Les éditions Hazan ont eu la bonne idée de proposer à Sophie Chauveau, écrivain connue pour son ardente complicité avec les peintres, de visiter le Paris d'hier et d'aujourd'hui qu'ils ont représenté, en compagnie des gens de lettres qui y ont habité. Ces derniers sont nombreux, français et étrangers, Sophie Chauveau connaît leurs adresses exactes. Elle leur rend hommage dans un vibrant texte liminaire qui commence par une évocation de la grande Colette, reine du Palais Royal, et qui se termine avec Modiano. Comme ce dernier, elle aime d'amour « l'unique capitale du monde » (le mot est d'Harold Rosenberg), mais elle n'élude pas ses lieux maudits, comme le 93 rue Lauriston, qui fut le siège de la Gestapo. Ensuite, elle accompagne son choix d'oeuvres par des citations bienvenues. On trouvera des tableaux incontournables, bien sûr, comme La Musique aux Tuileries de Manet par exemple, mais elle ne s'est pas sentie obligée de l'associer au commentaire de Baudelaire : c'est un heureux passage des Plaisirs et les jours de Proust qu'elle a retenu.
Parmi les peintres inévitables, il y a bien sûr les impressionnistes et post-impressionnistes : les célèbres (Pissarro, Monet, Signac) et les peu connus (Ludovic Vallée, Henri Le Sidaner). Revoir leur Paris est plaisant bien sûr, mais sans surprise. Heureusement, le livre nous réserve des découvertes très stimulantes. Il y a, par exemple, une étonnante Vue du Pont Neuf par Félix Valloton (Kunst Museum, Winterthur) qui éclipse celles qu'Albert Marquet réalisait tranquillement sans quitter sa fenêtre du quai des Grands Augustins. Sophie Chauveau ne résiste pas au plaisir de nous étonner à nouveau avec Valloton, interprète du Bois de Boulogne, grâce à deux tableaux venus de collections particulières, pour lesquels il fallait bien revenir à Proust conduisant Françoise au bois dans Du côté de chez Swann à la même époque que le peintre (1913-1919). L'auteure nous donne aussi des oeuvres essentiellement documentaires, comme La Construction du métropolitain par Luigi Loir (1900, La Piscine à Roubaix) accompagnée par un extrait de La Curée d'Emile Zola.
Le Paris contemporain n'est pas oublié : celui de mai 68 avec Gérard Fromanger (une sérigraphie du fameux album Le Rouge conservé par le MNAM) et, au final, l'étonnant polyptyque de Frédéric Brandon sur le thème de la station de métro Charonne. Il faut savoir que le peintre avait entrepris, entre 2011 et 2018, de représenter toutes les stations de la ligne numéro 9 du métro parisien. Celle qui va du Pont de Sèvres à la Mairie de Montreuil, en passant par les beaux quartiers (Ranelagh, Rue de la Pompe), les quartiers commerçants (Chaussée d'Antin-La Fayette), les grands boulevards (Bonne Nouvelle), les quartiers populaires (Maraichers). Chacune de ces stations est marquée par une géographie, une histoire, une sociologie dont Frédéric Brandon a rendu compte par des moyens strictement picturaux, toujours avec des compositions de 80 x 240 cm. Sophie Chauveau s'est arrêtée à Charonne, la tristement célèbre depuis que, le 8 février 1962, une charge de police y condamna à mort par écrasement et étouffement des hommes qui défilaient pour demander la paix en Algérie. Les grilles fermées qui les avaient piégés sont là, à gauche. La plaque commémorative avec les noms des victimes est à droite, ce qui permet à l'artiste de donner une belle composition florale en vert et jaune. Dans le panneau central, les voyageurs d'aujourd'hui, qui attendent leur train sans penser au passé sans doute, peints avec élégance par un peintre qui n'oublie rien, lui. Belle et émouvante conclusion d'un livre riche de textes et d'images qui ne laissent jamais indifférent. Une réussite. (Hazan, 240 pages, 29, 95 euros)
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