Esthétique
La Science devenir de l’art

par Thierry Laurent

mis en ligne le 06/10/2010

Mais la question se pose. A force de se vouloir pure intelligence aux dépens d’un abandon du sensible, l’art n’est- il pas en train de programmer son propre disparition ? L’art, s’il veut conserver sa vocation à produire de l’idée, est forcément contraint de se tourner vers d’autres supports que ceux jusqu’à présent accrédités, peintures, installations, ready-mades. Avec Hegel, il est loisible d’évoquer l’inéluctabilité d’une fin de l’art au profit de la philosophie. Mais au-delà de la philosophie, l’art, devenu concept, ne doit-il pas adopter dorénavant des supports aussi abstraits que les mathématiques ou les équations de l’astrophysique ? Les grands artistes du futur, ceux qui produiront non seulement des équations, mais aussi du rêve, du vertige, des univers inédits et fascinants ne sont-ils pas les prix Nobel de physique ?

On peut penser que puisque l’art a abandonné ses critères classiques d’appréciation (le beau sensible compris comme une « subjectivité universelle », (Kant), et plus simplement l’affect rétinien) pour se tourner du côté de la pensée pure, tôt ou tard il aboutit à éliminer du champ de la création les artistes issus du « monde de l’art », au profit d’autres artistes, des artistes qui s’ignorent  : les scientifiques.
L’instrument esthétique de «  l’artiste scientifique » est le langage des équations mathématiques. En somme un langage qui est utilisé avec des règles et des logiques parfois complexes, mais dont il résulte la création d’espaces nouveaux.
Que ces espaces inédits apportent une nouvelle compréhension du monde, voire une nouvelle « Idée » du monde, ce qui est en fait la vocation de la science, (en cela la science est hégélienne), voilà qui ne mérite pas qu’on s’y attarde.

Mais ce qui paraît plus pertinent au regard du statut artistique de la science, c’est que ces espaces nouveaux ont un statut d’œuvres d’art en ce sens qu’ils commencent leur existence comme pure fiction. Ce n’est que plus tard qu’ils seront confrontés à la sanction du réel, transformant ces espaces « artistiques » en espaces « scientifiques ». Le temps de latence, où l’espace issu de nouvelles équations mathématiques appartient encore à l’imaginaire de son inventeur, peut être assez long, et cet espace nouveau revêt donc d’abord une valeur de fiction intellectuelle, de pure œuvre d’art, de création, dont le seul jugement envisageable ne peut être que d’ordre  « esthétique ».

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