par Thierry Laurent
Enfin, dernier exemple. Grâce aux mesures opérées par
télescopes sur les galaxies, on sait que notre univers est pour de
bon en expansion. Toujours est-il que cette expansion découle des équations
de la relativité formulées dans les années vingt par
Friedmann et Lemaître, avant même que l’astronome Hubble
ne la constate de visu sur le télescope du Mont Wilson en 1929. C’est
dire que la théorie du Big Bang a commencé sous forme d’équations échafaudant
de toutes pièces un espace-temps en expansion. La théorie du
Big Bang revêt d’abord le statut de fiction mathématique,
de pure invention, de poésie scientifique. On peut évoquer à cet égard
les magnifiques diagrammes de Lemaître, dessinés en 1927, relatant
divers scénarios possibles d’expansion cosmique. Là,
il s’agit vraiment d’une authentique œuvre d’art
conceptuelle, un dessin laissant voir des fictions d’univers. (1)
Cette expansion résulte d’une gigantesque force, au demeurant
inconnue, une « énergie noire » ou « énergie
du vide » dont l’effet ultime est de dilater l’espace-temps
et de repousser les galaxies vers les grands larges du cosmos. C’est
Albert Einstein qui met le premier en équation le vide comme force de
répulsion de l’espace-temps. Mais Einstein renonça aux équations
du vide, baptisé « constante cosmologique ».
Ici il n’est pas question de reprendre le débat sur l’évolution
de l’univers, d’abord considéré comme fixe, puis
en expansion rapide. Seulement, on peut retenir qu’Einstein décida
de rejeter un temps la constante cosmologique, avec des arguments purement
esthétiques : « Depuis que j’ai introduit ce terme,
j’ai toujours eu mauvaise conscience. Je n’arrive pas à croire
qu’une chose aussi laide se trouve dans la nature ». Pour
Einstein, la vérité est d’abord un phénomène
esthétique. Finalement, il rendra hommage aux théories de Lemaître
en faveur de l’expansion de l’univers, non en mettant en avant
leur exactitude, mais en soulignant leur beauté intrinsèque : « C’est
l’explication de la création la plus belle et la plus satisfaisante
que j’aie jamais entendue».
Bien des hypothèses sont avancées pour expliquer cette mystérieuse
force de répulsion du vide, qui sont autant de magnifiques échafaudages
conceptuels, qui pour le moment attendent d’être vérifiés.
On sait que les expériences en matière d’accélération
de particules élémentaires (CERN) seront propices à la
validation de ses schémas qui utilisent la physique quantique.
Dans les années 1950, un artiste comme Yves Klein s’attache à exposer
le vide entre quatre murs d’une galerie d’art, en organisant un
vernissage assez mondain. La question se pose : en déplaçant
le champ de l’art vers l’exposition d’entités purement
immatérielles ou conceptuelles, l’’art contemporain n’a-t-il
pas par la même occasion démontré qu’il s’attache à une
vaine destinée ? Montrer le vide entre quatre murs d’une galerie
peut paraître désuet par rapport aux procédés scientifiques
qui s’attachent à la même mission.
Car, oui, l’énergie du Vide, on peut la voir, à travers
les traces éphémères de particules et antiparticules enregistré dans
les grands accélérateurs.
Reproduit p.317-L’Univers chiffonné. Jean-Pierre Luminet. Ed
folio essais. Ed fayard 2000 et 2005