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[verso-hebdo]
24-09-2020
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La chronique de Gérard-Georges Lemaire |
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Chronique d'un bibliomane mélancolique |
Danse gothique, Georg Baselitz, écrits et entretiens, 1961-2019, préface de Frédérique Goering Hergott, traduit de l'allemand par Régis Quatresous, L'Atelier contemporain, 424 p., 25 euro.
L'oeuvre de Georg Baselitz est assez bien connue en France. Il fait parti de cette génération d'artistes allemands qui s'est imposée dans les années soixante et soixante-dix. De son vrai nom Hans Georg Kern il est né en janvier 1938 à Deutschbaselitz, dans la Saxe. En 1955, il tente sans succès d'entrer à la Kunstakademie de Dresde. Il finit par entrer à l'Académie des Beaux-arts de Berlin Est, puis à celles de Brehens-Hangler et deWomarak, dont il est renvoyé. En 1958, il entre à l'Académie de Berlin Ouest. Il découvre l'expressionnisme abstrait américain à la faveur d'une grande exposition. Il est aussi très frappé par Le Boeuf écorché de Soutine. Il découvre lors d'un séjour à Paris l'art de Michaux et de Fautrier. Sa première exposition avec Eugen Schönebeck, Pandämonium a lieu en 1961 (il y en aura une seconde l'année suivante). C'est en 1963 qu'il présente sa première exposition à Berlin.
Deux ans plus tard, il passe six mois à la Villa Romana à Rome : il découvre le maniérisme, s'intéresse à l'Ecole de Fontainebleau. C'est alors qu'il commence le grand cycle des Helden. Il s'installe à Ostofen près de Worms. Ses renversements de la figure humaine commencent en 1969, d'abord sur toile. Cette série est exposée en 1970 à Cologne, puis un nombre important de ses dessins est présenté au Kupferstichkabinett du Kunstmuseum de Bâle. En 1972, il participe à la Documenta 5. Depuis lors, il figure parmi les artistes les plus connus de sa génération et ses oeuvres sont montrées dans les plus grands musées du monde. Il a représenté l'Allemagne dans le pavillon national de la Biennale de Venise en 1980.
Si son oeuvre ne connaît plus une évolution marquante, même s'il crée des décors de théâtre et poursuit ses recherches graphiques (peintures et sculptures sont la plupart du temps des séries de variations), grâce à ce livre, nous connaissons ses écrits, qui sont vraiment très intéressants. Les nombreux entretiens qu'on trouve dans ce volume, dont le premier remonte au tout début des années 1980, permettent de retracer la genèse de son oeuvre et d'en comprendre les fondements. L'artiste explique de manière très claire, et assez détaillée, ses motivations et ses sources d'inspiration, sa méthode et sa vision. C'est passionnant car, au fil de ces dialogues, il dévoile le sens de sa démarche avec sobriété et sans emphase. C'est sans doute là l'équivalent d'une autobiographie, mais qui ne concerne que sa production artistique. On y trouve aussi des conférences, comme « Les Galipettes sont aussi un mouvement, et en plus c'est amusant » qu'il a délivrée en 1992 où il explique la série d'ouvrages qu'il a réalisée sous ce titre insolite.
Il faut reconnaître que ce textes et les autres réunis ici sont écrit avec beaucoup de force et de vivacité, mais toujours avec retenu. Baselitz a une capacité évidente de rendre tangibles les grands éléments de sa pensée et de rendre plus clair aux lecteurs ce qui l'anime profondément. Il suffit de se plonger dans « Autrefois, entre-temps, aujourd'hui » (2010) pour s'immerger dans son histoire intérieure qui est narrée avec une grande simplicité. Ce recueil est remarquable et inclut aussi de nombreuses reproductions qui permettent de son parcours depuis le début. C'est une belle réussite qui mérite d'entrer dans la bibliothèque de tout amateur de l'art de ces dernières décennies.
Youla Chapoval, Galerie Alain Le Gaillard, Galerie Le Minotaure, Galerie Laurentin, 124 p.
