par Thierry Laurent
L’origine de la théorie de la relativité repose sur
une « expérience par la pensée » menée
par Einstein, un exercice qui consiste à imaginer une situation particulière
et les conséquences spatio-temporelles qui en découlent. L’expérience
pour Einstein consiste à s’imaginer face à un miroir,
un miroir en fuite constante à la vitesse de la lumière. Le
résultat d’une telle expérience est de conclure que jamais
Einstein ne pourra visionner son reflet dans le miroir, car la lumière
se déplace à vitesse constante par rapport à l’observateur,
et non par rapport à un quelconque référent. Bref, la
vitesse de la lumière est un absolu universel. Mais ce qui nous intéresse
ici est le fait qu’Einstein opère une expérience conceptuelle,
il ne s’agit pas de manier des équations mathématiques,
mais d’imaginer une situation concrète dont il découle
une conception nouvelle de l’espace. Ici, on peut parler d’une
authentique pratique « artistique » conceptuelle, où l’intelligence
et l’imagination visuelle se conjuguent pour « créer » un
espace nouveau, en l’occurrence, un espace-temps soumis aux lois de
la relativité. Albert Einstein est un créateur d’espace,
un inventeur d’univers, un artiste pur, au sens où l’art
peut se réduire au seul concept.
Si l’art est une question de démonstration conceptuelle, il va
de soi que les meilleurs artistes sont les scientifiques, qui inventent des
espaces nouveaux aux formes de plus en plus sophistiquées.
A cet égard, une des dernières créations en date, qui
résulte du pur outil mathématique, est l’espace dodécaédrique
de Poincaré. Selon l’astrophysicien Jean Pierre Luminet, la forme
de l’espace-temps serait légèrement courbe, elle s’apparenterait à un
dodécaèdre, une sphère composée de douze pentagones,
faisant de l’univers un vaste jeu de miroirs, permettant au rayons lumineux
de se refléter, de parcourir l’univers en des directions différentes,
si bien qu’en réalité le nombre de galaxies seraient bien
moins important que celui observé par les terriens. Bref, l’espace
serait comme la galerie des glaces du château de Versailles, avec des
jeux de lumière accomplissant des trajets multiples. Aujourd’hui,
l’espace dodécaédrique (que son auteur a baptisé « univers
chiffonné ») n’a pas encore été confirmé par
les télescopes actuels. Ils demeurent une pure fiction de la physique
du cosmos, mais alors quelle fiction ! Un échafaudage d’une
incroyable sophistication : on pense à la scène finale de
la Dame se Shanghai de Orson Welles où les protagonistes s’aspergent
de balles à l’intérieur d’un vaste jeu de miroirs
rendant impossible la détermination de l’origine des tirs. Bref,
les fictions mathématiques ne demeurent-elles pas, tant qu’elles
n’ont pas été validées par l’observation,
tributaire d’un jugement qui repose sur leur cohérence, leur logique
et finalement sur leur « beauté » ?