leurs rôles dans la société d'alors que sur la musique sous tous ses aspects, de Jean-Sébastien Bach à Webern, en passant par Glen Gould. Il est aussi très attiré par la réflexion et l'écriture de Georges Bataille, qu'il paraît considérer comme son maître à penser du moment. Il s'agit aussi d'un périple hasardeux qui l'amène à Athènes, à Egine et même à l'abbaye royale de Fontevraud. De même, il entreprend un circumambulation dans notre culture et même dans notre société et tout ce qui la caractérise, tout comme il s'interroge sur les conflits qui secouent notre monde. Il n'y a pas de solution de continuité. Au contraire, il a voulu que le récit soit éclaté, ce qui d'ailleurs ne le rend pas pour autant obscur ou incompréhensible. Il a réuni toutes sortes de choses qui lui ont passé par la tête et lui ont suggéré de s'y arrêter pour les examiner. C'est une sorte de flux de conscience sans aucun frein ni limite qui se présente sous une forme agréable pour le lecteur que nous sommes : celle du voyage. Je dois reconnaître que l'ouvrage est des plus plaisants, même si l'on aurait pu espérer de Sollers une oeuvre plus élaborée. Si tout ce qui le fait écrire est très loin d'être dépourvu d'intérêt, on a quand même l'impression qu'il papillonne. Mais, on le sait bien, cela fait déjà longtemps qu'il a pris ce chemin de traverse, assez étrange pour un homme au cerveau bien fait et qui s'est fait remarquer très jeune par la qualité de son écriture. Cependant, cela ne nous empêchera pas une seconde de partager son amour de la beauté et ses grandes inquiétudes sur le présent.
Lettre au peuple, Olympe de Gouges, Folio sagesses, 112 p., 3,50 euros.
Elle s'appelait Marie Gouze et était la fille d'un maître boucher de Montauban, où elle est née le 7 mai 1748. Nous ne la connaissons que pour sa Déclaration des droits de la femme et de citoyenne et sous le nom qu'elle s'est inventée, Olympe de Gouges. Mais elle a écrit bien autres choses, en particulier des pièces de théâtre. La plus connue de toutes est Le Marché des noirs, lue à la Comédie française, mais qui n'y a pas été représentée avant 1792, sous le titre de L'Esclavage des noirs ou l'heureux naufrage. Cette oeuvre fait écho à son premier essai jamais publié, Réflexions sur les hommes nègres, paru en 1788. Elle s'insurgeait contre le code noir qui avait été imposé par Colbert. Avec la Révolution de 1789, le nombre de ses pamphlets ne cesse d'augmenter : elle en fait paraître pas moins de quatorze cette année-là ! La Lettre au peuple ou projet d'une caisse patriotique, qui donne son titre à ce petit recueil est de l'année précédente. Ce texte est important car il montre que le mécontentement était grand à cause des impôts et aussi de pénuries alimentaires. Le roi a dû rappeler Necker, qu'il avait renvoyé, et Olympe de Gouges attribue ce retour à la bienveillance de Marie-Antoinette. Elle y propose la création d'une caisse patriotique pour venir en aide aux plus défavorisés. En décembre, elle donne une suite à ces pages avec ses Remarques patriotiques, où elle observe que son appel a suscité des réactions contraires. Elle se demande pourquoi il est si difficile de faire le bien et s'interroge aussi sur la difficultés des souverains à comprendre les difficultés de leurs sujets. Elle a encore l'espoir que les choses puissent trouver une solution pacifique et croit encore dans la bonté royale. Mais elle est tout à fait consciente que la situation est sérieuse. En avril 1789, elle rédige un manifeste appelé Le bonheur primitif de l'homme ou les Rêveries patriotiques. Elle y développe les premières esquisses des droits de l'homme, revendiquant la liberté de penser. Elle décrit l'évolution de l'humanité à se travers ses nécessités fondamentales et décrit le présent et l'avenir du peuple qui peut atteindre le bonheur malgré la scélératesse de certains. Elle est à la pointe de la pensée révolutionnaire, même si elle n'en appelle pas encore à la fin de la monarchie. Sa pensée politique est assez clairvoyante ; mais elle va aussi défendre de manière imprudente le droit et l'idée de démocratie. Elle s'en prend vivement à Robespierre er aux jacobins à partir de mars 1793. Cette volonté farouche de résister à l'idée de la Terreur va la conduire sur l'échafaud. Arrêtée le 20 juillet, elle est jugée le 2 novembre et exécutée deux jours plus tard.
Tour d'horizon, Kathleen Jamie, traduit de l'anglais (Ecosse) par Ghislain Bareau, La Baconnière, 224 p., 18 euros.
Il me paraît indispensable de dire d'abord deux mots sur l'auteur, dont le nom ne nous est pas familier. Kathleen Jamie est née en 1962 a fait des études photographie et a entrepris ensuite un grand voyage dans l'Himalaya au début des années quatre-vingts, grâce à l'obtention d'un prix prestigieux, l'Eric Gregory Award. Elle s'est surtout consacrée à la poésie et a publié de nombreux recueils en Grande-Bretagne. Elle a aussi publié plusieurs livres de voyages. Le présent ouvrage est un ensemble de nouvelles, dont un certain nombre sont le récit de périples qu'elle a accompli dans différents points éloignés de la planète. La première de ses nouvelles relate d'ailleurs un voyage qu'elle a fait dans les ingrates régions arctiques. Une autre remémore une expédition à Saint-Kilda dont elle rêvait depuis longtemps. Mais elle traite bien d'autres sujets, comme les jours précédents la mort d'une mère, les métamorphoses profondes engendrées par les systèmes de communication électroniques, l'histoire d'une fouille archéologique (argument qui la passionne depuis toujours), la visite du musée d'Histoire naturelle de Bergen. Bien sûr, la nature est sans aucun doute la première de ses préoccupations et elle fait l'éloge du vent dans son dernier texte. La facture de ses écrits est très classique, pour ne pas dire conventionnelle. Mais ils sont faits de telle sorte qu'on les lit d'une traite, avec beaucoup de plaisir, même s'ils ne révèlent rien de prodigieux. Son observation du monde est simple, claire, mais permettant de mieux comprendre tout ce qui nous entoure, que ce soit dans la vie quotidienne qu'à la faveur d'un lointain périple où l'on va à la rencontre de l'inconnu. Elle ne recherche ni le merveilleux, ni le fantastique, ni même l'exotique. Elle a à la fois l'oeil du savant et celui du poète.
