par Thierry Laurent
De façon générale, les télescopes modernes permettent
de montrer l’invisible de la lumière. Car la lumière
que capte la rétine humaine n’est qu’une infime fraction
des couleurs du spectre électromagnétique, plus simplement,
du champ total de la lumière issue du soleil et des étoiles.
Par des procédés de captation numérique, les lumières
invisibles (rayons gamma, X, ultraviolets, infrarouge ou lumière radio)
peuvent être convertis numériquement en couleurs visibles. Bien
des clichés d’étoiles et galaxies ne sont que des reconstructions
informatiques d’images prises en lumière invisible par des télescopes
modernes. Là encore, la science moderne s’attache à rendre
visible l’invisible et obéit à un processus esthétique.
A titre d’exemple, on sait que les clichés de l’univers
primordial opérés par le satellite Cobe dans les années
1990 constituent une fiction chromatique destinée à impressionner
les journalistes et les convaincre visuellement des infimes variations de
densité de l’univers. Les premiers rayonnements du cosmos sont
perceptibles dans des longueurs que l’œil humain ne capte pas.
La fiction esthétique vient ici au secours du vrai. L’astrophotographie
est devenue l’art de mettre en image les corps célestes repliés
dans les confins de l’invisible. On sait qu’une nouvelle génération
de télescopes (WMAP, PLANK) se livre en ce moment à l’observation
du ciel lointain. L’outil de l’artiste scientifique n’est
plus le pinceau ou le ciseau du sculpteur, mais les dispositifs de plus en
plus sophistiqués d’imagerie spatiale qui sondent l’invisible.
On a parlé d’un nouvel espace de la Renaissance, matérialisé sur
la toile et obtenu grâce à la connaissance de la géométrie,
un nouvel espace cubique de Picasso, un nouvel espace d’art conceptuel
avec les ready-mades, on peut évoquer maintenant une nouvel espace cosmique
retransmis en lumières numérisées sur écran informatique.
Et cette fois-ci, les grands artistes sont les équipes d’astrophysiciens
capables de télécommander un télescope dans l’espace,
et d’ajuster du sol les milliers de paramètres nécessaires à la « fabrication » d’une
image du cosmos, là où l’œil est totalement aveugle.
Dans l’espace, l’humain est en effet un aveugle total. Plus de
99% de notre univers demeurent totalement invisibles. On sait qu’il est
composé de 27% de matière et de 73% de pure énergie du
vide. La matière elle-même est composée pour l’essentiel
(95%) d’une matière noire, aujourd’hui encore inconnue et
invisible. On sait simplement que cette matière existe parce que sans
elle nos galaxies et amas de galaxies seraient incapables de conserver la moindre
cohérence. Le réel demeure ici une pure création de l’esprit,
de l’Idée au sens hégélien du terme. Si l’art
doit aboutir à la révélation de l’Idée hégélienne,
alors la science ne serait-elle pas l’aboutissement logique de l’art ?
Lorsque la science sera parvenue à identifier la matière noire,
puis à montrer des images de celle-ci, (ce qu’elle réalise
déjà partiellement grâce aux effets de « lentille
gravitationnelle »), elle aura accompli un processus esthétique
complet : montrer ce qui d’abord fut un pur produit des équations.