Je dois l'avouer humblement : le nom de Youla Chapoval ne me disait vraiment rien. En lisant l'un des textes d'introduction, celui de James Lord, j'ai découvert qu'il avait fait la connaissance de Pablo Picasso en 1938 et que ce dernier appréciait son travail : James Lord raconte qu'il a vu dans l'atelier de l'auteur de Guernica une petite toile de Chapoval : Picasso semblait beaucoup l'apprécier. Il était arrivé à Paris en 1924, quittant sa ville natale, Kiev, où il a vu le jour en 1919. Il a fait à Paris ses études secondaires puis son apprentissage artistique en particulier à la Grande Chaumière. En 1940, il rencontre Jean Cocteau et Maurice Sachs. En 1942, il quitte Paris et s'installe dans la zone libre. Il vit à Toulouse en 1943 et s'inscrit à l'Ecole des Beaux-arts. Il rentre à Paris et demeure près du musée de Cluny.
Il se marie en 1946 avenue Montaigne et commence à exposer. Au début ses oeuvres sont figuratives et traitées dans une perspective cubiste très libre. Dans son excellent essai, Léa Bourdon relate son existence très brève puisqu'il décède en 1951 et décrit son parcours esthétique. Il expose à la galerie Jeanne Bucher en 1947 où il montre des compositions qui sont souvent des natures mortes (on y décèle un lointain écho de Juan Gris, mais qu'il n'imite pas). Il introduit rarement des figures qui sont toujours réduites à des formes essentielles. Pendant cette période, il se trouve à mi-chemin entre la figuration et l'abstraction, reprenant les choses à un certain point du cubisme pour les développer dans une optique bien à lui, avec plus de matérialité et de jubilation chromatique dans ses tableaux.
Peu à peu, dès 1948, les objets et les êtres tendent à disparaître progressivement (il suffit de songer à la Composition à l'oiseau). Il opte alors pour des décompositions géométriques et ensuite pour des signes dans l'espace tracés avec force. Il ne suit pas les différentes voies proposées par l'Ecole de Paris. Il choisit une voie qui n'appartient qu'à lui. A la fin, il rend ses formes plus fluide, mais sans abandonner son idée préliminaire. Il a une exposition à la galerie Denise René avec Marie Raymond en 1950. Ces trois belles expositions nous dévoilent le cheminement d'un artiste qui affirme son adhésion aux problématiques de l'après-guerre, mais reste attaché aux prémisses de l'art moderne. Il faut aussi lire les souvenirs de Roger Grenier et de Jeanne Worms qui sont de précieux témoignages pour découvrir ce peintre et dessinateur qui mérite véritablement d'être redécouvert.
Le Partage de l'oeuvre, essai sur le concept de collaboration artistique, Anne Sauvageot, « logiques sociales », L'Harmattan, 196 p., 21, 50 euro.
Anne Sauvageot s'est assigné pour mission d'étudier un aspect de la nouvelle donne de la création artistique ces derniers temps : la collaboration, qui devient indispensable étant donné le recours de pas mal de créateurs aux nouvelles technologies. Le statut de l'artiste a beaucoup évolué, même si d'aucuns continuent à travailler dans une perspective traditionnelle. Pour beaucoup, l'individualisme exacerbé qui a fini de s'affirmer au cours du XIXe siècle et même pendant la phase de l'art moderne au début du siècle suivant, n'a plus la même valeur : il y a des artistes qui ne touchent pas du tout à la fabrication de l'oeuvre, des minimalistes américains aux conceptuels, sans parler des vedettes de l'art contemporain. Pour qu'on puisse replacer dans une optique historique permettant de prendre du recul, elle commence son étude par explorer le monde des ateliers.
La bottega, sous la Renaissance, était un lieu où régnait un maître qui, en fonction de son importance, pouvait avoir un certain nombre d'élèves et d'assistant. Même Léonard de Vinci, qui voulait proclamer son indépendance, avait quatre principaux disciples, qui figurent d'ailleurs autour de lui dans la statue qui se dresse place de la Scala à Milan. Les élèves pouvaient apprendre, en commençant par les tâches les plus simples pour ensuite se perfectionner au fil des ans. La collaboration avec le maître était une étape obligée de cette initiation avant de pouvoir voler de leurs propres ailes. Le Tintoret se faisait aider par ses enfants et par une escouade de petites mains, sinon comment aurait-il fait pour peindre en trois jours Le Paradis dans la salle du Conseil du palais des doges de Venise ? Pier Paul Rubens est celui qui est allé le plus loin dans ce sens, ayant un très grand nombre d'assistants, mais s'attachant aussi les services de grands maîtres contemporains, comme Snyders, Van Dyck, Jan Brueghel de Velours.