Anna de Noailles, Frédéric Martinez, Folio « Biographies », 384 p., 9,40 euros.
En fin de compte, on n'a pas oublié la poésie d'Anna de Noailles (1876-1933), née princesse Zoe Bibesco Bassaraba de Brancovan. Cette biographie, tout à fait correcte, de cette aristocrate d'origine roumaine, dont la mère était une Grecque d'Istanbul, mais née à Paris, nous permet de mieux connaître celle qui a épousé le conte Mathieu de Noailles à l'âge de dix-neuf ans. Elle a institué un salon dans son appartement de l'avenue Foch, où elle a reçu un grand nombre d'écrivains de premier plan, de Paul Claudel à Pierre Loti, en passant par Robert de Montesquiou et Jean Cocteau, Paul Valéry et François Mauriac. Elle a été l'instigatrice de la création du prix de La Vie Heureuse, qui est décerné uniquement par des femmes (dont Judith Gautier). Ce prix deviendra le prix Femina en 1922. Elle a été la première femme à être commandeur de la Légion d'honneur et à entrer à l'Académie royale de Belgique. Elle a aussi été membre de l'Académie roumaine. Elle a été choyée par ses contemporains qui, pour une bonne part, ont reconnu la valeur de son oeuvre. En revanche, si elle est plutôt estimée par l'élite parisienne qu'elle fréquente, Octave Mirbeau l'a brocardée sans aucun ménagement dans son roman La 628-EB en 1907. Mais il n'en reste pas moins vrai que sa poésie bucolique figure parmi les oeuvres littéraires qui ont marqué le début du siècle dernier. Sa prose, sous la forme de romans et d'une autobiographie est également remarquable. Comme moi, beaucoup de passionnés de littérature savent fort peu de choses d'Anna de Noailles. L'ouvrage de Frédéric Martinez, écrit avec vivacité et précision, permet de prendre la mesure du personnage et surtout de l'auteur.
Anything for Love, Al Bedell, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Peggy Sastre, La Musardine, 194 p., 18, 50 euros.
On doit se rendre à l'évidence : l'érotisme, la pornographie même se sont bien introduits dans le roman contemporain à la mode et le roman érotique, pour sa part, a perdu de sa superbe. Nous ne voyons plus sortir beaucoup de bons livres du second rayon qui soient d'une grand valeur littéraire, ou encore d'une teneur telle à faire vibrer les sens et chambouler l'imagination à en perdre l'esprit. Ce roman censé nous venir d'outre-Atlantique n'est pas fait pour nous faire changer d'avis. Sans doute les aventures de cette petite lycée encore vierge qui veut découvrir toutes les facettes de l'art amoureux avant de se marier (elle se perçoit comme une princesse, qui devra livrer son hymen à son prince charmant quand elle épousera le jour de son triomphe venu) est sans doute bien délurée. Mais ses turpitudes sont narrées sont l'éclat qu'elles mériteraient. Sans doute n'est-ce pas là un mauvais livre, car l'écriture est vie et divertissante. Il manque néanmoins ce je ne sais quoi qui fait l'unicité d'une fiction et aussi une densité d'érotisme qui, ici, fait défaut. Peut-être faut-il considérer Anything for Love comme un ouvrage destiné aux adolescentes qui se font encore une idée assez floue de la vie sensuelle et des transgressions auxquelles incite l'amour charnel. Le portrait de la petite Cecily ne manque certes pas de piquant, mais cela ne suffit pas encore pour produire l'émotion brûlante qui vous transporte vers d'autres cieux. Donc à placer dans le département scolaire !
Bernard Ollier exagère la tour Eiffel, Bernard Ollier, Pierre Mainard, 60 p., 12 euros.
Bien étrange manière de concevoir la poésie ! L'auteur s'identifie avec la tour Eiffel, mais les pages qu'il nous présente ne nous donnent aucune indication de la raison ou de la cause de cette volonté curieuse d'embrasser la cause de la fameuse création en acier de l'ingénieur Eiffel. Cela accouche d'un texte des plus curieux et des plus incompréhensibles. Je veux bien croire que d'aucuns soient amoureux de ce monument qui a été tant honni par les écrivains de l'époque. Le mystère reste entier ! Il existe une ultime possibilité : un penchant pour un humour à froid. Il y a bien des passages qui ont bien une tournure caricaturale et fait de ces parties du long poème des équivalents littéraires de tableaux du Douanier Rousseau. Mais il n'et pas certain que je ne fasse pas fausse route. Par lâcheté, je vais laisser le lecteur juger par lui-même ! il n'y a pas d'autre solution pout le pauvre chroniqueur qui ne sait vraiment pas quel saint se vouer devant une poétique de cette nature et ce texte poétique qui pourrait être l'apologie de notre bonne vieille tour ou, au contraire, sa mise bas symbolique par l'ironie la plus acide.
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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