Ruth Orkin, introduction d'Anne Morin, Photo Poche, Actes Sud, 13, 90 euro.
Ce qui fait l'intérêt de cette collection baptisée Photo Poche, est de nous faire connaître des photographes qui ne sont pas connus en dehors d'un cercle très étroit de connaisseurs. Je dois reconnaître n'avoir jamais entendu le nom de Ruth Orkin. Cet ouvrage m'a donc fourni l'opportunité de découvrir ce qu'il recouvre. Née à Boston en 1921, Ruth Orkin est la fille d'une actrice du cinéma muet. Elle a passé son enfance à Hollywood, qui était déjà la Mecque du cinéma. A l'âge de vingt ans, elle s'est vue offrir son premier appareil photographique - un Univex. Elle a accompli en 1939 un grand voyage dans les Etats-Unis. A bicyclette ! Elle a eu ainsi la possibilité de visiter l'Exposition universelle de New York. De ce périple, elle a tiré un album intitulé Bicycle-Trip. Deux ans plus tard, elle a travaillé dans les studios de la Metro Goldwyn-Meyer. Elle s'est alors mise en tête de photographier tous ses collègues.
Elle est à New York en 1943 où elle ta trouvé un emploi de photographe dans une boîte de nuit. Elle a aussi photographié des nourrissons pendant la journée. Elle a pu alors acheter un Kodak Retina et a commencé à collaborer à de prestigieux magazines comme Life ou Look. En 1945, elle a reçu la commande d'un reportage pour le New York Times : la tournée de Leonard Bernstein. Ella a fait un reportage en 1951 sur l'Orchestre philharmonique d'Israël en 1951 pour Life. Après avoir séjourné en Israël, elle a visité l'Italie. Elle a réalisé des films à partir de 1953. Mais elle a également fait des compositions photographiques de son cru. Elle a fait beaucoup de portraits (de célébrités - Albert Einstein par exemple - comme des figures anonymes. La rue était son sujet de prédilection. Elle a aimé saisir le mouvement brownien des passants ou des automobiles dans les grandes villes. C'est ce qu'on peut voir dans cet album.
Sa première exposition personnelle a eu lieu en 1977 à la Witin Gallery de New York. Elle a publié deux ouvrages entre 1978 et 1983. Elle est emportée par un cancer en 1985. En noir et blanc et en couleur, elle a su s'emparer de la réalité quiu est pour elle une dynamique physique et visuelle en perpétuelle mutation.
Saul Leiter, préface de Max Kazloff, Photo Poche, Actes Sud, 13, 90 euro.
Voici un autre photographe américain qui a été reconnu par le milieu artistique, mais qui n'est pas bien connu du grand public. C'est un peu le destin des créateurs de notre temps, qui font de belles carrières, mais n'obtiennent pas la notoriété qu'ils mériteraient. Né en 1923 à Pittsburgh, Il a fait ses études à la Talmudical Academy de New York. Puis il s' inscrit au Teiche Yeshiva Rabbinical College de Cleveland. Il s'est consacré à la peinture et il a exposé ses oeuvres pour voyager en Europe en 1958. A partir de 1960, il a fait des photographies pour un grand nombre de périodiques dont Elle.
Pour la première fois à Pittsburg en 1945. Il s'est installé à New York et, en 1947, il dès une carrière couronnée de succès et En 1952, il découvre les oeuvres photographiques de Cartier-Bresson au Museum of Modern Art. Il a pris part à l'exposition Abstract and Surrealist American Art à Chicago. Il a commencé à travailler la photographie en couleurs à partir de 1948.Il est invité à participer à l'exposition Always the Young Strangers présentée au MozArt de New York en 1953. Cinq ans plus tard, il a collaboré au magazine Harper's Bazar.En 1959, il a voyagé en Europe. Par la suite, il a fait des photographies pour un nombre croissant de périodiques, dont Elle.
