La Nuit Blanche a été cette année d'une exceptionnelle richesse : d'abord parce que le commissaire, Jean de Loisy, a obtenu l'ouverture de dix-huit églises qui ont contribué à la mise en place d'un parcours ayant la Seine pour axe principal, ensuite parce que, bien entendu, d'autres lieux d'expression artistique, comme par exemple le Collège des Bernardins, l'ENSBA ou le gymnase du Centre Sportif Poliveau, ont réservé des surprises. Les propositions ont été d'une très grande diversité : l'on passait d'une lecture des prédications du carême 1662 de Bossuet (par Gwenaël Morin à Saint-Germain l'Auxerrois) à l'audition d'une pièce pour piano d'Erik Satie d'une durée de 1 à 2 minutes, mais répétée 840 fois (jouée à l'orgue de Saint-Louis en l'Île), ou bien d'une performance interactive (les battements de coeur du public transformés en sons et lumières) en l'église Sainte Clotilde à une formidable oeuvre de réalité virtuelle générative et interactive projetée sur la voûte de Saint Eustache par l'artiste démiurge bien connu, Miguel Chevalier : Voûtes célestes 2016 . Miguel Chevalier, à 57 ans, est parvenu au sommet de son art. Il ne faut pas oublier non plus l'inauguration du premier musée d'art urbain de France, 96 boulevard Bessières, constitué par la spectaculaire collection de Nicolas Laugero-Lasserre. Une exposition temporaire s'y ajoutait, Mondes souterrains, où l'on remarquait notamment les fresques à l'aérosol de Rôti, génial autodidacte de 25 ans qui travaille sur les thèmes croisés du corps humains, d'un bestiaire très personnel et de motifs architecturaux avec une stupéfiante dextérité.
Je voudrais m'arrêter plus précisément sur deux jeunes artistes. L'Argentin Pedro Marzorati, d'abord, connu pour ses installations poétiques de land-art en relation avec les changements climatiques, qui a investi l'église Saint Merry avec l'installation Plus haut que le ciel, inspirée de l'histoire biblique de la Tour de Babel. Une véritable tour de six mètres de hauteur, construite avec les chaises de Saint Merry et celles prêtées par Saint Eustache, au centre de la nef, était surmontée par une « cascades de vêtements ». Ces vêtements, notamment fournis par Emmaüs France, figuraient « nos âmes » et semblaient monter vers le ciel. Une machine à vapeur dissimulée dans les combles créait un « nuage de brouillard » autour de l'envol de vêtements. Les variations de la lumière offraient aux spectateurs l'occasion d'une immersion dans un espace favorable à la méditation sur les rapports entre le corps et l'âme. Marzorati entendait en effet parler autant de l'au-delà que de la réalité tangible de l'être humain.
La française Barbara Finck-Beccafico, ensuite, qui vit et travaille au Canada, où elle est étudiante au programme de musiques numériques de l'Université de Montreal, a déjà enregistré plusieurs de ses compositions électro-acoustiques. Elle se spécialise aujourd'hui dans l'installation immersive audiovisuelle dont elle a donné un exemple ambitieux au Centre Sportif Poliveau lors de la Nuit Blanche sous le titre Conscience, un ensemble de six chapitres racontant l'histoire de notre monde, dont elle avait détaché les numéros 1 et 3 : Confort recyclable et Zoopolis. Dans le premier, elle évoquait sur quatre écrans à la fois la pollution et l'Homme capable de ne faire qu'un avec la nature grâce aux avancées technologiques lui permettant de se fondre de manière organique avec elle. Dans le second, il est question de la dominance sur l'animal. Pourquoi nous est-il si difficile de voir notre steak comme un animal mort ? Simple point de départ qui pose la question essentielle de la défaillance de la perception morale dans notre société. Dans ses oeuvres, Barbara Finck-Beccafico joue sans cesse avec la dualité qui, en de nombreux domaines, joue entre rejet et fascination, entre le sentiment d'être enfermé et celui d'être hypnotisé. Le montage entre images et sons conduit le spectateur à transformer le son en visible, le visible en palpable, le palpable en conscience : le travail de l'artiste l'a conduit à proposer une immersion sensorielle totale (elle distribuait même des bouchées à avaler pendant les projections !). L'approche artistique des questions sociétales par Barbara Finck-Beccafico est exemplaire des ambitions d'une nouvelle génération d'artistes. Comme toujours, l'art, avec eux, ne cherche pas à résoudre les grandes questions, mais il les pose avec une force jamais vue jusqu'ici, et contraint le spectateur à se les poser à son tour. Ainsi contribuent-ils peut-être à aider l'humanité à se sortir des impasses où elle s'est laissé enfermer.
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