Philippe Cognée passe pour l'un des meilleurs peintres français contemporains. Né en 1957, il fut lauréat de la Villa Médicis (c'est-à-dire le prestigieux « prix de Rome ») en 1991 avant d'être, aujourd'hui, professeur à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts. Tous les textes le concernant mettent en avant sa technique originale à base de cire d'abeilles, et, puisqu'il faut nécessairement en passer par là, je citerai le très remarquable résumé qu'en propose Michel Onfray : « Il maroufle ses toiles sur bois afin de disposer d'une surface portant la cire afin qu'elle ne craquelle ni ne fonde ; il peint à la cire teintée de pigments et obtient une matière qui sèche vite ; il appose ensuite sur cette surface de cire une feuille de plastique sur laquelle il passe la semelle d'un fer à repasser ; il obtient alors un fondu qui varie en fonction de la durée de l'application. Ce fondu dit le visage autrement que comme une représentation tout autant qu'une disparition. Il s'agit en effet d'une apparition... » Michel Onfray parle de visage parce qu'il préface l'exposition Figures envisagées au Radar de Bayeux, mais il aurait pu dire aussi maison, paysage, poisson, quartier de viande : tous sujets d'une grande banalité dont Cognée fait de véritables portraits.
Philippe Cognée ne pratique pas le « genre » du portrait, mais il pose la question du portrait : on l'a compris lors de son exposition au deuxième étage du château de Chambord en 2013 quand, en contrepoint des portraits qui ornaient autrefois les demeures royales en tant qu'iconographie du pouvoir, il affirmait au contraire la fragilité de la condition humaine avec ses figures évanescentes, apparitions au bord de la disparition. En fait, tout est en ce sens portrait chez Cognée, qui saisit le moindre objet ou visage dans sa singularité, comme pour le faire échapper à la frénésie mortifère des sociétés modernes. Son ambition est avant tout picturale, mais il sait que l'on ne peut peindre aujourd'hui comme autrefois : il s'inscrit donc dans la modernité la plus agressivement novatrice, par exemple en choisissant ses thèmes de « paysages » dans Google Earth ou Google Street, ou encore dans des clichés photographiques pris à partir d'un TGV lancé à grande vitesse. A partir de ce matériel iconographique résolument contemporain, avec une technique à la cire d'abeille qui n'appartient qu'à lui, il peut se permettre de se poser des questions exclusivement picturales.
Au détour d'un entretien diffusé par Youtube, j'ai été frappé par la manière dont Philippe Cognée se réfère à Vermeer, particulièrement à La Ruelle dont il a une reproduction dans son atelier. Vous savez, cet extraordinaire petit tableau de 54 x 44 cm du Rijksmuseum d'Amsterdam, représentant des maisons de briques ordinaires du 17e siècle hollandais. Cela se passe au moment où l'artiste doit commenter une de ses oeuvres représentant une maison très banale vue dans un quartier populaire de Los Angeles. « Chez Vermeer, dit-il, on voit la lumière sur les briques ; il fait scintiller les choses... C'est ce que j'essaye de retrouver. » Il me semble que ce n'est pas par hasard que Philippe Cognée nous parle d'un tableau peint en 1657 dont André Malraux a dit qu'il était alors plus proche de Cézanne que de Pieter De Hooch : « c'est ce qui donne à La Ruelle, parmi tant de tableaux aux mêmes briques, son style incorruptible. » Eh oui, Vermeer ne s'occupait pas de la perspective, ou si peu, et ne s'intéressait qu'à la manière de bien rendre la lumière caressant d'humbles briques. Au XXIe siècle, Cognée peint à son tour des maisons ou des visages vus de face (car, pour les premières, ce sont des portraits de maison) sans se préoccuper de quelque message que ce soit, mais en s'attachant seulement à traduire l'effet de la lumière. Ce faisant, comme Vermeer et comme Cézanne, il fait simplement scintiller les choses...
Exposition Figures envisagées au Radar Espace d'art actuel, 14400 Bayeux.
Présidente : Manuela Tetrel.
Commissaire : Philippe Piguet. Jusqu'au 18 septembre.
www.le-radar.fr
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