Même Rembrandt, plus solitaire, a eu un petit groupe d'élèves, surtout allemands. Cette tradition va être remplacée par les ateliers où les peintres en place enseignaient soit au sein de l'Ecole des Beaux-arts, soit chez eux. Cependant, des artistes du XXe siècle ont parfois eu des équipes nourries comme Jean Dubuffet et Victor Vasarely. L'auteur indique que c'est avec les surréalistes qui ont commencé à travailler à plusieurs. Mais les cadavres exquis ne sauraient pas être considérés comme des oeuvres à part entière. En fait, l'artiste reste une personne qui travaille seul jusqu'à une date assez récente, même s'ils ont un jeune artiste pour l'aider à réaliser ses ouvrages.
Un seul exemple : Mario Schifano, que j'ai bien connu et dont j'ai beaucoup fréquenté l'atelier romain, avait deux assistants : leur tâche se résumait à ouvrir les pots de peinture ou à poser des toiles sur des chevalets (il peignait souvent à plat). Je ne les ai jamais vus faire plus que des tâches matérielles. Jamais un tableau. Avec l'affaire du dit « art contemporain », tout change car les artistes vont multiplier leurs outils en se servant beaucoup de l'électronique ou en faisant manufacturer leurs créations en usine. Quoi qu'il en soit, l'auteur a tenu à nous faire comprendre comment les choses se jouent en ayant des discussions avec un petit groupe d'artistes. Anne Sauvageot, pour donner la mesure de ses interrogations a choisi le célèbre artiste de Majorque, Miquel Barcelò, et celui qui va le seconder pendant la longue période la réalisation des peintures et des vitraux de la chapelle de Seu dans la cathédrale de son île natale. Ayant pu converser avec les deux protagonistes, elle s'est rendue compte que le nom de Fleury n'apparaissait jamais nulle part. Et pourtant, c'est un artiste à part entière et qui dans la réalisation de ce long et complexe travail n'a pas été qu'un simple exécutant.
Bien sûr, les idées étaient de Barcelò, mais Fleury n'a pas fait que la mise en oeuvre. Avec cet exemple exposé en détail, elle montre comment cette collaboration s'est achevée par la complète négation du travail de son associé. Avec un autre exemple, celle de l'ouvrage qui a lié l'artiste brésilien Eduardo Kac et Thomas Pesquet qui appartenant à l'Agence Spatiale Européenne et qui devait participer à l'opération Proxima comme astronaute. L'artiste avait souhaité réaliser une oeuvre s'intitulant Le Télescope intérieur. Kac a déjà une longue expérience dans la relation de l'homme avec le monde interstellaire. Quand il a pu pénétrer dans l'Observatoire de l'Espace, Kac a imaginé d'y développer sa « poésie spatiale » avec une oeuvre envoyée dans l'espace et revenant sur terre. L'astronaute devait prendre des photographies et de courts films de cet ouvrage dans l'espace. Quand tout cela a été accompli, l'artiste a fait un montage en vidéo et a fait créer un livre d'artiste.
Pour parvenir à ses fins, l'artiste a utilisé la notoriété de Pesquet et aussi les compétences des scientifiques qui ont été partie prenante dans cette conception du voyage spatial. Elle donne encore un autre exemple avec Céleste Boursier-Mougenot, qui permet de voir la question encore sous un autre angle de vue. Mais sa conclusion demeure toujours que ces collaborations demeurent toujours, quelque soit leur genre, comme un anéantissement complet de la personne qui a été le maître d'oeuvre, et non un simple exécutant. C'est une recherche tout à fait intéressante et qui permet de considérer des modalités d'action de l'art contemporain qui peuvent susciter une réflexion critique. C'est un ouvrage à acquérir si l'on veut comprendre comment fonctionne ce monde.
Les Années de voyage de Wilhelm Meister, Goethe, édition de Marc de Launay, traduit de l'allemand par Blaise Briod, Folio « classique », 720 p., 10, 30 euro.
