par Thierry Laurent
Aujourd’hui la question se pose. Qui sont les vrais artistes contemporains ?
Dans sa démonstration de la pertinence d’une bouteille de coca-cola
par Warhol, exacte réplique en plus grand d’une bouteille de coca-cola,
Arthur Danto explique que ce n’est pas la bouteille de coca-cola qui
fait œuvre, mais la démarche de l’artiste, une démarche
conceptuelle, où la bouteille de coca version Warhol n’est plus
une bouteille de coca, mais un symbole, l’ Icône d’une société où tout
le monde boit du coca-cola. Donc voilà. Nous buvons tous du coca cola.
Certes ! Mais comparée à l’imaginaire mathématique
des astrophysiciens, l’idée de Warhol est une la lapalissade.
Ne faudrait-il pas plutôt féliciter le génial designer
qui a conçu la bouteille de coca, un objet rendu universel par son impact
visuel et son contenu gazeux, et non un Warhol astucieux qui s’est contenté de
pirater froidement un objet qui n’est pas de lui ? Pour être
juste, il n’en demeure pas moins qu’en termes kantiens, où le
beau sensible demeure l’ultime enjeu de l’art, l’œuvre
de Warhol demeure percutante. Warhol est un génie du piratage, un décorateur
séduisant, mais pas un artiste conceptuel.
La conception hégélienne d’un art exposant l’Idée
absolue du monde fait obligatoirement appel en dernière instance à la
science : la démarche scientifique consiste à trouver une
seule loi unique et universelle en mesure d’expliquer des phénomènes
multiples et disparates. La loi de gravitation de Newton a le mérite
de donner une explication unique à des phénomènes en apparence
sans relation les uns avec les autres : chute d’une pomme, orbite des
planètes, balistique des boulets de canons. Aujourd’hui la science
s’attache à réconcilier des systèmes d’explication
en apparence contradictoires, celui des équations de la relativité concernant
l’espace-temps à grande échelle, celui de la physique quantique,
relatif aux particules élémentaires . La théorie des cordes
a cette vocation de loi unique et universelle de l’univers. Pour l’instant,
cette théorie n’est pas achevée et encore moins vérifiée,
elle est une superbe construction esthétique. Les bâtisseurs de
nouveaux espaces à travers de purs échafaudages d’équations
ne seraient-ils pas les vrais artistes contemporains ? Les équations
mathématiques, avant de décrire le réel, sont comme les
robes des grands couturiers : elles doivent tomber juste.
Le principe d’équivalence d’Einstein, qui date des années
1910, celles mêmes où fut conçue la notion de ready-made
de Duchamp, ne serait-il pas le paradigme d’un art contemporain qui se
revendique haut et fort comme conceptuel ? L’idée d’Einstein
est que le temps peut s’étirer à l’infini. Ce constat
s’opère soit à bord d’une fusée en accélération,
soit à la surface d’un corps ultra massif. Pesanteur terrestre
et accélération rapide sont en termes relativistes parfaitement équivalents.
De cette équivalence, Einstein en a déduit la courbure de l’espace-temps.
Bref, l’éternité réside dans l’extrême
vitesse de la lumière comme dans l’extrême densité d’un
corps aussi massif qu’un trou noir invisible. Visible et Invisible se
conjuguent donc en une même éternité.
La science d’aujourd’hui, avant de traiter du réel, commence
par faire œuvre de poésie. Les grands artistes de demain seront
les scientifiques.
Thierry Laurent