Sa carrière prend un essor à partir du début des années soixante dans les journaux de mode. Ses créations dans la sphère de la photographie sont de plus en plus appréciées et son publiées dans de nombreux périodiques aux Etats-Unis Il a voyagé au Mexique, en France et en Israël. Par la suite, il a enseigné et donné des conférences. En 1994, il a exposé ses photographies en noir et blanc à al Howard Greenberg Gallery de New York et, l'année suivante, ses photographies en couleurs dans ce même lieu. Il a fait sa première exposition personnelle en Europe à la Fondation Henri Cartier-Bresson de Paris. Il a voyagé à Berlin en 2010. Il est décédé en novembre 2013. On remarque que la majeure partie de ses clichés semblent avoir été le fruit du hasard, d'une rencontre fortuite et qui a eu lieu en un instant rapide. Il a raffolé des scènes de rue et de tout ce qu'elles comportent d'aléatoire. Si la mode lui a imposé de la rigueur, ses oeuvres sont pour l'essentiel des vues arrachées à la vie quotidienne, sans avoir un sujet ou une composition très élaborée - au contraire. C'est la surprise de la vision inattendue qui l'a fasciné.
Gianni Berengo Gardin, introduction de Giovanna Calvenzi, Photo Poche, Actes Sud, 13, 90 euro.
Né en 1930 à Santa Margherita, en Ligurie, Gianni Berengo Gardin, s'est passionné très jeune à la photographie. Il s'est installé à Milan en 1965. Il a commencé par faire des reportages et a collaboré avec le Touring Club italien - cette collaboration va durer vingt ans. Il a exposé ses travaux à partir de 1975, en particulier au Victoria and Albert Museum de Londres. Il s'est beaucoup intéressé à la vie rurale, la souvent mis l'accent sur ses aspects archaïque, comme s'il voulait capturer les mages d'un monde qui est voué à disparaître.
Mais il n'a pas eu tendance à mettre l'accent sur une vision nostalgique, ou pittoresque, mais sur une réalité qui donnait le sentiment d'appartenir à un autre monde. Et il s'est aussi attaché à des détails curieux ou à des scènes étranges, mais qui ne sont jamais posées. Il a été capable de tirer d'une vision furtive un e dimension un tant soit peu surréaliste, mais toujours dans l'improvisation. Il a reçu de nombreux prix et est considéré comme un des plus grands photographes italiens. Il demeure un chasseur de la vérité de tout ce qui nous entoure avec une curieuse volonté de donner à ses clichés une dimension un peu désuète, comme s'il avait toujours espéré s'emparer d'un univers qui allait disparaître. Il veut aussi donner à chacune de ses prises de vue un accident esthétique, mais qui demeure proche de la réalité la plus ancrée dans notre expérience.
Stéphane Duroy, introduction d'Hervé le Goff, Photo Poche, Actes Sud, 13, 90 euro.
Stéphane Duroy a souvent privilégié l'incongru et l'insolite dans sa saisie de la réalité ambiante. Il va dénicher le bizarre au gré de ses errances, sans le provoquer. Un coin de rue peut très bien faire l'affaire pour lui. Il n'a pas vraiment de sujets de prédilection, mais aime explorer un quartier et en dévoiler les secrets. C'est en tout cas ce qu'il a fait avec son premier livre, Harlem-sur-Seine. A tel point qu'un quartier devient avec lui un lieu de découvertes étonnantes, de choses inconnues ou délaissées dans la plupart des cas. De la vérité de zones urbaines, il a tiré des prises de vue qui n'ont pas leur égal. Et quand des êtres humains y figurent, on toujours le sentiment qu'ils expriment un malaise ou une angoisse. Son univers est comme un film policier de l'après-guerre. Il se dégage d'eux quelque chose comme de l'appréhension, de l'angoisse, une sorte qui ressemble à de la peur intérieure, en tout cas un terrible sentiment d'abandon et Le monde est pour lui un lieu de désolation, avec l'idée d'une perte de sens inéluctable d'effondrement mental. Malgré cela, chacune de ses photographies décèle une sorte de beauté sombre et mélancolique. C'est là un travail qui repose sur une conception de notre société qui serait en train de se déliter. Il est à découvrir car il possède une réelle poésie.
Tremble la nuit, Nadia Terranova, traduit de l'italien par Romane Lafore, Quai Voltaire, 192 p., 22 euro.