Ce livre appartient désormais à la grande littérature universelle. C'est un classique et donc un ouvrage qu'on ne lit plus que si des raisons impérieuses l'imposent, car « classique » est synonyme d'ennuyeux. Hors ces pages ont été écrites après ses Années d'apprentissage et ont été achevées en 1821 (il avait commencé vers 1795). L'auteur les a reprises et la version définitive a paru en 1829 après bien des remaniements. Ce qui frappe le plus ici, c'est que Goethe a tout fait sauf un roman classique. Plusieurs genres se mêlent : celui du voyage, de la nouvelle, du conte philosophique, de la poésie, de la relation épistolaire. On peut tout à fait parler de littérature expérimentale. Si les Essais de Michel de Montaigne avaient pu constituer un cas dans la littérature française car le récit autobiographique se confond avec une vision générale des connaissances de son temps et aussi une expérience de la vie d'alors et de sa signification, Wilhelm Meister va encore plus loin dans la fusion des genres en un temps où le roman avait déjà des bases solides.
Il ne répond donc pas aux principes de la littérature du tout début du XIXe siècle, mais aussi de ce qui a précédé - on pourrait un peu le mettre sur un plan comparable à la Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme (1759), sans pourtant n'avoir rien à partager avec cette magnifique histoire picaresque. Mais il a encore moins à partager avec Diderot, Stendhal ou Balzac. Ce périple qu'entreprend Wilhelm Meister, un homme érudit qui a tenté sa chance dans le théâtre, puis y a renoncé, part en voyage avec son fils, Félix. Ce périple est un moyen pour Goethe d'observer des us et coutumes des contrées que ses héros traversent (surtout l'Italie), dans la perspective du Grand Tour, mais aussi de considérations de toutes sortes, sur la société et sur la politique par exemple. En réalité, c'est une sorte de compendium de la pensée de Goethe qui embrasse un nombre considérable de sujet, dans une optique encyclopédiste. S'il s'agit bien d'un voyage, c'est d'abord un voyage dans la connaissance et dans la culture. Si Montaigne avait pris sa bibliothèque comme paradigme, Goethe a adopté un modèle géographique qui n'est ici qu'un prétexte à des réflexions sur la minéralogie ou sur la cosmologie, mais aussi sur la religion ou la franc-maçonnerie.
A cela vient s'ajouter un conflit entre le père et le fils qui sont tous les deux amoureux de la même femme. On entre alors dans un tout autre registre. Et l'auteur n'a pas peur de s'avancer dans une dimension mythologie avec l'introduction du personnage de Macarie. On a parlé très tôt à propos de ce roman de Bildungsroman (c'est la première que cette définition était employée). La formule est assez juste car, dans le foisonnement de toutes ces narrations et de la multitude des thèmes abordés, on comprend que Wilhelm Meister est parti en quête d'un bonheur sans partage et qu'il recherche tout ce qui peut l'aider dans cette poursuite. La découverte de cette oeuvre admirable est indispensable, non seulement pour être un honnête homme (ou une honnête femme), mais pour découvrir une forme romanesque d'une originalité qui peut encore surprendre et même fasciner par les temps qui courent.
Arthur Rimbaud, biographie, Jean-Jacques Lefrère, préface de Frédéric Martel, « Bouquins », Robert Laffont, 1408 p., 33 euro.
Après les travaux bien décevants d'Alain Borer, on ne peut que se réjouir du travail de biographe de Jean-Jacques Lefrère (1954-2015), qui était médecin et qui avait été aussi un grand spécialiste de Laforgue et de Lautréamont . Je suis un peu circonspect quant à la préface de Frédéric Martel dont le titre déjà augure mal de la suite - « Pourquoi nous sommes rimbaldiens. Je Ne me considère pas comme un rimbaldien car je ne me range pas dans les rangs des adulations et des thuriféraires. J'aime Rimbaud, mais ne suis pas ébloui par sa précocité et son existence tumultueuse. Rimbaud finit bien tristement son existence, par sa disparition prématurée à Marseille, et par ses commerces malheureux dans les terres arides de l'Afrique orientale : il n'y est pas devenu un Marco Polo moderne, mais un esprit malheureux en quête d'une hypothétique réussite commerciale. Il n'y a là aucune noblesse, mais plutôt les conséquences d'une fuite désastreuse.
Je souligne d'ailleurs que Lefrère a tenu à rompre le dos à de nombreuses mystifications qui sont apparues déjà de son vivant. L'idolâtrie posthume bien pire encore. Son soin très méticuleux et très médité pour faire un portrait authentique de Rimbaud qui n'exalte pas ses faits et gestes, mais qui ne s'efforce pas non plus de diminuer son originalité et son extravagance, mérite l'éloge. Cette biographie est remarquable à tous les effets. Elle révèle le poète dans sa vérité, dans sa difficulté d'être, dans ses amours compliqués et déroutants avec Paul Verlaine, déjà célèbre, mais toujours alcoolique et impécunieux. Elle n'est jamais aride et surtout ne prend jamais fait et cause pour tel ou tel aspect de sa personnalité : elle nous la révèle et nous laisse le soin d'en juger par nous-mêmes. Il ne cède pas non plus à la tentation d'interpréter sa poésie : là encore, il examine ce qui a pi en être dit, l'expose, et permet au lecteur d'avoir ses propres idées sur ces poèmes si énigmatiques.
