par Thierry Laurent
Notons à cet égard que la révolution esthétique
de la Renaissance, qui veut que l’artiste soit en mesure de créer
sur la toile l’illusion d’un espace à trois dimensions
, est autorisée par la connaissance des lois de la perspective. Est-ce
un hasard si l’art de la Renaissance et la « Révolution
copernicienne » procèdent l’une et l’autre
de la même origine : les progrès de l’outil géométrique ?
Même type de démonstration avec l’invention de l’espace-temps
par Albert Einstein.
Celle-ci s’est opérée en deux étapes. 1905 avec la
théorie de la relativité restreinte. 1915 avec la théorie
de la relativité générale. Il résulte de ces deux
moments de création, que l’espace est étroitement corrélé au
temps, et que globalement l’espace-temps peut prendre plusieurs formes,
droites, courbes, ouvertes ou fermées. Einstein s’inspire de deux
systèmes mathématiques antérieurs, les mathématiques
de Riemann, et ceux de Lobatchevski, d’où il se déduit que
la géométrie peut échapper à la seule planéité pour
se décliner à travers des espaces sphériques. Jusqu’en
1919, les théories d’Einstein sur la courbure de l’espace-temps
restent de pures spéculations géométriques. Un nouvel espace
vient donc d’être imaginé, où le temps et l’espace
forment une continuité cohérente. Avec la théorie de l’espace-temps,
on peut parler d’un acte de création, de poésie scientifique,
bref, d’invention esthétique.
L’invention d’Einstein donnera lieu en 1919 à vérification
concrète lorsqu’une éclipse de soleil permettra d’observer
la courbure des rayons lumineux provenant d’étoiles lointaines.
C’est en grande pompe que le physicien Edington annonce le 6 novembre 1919 à la
Royal Asronomical Society de Londres que les opérations de vérification
de la courbure de l’espace-temps menées dans l’hémisphère
sud sont probantes. La théorie de la relativité de « fiction » mathématique
devient réalité scientifique.
Une telle expérience de vérification peut s’apparenter également à un
processus artistique tel qu’il est défini de nos jours. Voici une
observation qui permet de montrer, grâce au simple constat du déplacement
des étoiles, la réalité d’un phénomène
invisible à l’œil humain, et seulement perceptible par télescope,
au moment très précis d’une éclipse de soleil. Un
phénomène qui a donc été imaginé à l’aide
de l’outil mathématique, et mis en image grâce l’outil
visuel. La courbure de l’espace-temps peut se vérifier par l’observation
de la courbure de rayons lumineux censés traverser le cosmos en droite
ligne. Cela s’appelle des effets de « lentille gravitationnelle ».
Le désir de montrer l’invisible, l’immatériel, l’espace,
est assez fréquent en art contemporain, il fait notamment partie des discours
visant à légitimer les monochromes. Si l’on reprend la définition
d’un art comme montrant l’invisible, il est évident que l’expérience
de 1919, qui manifeste l’invisible courbure de l’espace-temps, est
une réalisation artistique exemplaire.