Nadia Terranova fait partie de l'élite de la nouvelle génération d'écrivains Italiens. Ils succèdent à un nombre impressionnant d'hommes de de lettres d'une grande portée, tels Alberto Moravia, Pratolini, Carlo Emilio Gadda, Alberto Savinio, Mario Rigori Stern, Giuseppe de Lampedusa, Elsa Morante, Italo Calvino, Giorgio Voghera, Rosetta Loy, Claudio Magris, Giorgio Manganelli, et j'en oublie beaucoup. Quand Andrea Camilleri, a un âge respectable, a remis son âme au Seigneur, on s'est rendu compte qu'il n'y avait plus un grand nom pour incarner la littérature de fiction de la péninsule. Même Umberto Eco a tiré sa révérence.
Ces plus jeunes auteurs ont bien des choses en commun. Je mettrai à part Giorgio Fontana, que je considère comme une réelle promesse, ayant lu tous ses romans. Les autres ne sont pas à mépriser ou à considérer sans intérêt, mais il leur manque la force, l'ambition, l'originalité. Et Nadia Terranova fait partie de ce groupe plus talentueux d'écrivains de valeur, qui ne parviennent cependant pas à nous séduire complètement. Elle compose ses fictions avec soin, se révèlent un architecte capable, et une narratrice qui sait tailler ses phrases ses avec doigté. Ce Tremble la nuit repose sur un terrible événement survenu à la fin de 1908 à Reggio Calabre et à Messine : un tremblement de terre qui a ruiné ces deux grandes villes.
Elle a choisi de mettre en avant deux personnages : fils du parfumeur Fera, et Barbara, surnommée Rina par ses proches, à Messine. Ces deux jeunes gens survivent à cette catastrophe et s'efforce de trouver leur voie dans ce dédale de ruines et de morts. Ces destins parallèles semblent devoir être attirés l'un par l'autre. Il n'y a aucune idylle dans ces pages, mais une sorte de parallélisme étrange, qui est accentué par un personnage qui ne tient aucun rôle dans cette histoire sinon de tirer les cartes du tarot : Madame, la voyante. Cette fiction se lit avec intensité et même avec une certaine curiosité car on ne parvient jamais à comprendre ce qu'il va advenir de ces deux figures qui ont échappé à ce désastre. Tout est bien agencé et bien écrit. Mais il manque ce je ne sais quoi quoi qui fait d'un roman une oeuvre mémorable. C'est néanmoins un livre des plus recommandables.
Nuage noeud du ciel, Danièle Gibrat, Le Silence Qui Roule, 64 p., 13 euro.
Il faut commencé par dire que Danièle Gibrat est une artiste née à Suresnes en 1957. Elle a donc derrière elle une expérience esthétique déjà très riche. L'écriture a pour elle au moins deux fonctions principales et inséparables. La première de se mettre en relation avec le monde qui l'entoure avec des mots et des phrases qu'elle pèse avec beaucoup de soin, et puis celui de commenter son ouvre graphique, qui a recours à différents matériaux. Ce petit ouvrage est donc à la fois un fragment d'autobiographie et l'esquisse d'un discours de la méthode (enfin une méthode qui est loin du rationalisme de René Descartes !
Cela ne produit pas une sorte de conflit entre ces deux domaines : ils ne font qu'un. De plus, Danièle Gibrat introduit dans son écriture des moments de poésie. C'est donc un ouvrage où l'auteur a voulu faire un tout de ses réflexions intimes, de la poursuite d'une quête esthétique et d'un raisonnement a posteriori de ses gestes artistiques. En sorte qu'on peut lire ces pages avec ravissement et sans jamais être perdu, même si l'on ne connaît pas les oeuvres dont il est question. Bien sûr, il y a quelques reproductions, qui peuvent donner une certaine idée de sa démarche et des fruits qu'elle produit. Mais le texte suffit largement à nous entraîner dans son microcosme sans un instant nous égarer. C'est un fragment d'une recherche plus vaste, cela est évident. Mais cela suffit à nous donner l'envie d'en savoir bien plus sur ce qui est l'essence de sa pensée comme étant la créatrice d'émotions et de méditations devant des compositions qui dévoilent son imaginaire d'une grande richesse qui possède sa logique propre.
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