Esthétique
La Science devenir de l’art

par Thierry Laurent

mis en ligne le 06/10/2010

L’origine de la théorie de la relativité repose sur une « expérience par la pensée » menée par Einstein, un exercice qui consiste à imaginer une situation particulière et les conséquences spatio-temporelles qui en découlent. L’expérience pour Einstein consiste à s’imaginer face à un miroir, un miroir en fuite constante à la vitesse de la lumière. Le résultat d’une telle expérience est de conclure que jamais Einstein ne pourra visionner son reflet dans le miroir, car la lumière se déplace à vitesse constante par rapport à l’observateur, et non par rapport à un quelconque référent. Bref, la vitesse de la lumière est un absolu universel. Mais ce qui nous intéresse ici est le fait qu’Einstein opère une expérience conceptuelle, il ne s’agit pas de manier des équations mathématiques, mais d’imaginer une situation concrète dont il découle une conception nouvelle de l’espace. Ici, on peut parler d’une authentique pratique « artistique » conceptuelle, où l’intelligence et l’imagination visuelle se conjuguent pour « créer » un espace nouveau, en l’occurrence, un espace-temps soumis aux lois de la relativité. Albert Einstein est un créateur d’espace, un inventeur d’univers, un artiste pur, au sens où l’art peut se réduire au seul concept.

Si l’art est une question de démonstration conceptuelle, il va de soi que les meilleurs artistes sont les scientifiques, qui inventent des espaces nouveaux aux formes de plus en plus sophistiquées.

A cet égard, une des dernières créations en date, qui résulte du pur outil mathématique, est l’espace dodécaédrique de Poincaré. Selon l’astrophysicien Jean Pierre Luminet, la forme de l’espace-temps serait légèrement courbe, elle s’apparenterait à un dodécaèdre, une sphère composée de douze pentagones, faisant de l’univers un vaste jeu de miroirs, permettant au rayons lumineux de se refléter, de parcourir l’univers en des directions différentes, si bien qu’en réalité le nombre de galaxies seraient bien moins important que celui observé par les terriens. Bref, l’espace serait comme la galerie des glaces du château de Versailles, avec des jeux de lumière accomplissant des trajets multiples. Aujourd’hui, l’espace dodécaédrique (que son auteur a baptisé « univers chiffonné ») n’a pas encore été confirmé par les télescopes actuels. Ils demeurent une pure fiction de la physique du cosmos, mais alors quelle fiction ! Un échafaudage d’une incroyable sophistication : on pense à la scène finale de la Dame se Shanghai de Orson Welles où les protagonistes s’aspergent de balles à l’intérieur d’un vaste jeu de miroirs rendant impossible la détermination de l’origine des tirs. Bref, les fictions mathématiques ne demeurent-elles pas, tant qu’elles n’ont pas été validées par l’observation, tributaire d’un jugement qui repose sur leur cohérence, leur logique et finalement sur leur «  beauté » ?

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