Pour moi, c'est un peu plus qu'une biographie : c'est une remarquable investigation sur un destin si étrange et une oeuvre qui continue à surprendre et à interroger, tout en inspirant des sentiments forts et profonds. C'est à la fois une encyclopédie de son univers et une relecture de cette vie qui sort des sentiers battus, mais aussi une analyse fine de ce que cette poésie a pu susciter à son époque. Si vous voulez découvrir ou mieux connaître Rimbaud, ce fort volume est indispensable et rend toutes les biographies inutiles - seuls les essais qui lui ont été consacrés peuvent nous éclairer d'une autre façon. Il y a beaucoup de documents et beaucoup de témoignages. L'auteur a tout fait pour nous faire l'aimer sans la moindre tentation de mythologie et sans rien dissimuler qui pourrait décevoir ou contrarier. On ne peut que l'admirer car c'est un modèle du genre. En conclusion, nul amateur de la poésie française ne saurait s'en dispenser et tous les apprentis biographes peuvent en prendre de la graine.
Retour sur le Don, Mario Rigoni Stern, traduit de l'italien par Marie-Hélène Anglini, « Domaine étranger » , Les Belles Lettres, 174 p., 13, 50 euro.
Mario Rigoni Stern (1921-2008) fait partie de ces écrivains italiens qui ont tiré de leur expérience de la guerre, de la déportation, de la captivité des ouvrages mémorables (Primo Levi, Carlo Emilio Gadda, Ardengo Soffici, Curzio Malaparte...). Il a consacré plusieurs ouvrages sur la campagne de Russie en 1942 et 1943 que l'armée italienne a menée avec les troupes de l'Armir (la 8e armée, qui a déjà combattu aux côtés des troupes du Reich depuis 1941 sous le nom de CSIR), mal armée, mal équipée, avec des chars ressemblant à des boîtes de conserves, en appui aux forces allemandes en difficulté à Stalingrad et dans la région située entre la Volga et le Don. Mario Rigoni Stern faisait partie du régiment de chasseurs alpins qui s'est vite retrouvé dans une situation catastrophique et a dû battre en retraite dans des conditions épouvantables.
L'auteur ne transforme pas son histoire ou l'histoire de ses camarades de combat en une sorte d'épopée catastrophique mais en une suite de moments qui lui sont restés en mémoire. Il y dépeint les relations entre les soldats italiens et des paysans russes, des affrontements épisodiques, d'anecdotes révélatrices. Toujours avec sobriété, en évitant le pathos, cet écrivain remarquable a su restituer l'atmosphère de cette guerre absurde et quel a été le destin de ces soldats courageux, mais laissés sans appui. Pris en tenaille par les armées soviétiques (qui s'étaient déjà débarrassés des Roumains), ils erraient dans l'espoir de trouver une hypothétique base arrière.
Abandonnés de tous, ils ont dû faire face aux attaques des partisans, aux assauts sporadiques mais meurtriers de l'Armée rouge, à la faim et à la soif, n'ayant que des moyens dérisoires pour continuer la lutte. C'est un livre qui retrace de manière posée et humaine ce qu'a pu être le calvaire de ces hommes. C'est une oeuvre extraordinaire, qui permet de prendre connaissance de ces événements tragiques qu'ont vécu ces malheureux qui ont fini, une fois Mussolini déposé et emprisonné, dans les camps de prisonniers allemands où il ont été traités d'une manière abominable. C'est un témoignage extraordinaire de ces heures oubliées de la Seconde guerre mondiale, mais c'est aussi une grande oeuvre littéraire qui fait éprouver le sort réservé aux Italiens dans un conflit où ils n'ont été que des supplétifs des Allemands qui ont servi souvent d'arrière-garde condamnée pour assurer leur repli. A découvrir sans attendre.
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Gérard-Georges Lemaire 24-09-2020 |
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Verso n°136
L'artiste du mois : Marko Velk
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